Les élevages y étaient nombreux, il y a quelque décennies. Maintenant les manades de taureaux se comptent sans peine sur les doigts d’une seule main.

Il reste dans ce désastre quelques mas dont celui de Pernes où depuis des années sont installés les frères Chapelle qui y ont succédé à leur père Fernand. Le mas de Pernes est une oasis d’un temps qui passe, isolé au milieu du modernisme polluant de notre époque folle.

Les pâturages bien que coupés par une nouvelle route sont encore là et sous les premières attaques du froid d’un hiver qui vient trop tôt, doivent être complétés par un apport de foin sec et c’est ainsi que transbahutés sur un mauvais char, franchissant impunément les prés inondés, nous avons rendu visite à la manade saluant au passage un nouveau né, pour rester plus longuement avec les cocardiers Boncoeur, Ramuncho, San Gilen, et tous les autres. Parmi ces autres nous avons cherché et trouvé Aiguilleur qui aujourd’hui nous intéressait plus particulièrement.

Prudemment il s’approche de la brassée de luzerne jetée à son intention. L’œil toujours pointé vers notre attelage qu’il connait bien d’ailleurs pour l’avoir vu à de multiples reprises, il happe une poignée de fourrage qu’il mange lentement soucieux de ne point perdre de vue nos faits et gestes.

Aiguilleur, le Grand Aiguilleur est donc là dans son domaine à quelques pas de nous. Il se tient sur la expectative , comme nous également, car nous sommes en présence d’un as de la piste, d’un taureau puissant aux exploits tous frais, présents en notre mémoire.

Ce grand cocardier est âgé de 14 ans et il est donc le vétéran de nos courses, vétéran qui à chacune de ses prestations fait oublier son âge.

C’est en 1960 qu’il naissait sur les pâturages de l’Amarée appartenant à Fontaine. Les frères Chapelle l’achètent en 1962. ils ne savaient pas que ce doublen allait devenir la vedette de la manade . C’était un étalon qui fut bistourné à la fin de sa troisième année. Essayé, on s’aperçut qu’il sautait les barrières. Était-ce un vice ?

Ses cornes dressées tout droit vers le ciel comme pour en indiquer les chemins, lui valurent son nom, celui d’un Aiguilleur du ciel, en somme s’était là une sorte de prémonition, la vision de la gloire future du cocardier.

En 1965, il avait cinq ans et il fait ses touts premiers début aux arènes Barnier de St Rémy où il court emboulé. Aiguilleur montre une grande combativité et n’hésite pas à sauter par deux reprises derrière l’homme

Sa première véritable course est pour Noves à quelques semaines de là. Ses cornes sont nues et il se sent plus libre pour sauter après après André Soler, mettant à mal le câble du micro.

Il fait ses preuves rapidement et rentre dans la Royale dès 1967, année où à Beaucaire il enlève la cocarde d’or, exploit qu’il réédite en Arles en 1972, cette année là fut une bien belle saison pour Aiguilleur qui faillit remporte le titre de Biòu d’Or, c’est son adversaire Joinville qui l’enlève.

Il brilla particulièrement aux fêtes de Mauguio, a la finale du trophée à Nîmes, ainsi qu’en fin de saison à St Gilles.
Que ce soit l’année suivante ou au cours de celle qui se termine on a toujours vu Aiguilleur égal à lui même et toujours plein de fougue à tel point que bien des hommes ont eut à souffrir de ses cornes

A Méjanes en 1966, au cours d’un raset que l’on a qualifié de fantastique tant il était beau , il blesse Martinez par une de ses cornes qui lui traverse la cuisse . Un spectateur dans la contre piste est également blessé en 1967 à Beaucaire lors de la course de la cocarde d’or.

Le 15 août 1973 c’est au tour de Roger César d’essuyer son coup de tête , ainsi que la même année, Marchand à St Gilles, ce jour-là il blesse même l’ambulancier.

Cette année le 8 juin 1974, il blesse sérieusement un spectateur à St Martin, le garagiste Mattei, Aiguilleur saute après Gérard et se saisit du spectateur qu’il soulève de ses cornes par deux reprises, lui provoquant deux fractures à la jambe.

Très nombreuses sont les bonnes courses d’Aiguilleur, cocardier de classe, au jeu régulier qui au cours de sa longue carrière a toujours été brillant. Il s’impose à nous comme une véritable force de la nature aux ressources inépuisables.

Dans la piste c’est un adversaire difficile qui change de terrain avec habileté , sa force lui permet de résister aux assauts des hommes, sans défaillir, son quart d’heure durant.

Plus qu’un autre il a besoin d’un travail soutenu, la grosse bourre est loin
de l’effrayer . Il semble même s’y complaire et combat alors avec souplesse et agilité pour se dégager à sa guise d’une manière fort intelligente.

Il prolonge ses actions jusqu’au planches et sait sauter derrière les raseteurs. Son esprit combatif le pousse à rechercher et attaquer les spectateurs, il donne de grands coups de barrière et termine en passant les cornes

Aiguilleur est un cocardier complet et spectaculaire au courage qui ne faillit jamais.
Il a combattu à toutes les places de la première à la sixième et ce toujours avec la même humeur égale. Il inspire la crainte aux raseteurs et à tous un respect admiratif.
Au cours de la prochaine saison, 1975, Aiguilleur aura 15 ans fera partie de la royale des frères Chapelle . Il sera accompagné de San Gilen 8 ans, Ramuncho 14 ans, Boncoeur 8 ans, Istréen 8 ans, Tamaris 8 ans, Balsamo 6 ans, et Saint Louisien 13 ans.

Les frères Chapelle présenteront encore : Néron 6 ans, Ronchon 4 ans, Et coétéra 6 ans, Félibre 5 ans, Cimarone 4 ans, Flodidor 5 ans, Fallet 5 ans, Mistral 5 ans.