8/ Les objections :

Je passe aux objections. L’atterrissement du fleuve, qu’on suppose devoir résulter du ralentissement du courant pendant que les deux barrages seraient fermés, semble la plus grave. Je répondrais brièvement à celle-là par une observation aussi concluante que spirituelle de M. Surrel : « L’administration tiendrai alors en quelques sortes l’urne du Rhône dans ses bras » ; elle pourrait alors la faire épancher toute entière à droite ou à gauche suivant le besoin, par conséquent déterminer d’un coté ou de l’autre un courant suffisant pour opérer le déblaiement rapide de la branche qui tiendrait à s’engorger, en ouvrant alternativement l’un des barrages, l’autre restant fermé.
D’ailleurs, ces ponts ne seraient barrés qu’au moment des basses eaux, lorsqu’elles sont presque toujours limpides, rarement limoneuses. Le reste du temps, le Rhône fonctionnerait comme il le fait en ce moment.
L’autre objection, la difficulté, la cherté d’exécution, ne parait pas insoluble, j’espère, à nos ingénieurs d’aujourd’hui qui trouvent et font adopter chaque jour des solutions bien plus difficiles, bien plus dispendieuses. On ne concevrait guère, d’ailleurs, que la France reculât devant une opération moins couteuse, moins difficile que celle que dirige, en Egypte, un de nos compatriotes, que celles même qu’on à réalisées en si grand nombre, dans les temps ou la science de l’ingénieur était moins avancée, en différents lieux et particulièrement à Venise, où d’immenses palais, des monuments religieux et politiques d’un poids colossal ont été élevés sur des lagunes aussi peu consistantes que le sol sur lequel le Rhône roule ses eaux…où l’on vient de mener à bien une œuvre gigantesque : l’immense viaduc construit à travers des lagunes à fond mouvant, pour mettre ce port de mer en communication, par un chemin de fer, avec la terre ferme.
Cet ouvrage, bien autrement hardi et dispendieux que les ponts-barrages que je propose, pour les deux branches du Rhône, a été exécuté par un peuple auquel nous croyons bien supérieurs, sous le rapport des travaux publics, non à son profit, mais pour l’agrément et la convenance de sujets souvent rebelles, presque toujours hostiles.
La dépense des travaux exécutés à Venise à diverses époques, dans les conditions pires que la nôtre, est incalculable et nullement en rapport, selon moi, avec les profits qu’on pouvait espérer d’en retirer. Le viaduc lui-même, dont je viens de parler, n’a guère d’autre avantage que de substituer au transport par canaux des marchandises et des voyageurs, le transport plus rapide, mais non plus économique, par la voie ferrée.
Ici, au contraire , il s’agit de restaurer ou plutôt de créer, au profit de tous le pays et au centre de la France méridionale un excellent port, une vaste rade côtoyant deux départements importants, d’assainir une grande plaine et de fournir en même temps l’eau d’irrigation à cent mille hectares de terrains stériles faute d’humidité en été, qui deviendraient par ce moyen d’une grande fertilité.
En outre, l’eau du fleuve étant maintenue, par les barrages, à hauteur suffisante, pourrait servir à faire mouvoir, en aussi grand nombre qu’on voudrait, des machines hydrauliques appliquées aux besoins de l’industrie et de l’agriculture, au dessèchement même des fonds de cuve qui ne pourraient être égouttés sans recourir aux moyens mécaniques.
En somme, on aurait beaucoup moins de dépenses à faire, ici, pour les barrages du Rhône, qu’à Venise pour le viaduc du chemin de fer, et l’on obtiendrait des résultats incomparablement plus importants qui profiteraient à des nationaux et non à des peuples conquis impatient du joug, disposés à la rébellion.