• Introduction ;
    Qu’est ce qui peut motiver une passion pour la bouvine ?
  • le spectacle de rue ?-les courses dans les arènes ?- les élevages de taureaux et chevaux ?
    C’est peut être tout à la fois. C’est d’abord l’admiration de la bête sauvage et la poésie qu’elle nous inspire.
    La passion ne vient pas spontanément, elle se cultive, elle se nourrit insensiblement au gré de la fréquentation des courses de taureaux. On finit par mémoriser les noms des cocardiers, des raseteurs et des manadiers.
    On finit par remarquer le style des raseteurs en piste, on apprécie le professionnalisme et la témérité des uns capables d’affronter des bêtes dans n’importe quelle circonstance et la réserve des autres devant la difficulté.
    On analyse le comportement du taureau, son intelligence nettement supérieure à celle du cheval, (car il n’a pas de maître), par son placement en piste, sa position défensive qui révèle son aptitude au combat, par ses démarrages devant la provocation, enfin par ses finitions aux barrières qui peuvent être criminelles.
    Au fil des ans, la passion devient connaissance et on peut affirmer avant de l’avoir vu, que tel taureau dans telle piste devant tels raseteurs peut donner tel résultat.
    Et enfin vivre sa passion c’est avoir le sentiment d’appartenir à une grande famille, celle de la bouvine. Celle qui défend nos valeurs ancestrales, notre propre culture, unique en son genre, face à la multitude de divertissements actuels, qui viennent bien souvent « d’en haut » et dont la télévision est un des principaux catalyseur.
    C’est cette passion que nous allons tenter aujourd’hui de vous faire partager.

L’HISTOIRE
Les historiens ont laissé peu de trace sur les origines de nos traditions. Sans doute à cause des interdits successifs édités sous l’ancien régime aussi bien que sous la République, qui auraient pu porter préjudice aux rapporteurs des événements de l’époque. On peut dire que rares, sont les documents historiques se rapportant aux pratiques des jeux taurins, car, à part quelques extraits rapportés par Bertrand Boysset ( 1 )au sujet d’une course de taureaux ( et encore s’agit il d’un combat de taureau contre un lion dans la cour de l’archevêché d’Arles ) qui se serait déroulé le 27 mai 1402, sous Louis II, comte de Provence,
Un des rares document historique patent que nous connaissons aujourd’hui est le manuscrit de Quiqueran de Beaujeu daté du XVI° siècle ( 1551 ) et qui raconte une pratique ancestrale des festivités taurines « la ferrade »
( 1 ) d’après la collection du musée d’Arles :
B. Boysset, Marie Mauron, Gervais de Tilbury, Jeanne De Flandresy, Quiqueran de Beaujeu, Evelyne Duret etc…

Avant l’histoire, il y a le mythe, le symbole.
C’est sans doute tout le pourtour méditerranéen qui a vécu très tôt dans le mythe du taureau :
La puissance, la masculinité et la fertilité du taureau sont sans doute des facteurs essentiels dans le fait que cet animal ait été admiré, vénéré et adoré
Sa morphologie, sa force, son comportement, son armure redoutable marque l’esprit de ses premiers admirateurs qui durent être aussi, ses premiers adversaires.
D’où provient le nom de la Camargue ? l’hypothèse la plus probable… serait celle donnée par Clément Martin, historien, qui serait issue de Aulus annius CAMARS, nom d’un propriétaire romain de la région d’Arles….
Après Marie Mauron donne plusieurs versions différentes dans son livre « le taureau, ce Dieu qui combat »……
L’ancêtre du taureau camargue est arrivée du néolithique dans le delta du Rhône. La bête sauvage était déjà croisée avec des bovidés venus du moyen orient et de l’Europe du sud est. L’ancêtre de notre taureau est il l’auroch qui ne disparut qu’au moyen âge ou plus vraisemblablement le bos primigénius ? On ne saurait être affirmatif, mais ces animaux sont peints sur les parois des cavernes, notamment dans la grotte de Lascaux depuis plus de 20 000 ans.
Qu’elle est l’origine du taureau camarguais et d’où vient il ?
On ne peut émettre que des hypothèses. On pense que notre taureau a son berceau dans le moyen orient plus précisément en Mésopotamie, l’Irak actuel On peut donc en conclure, tout en restant prudent, que ces animaux ont certainement des liens de parenté et que nos taureaux pourraient provenir du moyen et proche orient.
Comment ces taureaux sont ils venus se fixer en Camargue, tout simplement par migrations successives à la recherche de nourriture à cause des bouleversements climatiques. Et les hommes les ont suivis dans leurs migrations.
Plus tard, l’homme le réquisitionne pour l’adapter aux travaux des champs plus que pour sa viande. Mais il est mal adapté pour les labours, même castré. Il fera l’objet de réjouissances quand les bouviers tentent de s’en saisir pour le marquage au fer, pour le bistournage, ou tout simplement pour le triage en vue de l’abattoir.
Les jeux tauromachiques en Camargue sont nés dans les mas.

Tout commence véritablement au moyen âge, vers le XII° siècle avec l’arrivée des moines cisterciens et bénédictins, qui furent des aménageurs et des déboiseurs d’importance.
Ils assèchent les marais qu’ils cultivent, endiguent les salins pour mieux les exploiter, calibrent les cours d’eau que les Rhônes déversent anarchiquement et érigent des abbayes sur des promontoires. La plus célèbre, mais dont le lieu est toujours inconnu étant celle de Psalmodi ( vers St Laurent d’Aiguouse d’après Pierre André Clément ) (Psalmodi de psaumes : où des frères se relaient deux par deux et chantent des psaumes continuellement jour et nuits.
( l’abbaye de Psalmodi exploite les salins du Peccais, au grand Radeau – (Peccais qui viendrait de Peccaius, un tribun romain qui avait la charge des récoltes de sel ).
Ils élevaient également des taureaux sauvages (tout au moins les moines de Psalmodi ). (livre de Joseph Darbaud « la bête du vaccares » écrite d’après un parchemin du XV° siècle dont l’auteur était Jaume Roubaud, dit « lou grela » gardian de taureaux sauvage à Notre Dame de la Mer, pour le compte des moines de Psalmodi )
Vers le XIII° siècle, c’est à cette époque que l’on peut affirmer que les taureaux étaient élevés, entendre par là, regroupés en troupeau, avec à la tête un propriétaire. Puisque archives il y a.
Dans sa présentation des aspects historiques de la course camarguaise, Evelyne Duret date du milieu du XV° siècle soit vers 1559, l’existence d’une course de taureaux dans la ville d’Arles en l’honneur du passage d’un cardinal (?) en étape sur le chemin de Rome. Ce bétail appartenait au sire Trophémon de Destrech et Jehan Icar 1564 / 1596
En 1622, lors du passage du roi Louis XIII en Arles, on lâche des taureaux furieux sur la place du clergé, aujourd’hui, place de la République, et les habitants en furie terrassent les taureaux sous les yeux du roi médusé.
Plus tard, son fils Louis XIV fera interdire les jeux taurins par édit royal du 27 février 1677. C’est la première interdiction notifiée officiellement par le régime royal. L’autorisation d’organiser des courses de taureaux est rétablie le 10 octobre 1729 à l’occasion de la naissance du dauphin Louis XV, toujours en Arles.
Mais voyons ce qui se passe à Beaucaire au temps jadis. C’est Vincent SEVE, historien local qui relate une course de taureaux à Beaucaire le dimanche avant la St Jean en 1640 : ( voir document de M. Roche sur le bulletin de la SHAB)
………………..

Après la révolution, dans son livre « les origines de la course libre » (entendre : libre de toute interdiction) Patrick Bruguière ( docteur en histoire contemporaine ) relate les débuts des jeux taurins dans un champ clos avec présence de spectateurs et acteurs en piste ( 1800 / 1852 ) ( champ clos : charrettes, tribune officielle …)
Jeux barbares, violents, toujours empreints de réminiscences d’un passé peu glorieux où il s’agissait de terrasser un taureau avec des coups de calos dans les pattes pour les faire chuter.
Mais très vite, une réglementation rudimentaire se fait jour et c’est le jeu des cocardes qui va avoir la préférence devant la ferrade en piste, l’attente au fer, le saut à la perche etc.
D’ailleurs, notons au passage cette anecdote cocasse où les cocardes changent de couleur suivant les régimes (blanche sous la monarchie, bleu blanc rouge en République, ou tout simplement rouge)
Ces courses étaient financées soit par souscription, soit par la commune, soit elles étaient payantes (Nîmes – Arles). Autorisées en piste seulement pour les hommes entre 16 et 60 ans.
Les jeux :
L’attente à la bédigane (roseau de micocoulier )( concurrence l’attente au fer )
Le taureau à l’écarté, le taureau à la veste, la pose des cocardettes etc..
Les courses ont lieu en musique, au son du hautbois, et chaque ville a son air favori.
Nous voici en 1852 : le prince Président devenu Napoléon III va bientôt épouser une comtesse espagnole Eugénie De Montijo. A partir de là, toutes les courses de taureaux sont définitivement admises et il y a seulement un siècle et demi.
C’est à partir de 1853 qu’apparaîtra le nom des taureaux à l’affiche et à cette époque, on compte 100 courses dans l’année.
Au XIX° siècle on a essentiellement quatre grands élevages de race Camargue :

  • Combet – Granon – Papinaud – Raynaud
    C’est à partir de ces 4 élevages que se sont constituées toutes les autres manades. De nos jours on compte 120 élevages de taureaux de race camargue.
    En 1869, Joseph Yonnet qui va devenir éleveur de taureaux de combat, va prendre une initiative qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses. Il décide d’acheter des étalons Espagnol (des sémentals) qu’il croise avec des vaches camarguaises dans le but d’obtenir des animaux plus charpentés, de modifier le caractère pour augmenter la méchanceté, de faire de ces croisés des animaux plus aptes à la corrida. Le résultat s’avèrera catastrophique et cette solution sera abandonnée.
    Heureusement qu’un homme va se dresser contre ces pratiques, c’est Le Marquis de Baroncelli, qui créa sa manade en 1898 en mettant toute sa détermination pour revenir à la pureté de la race camarguaise
    Ses efforts seront couronnés de succès, mais il restera toujours cette goutte de sang qui a modifié le comportement de nos vieux Camargues essoufflés par la consanguinité.
    Venons en à la décennie 1895 / 1905 où la course de taureau a commencé à prendre un visage. Place seulement aux amateurs munis d’un crochet à une dent, et le terme « raseteur » s’impose au détriment du rasetier ou toréro ou tauréador.
    Ensuite 2 taureaux de légende vont donner un coup de fouet et déplaceront des foules considérables. Le premier se nomme Lou paré de Pouly , le second Lou Prouvenço du Marquis de Baroncelli
    Toujours pendant cette décennie apparaissent les premiers Club Taurins ainsi que la presse taurine qui relate surtout des courses Espagnoles.
    Quelle était la situation taurine à cette charnière des deux siècles ?
    Le toréro avec son habit de lumière avait fière allure tandis que le raseteur, le plus souvent un marginal, était sans tenue bien définie et faisait piètre figure.
    Mais la course libre va au fil des années gagner en notoriété et accroître son prestige jusqu’au coup d’arrêt pendant la première guerre mondiale où quantité de taureaux seront abattus pour le ravitaillement de l’armée.
    Au sortir de ce conflit sanglant les hommes veulent oublier et faire la fête. Mais il leur faudra défendre leurs traditions menacées et principalement la corrida. Et en novembre 1921, c’est la levée des tridents, un défilé impressionnant sur les boulevards nîmois, avec en point d’orgue la célèbre phrase de maître De Monteau Manse
    « tant qu’auren uno gouto de sang dins nosti veno, lou pople miejournaù veira coure di biou ». La riposte a payé et les spectacles taurins seront préservés.
    C’est dans les années 1920 / 1930 qu’apparaît un nouveau monstre sacré à la stature superbe : le Sanglier » de Fernand Granon et avec lui, un raseteur d’exception : le beaucairois « Julien Rey ». Tous deux vont déplacer des foules énormes, leurs noms restant à jamais associés.
    Nouvelle date importante 1928. C’est la création de la « cocarde d’or » à Arles une compétition où pour la première fois, un raseteur sera récompensé. Cette compétition, qui est aujourd’hui la doyenne, va devenir au fil du temps, la plus convoitée, la plus prestigieuse, celle que tous les raseteurs rêvent de remporter une fois. La première épreuve a été disputée le 1° Juillet 1928 devant 10 000 personnes. Un succès jamais démenti.

Citons brièvement quelques noms de grands cocardiers avant et aprés la guerre de 1939 / 45 :

  • le Clairon de Fernand Granon – Le Gandar de Blatière – Le Vovo d’Henri Aubanel – et plus tard Goya de Paul Laurent et Rami de Fabre Mailhan.
    Les as du crochet les plus célèbres à cette époque :
  • Charles Fidani – les frêres André et Roger Douleau – Lucien Volle – Roger Pascal – Manolo Falomir – André Soler
    puis la nouvelle génération avec – Patrick Castro – Emile Dumas – Robert Marchand – et puis les phénomènes Jacky Siméon et Christian Chomel, un raseteur d’une classe exceptionnelle.

Aujourd’hui, la « course libre » a fait place à la « course camarguaise » réglementée et codifiée par la fédération française de la course camarguaise qui dépend du ministère des sports. Même si des nostalgiques regrettent le temps des courses libres, on ne peut revenir en arrière.
Malgré tous les progrès qui ont été apportés à la couses camarguaise, des problèmes demeurent.
Problème des raseteurs, devenus athlètes, car les taureaux, eux, n’ont pas changé, et leur nombre en piste a été soigneusement limité
Problème sanitaire avec l’élevage bovin, qui est suivi de très prés par le ministère de la santé, et qui peut conduire aujourd’hui à l’anéantissement total d’un troupeau en cas de tuberculose.
Heureusement, la race camarguaise étant considérée comme une race en voie de disparition, on n’y applique pas les mêmes sanctions que pour la « vache folle »
Conclusions :
Dans la course camarguaise où le risque crée l’émotion, aux yeux des aféciouna qui ont la fé di biou solidement ancrée, l’élément essentiel est le taureau.
Sur l’affiche, le cocardier a son nom en gros caractères.
La course camarguaise est un spectacle unique non seulement en France, mais dans le monde entier. Elle est le fleuron de nos traditions taurines. Elle a écrit sur le sable des pistes, des exploits et des pages inoubliables qui resteront à la postérité.