Cette compagnie se proposait :

1/ D’assurer d’abord et d’établir, d’une façon fixe, le régime d’écoulements de la Camargue vers la mer.
2/ D’amener dans les étangs et particulièrement dans l’étang du Valcarès, par deux prises, l’une au grand Rhône, l’autre au petit Rhône, les eaux douces troubles et fertilisantes du fleuve, à l’effet d’y cultiver la pêche pendant une certaine période d’années.
3/ De créer des prairies palustres, puis peu à peu, au fur et à mesure de l’exhaussement, établir des prairies naturelles, avec élevage et engraissement du bétail.
4/ De mettre en culture de vignobles, céréales et prairies artificielles les parties les plus élevées, après le colmatage de l’étang.
5/ Enfin, de créer des domaines, de les mettre en vente et de liquider l’entreprise agricole après le terme de ces opérations.

La compagnie se qualifiait d’acquéreur par acte privé des étangs du Valcarès et des étangs inférieur jusqu’à la mer, d’une surface, étangs et lagune de 14 000 hectares environ.
Pour procurer le dessèchement, elle creusait deux grands collecteurs aux extrémités est et ouest de ses domaines, et les amenait déboucher aux pertuis de Rousty et de la Comtesse, an ayant soin de séparer de ces deux émissaires le Valcarès et les étangs inférieurs. Il ne paraissait pas tout d’abord nécessaire de procéder à l’installation de machines élévatoires pour compléter ce système d’écoulement.
L’évacuation rapide des eaux d’écoulement de la Camargue, jointe à l’entretien de la digue à la mer, permettait l’exploitation de la pêche , d’une manière productive et fructueuse dans tout les étangs du delta, et cette p^che augmenterait ainsi considérablement la production locale et constituerait une plus-value du sol et un accroissement de revenus dont profiteraient indistinctement tous les propriétaires d’étangs.

Le Valcarès, du reste, est destiné à être colmaté par l’adduction des eaux du Rhône, à l’aide de 2 prises pratiquées l’une sur le grand Rhône entre le mas de Beaujeu et celui de Tourtoulen, l’autre sur le petit Rhône entre Bouvet et et le mas des Bruns. Les deux prises, donnant 24 mètres cubes à la seconde, apporteraient des troubles en quantité suffisantes pour que l’opération , pratiquée pendant soixante jours, amène le colmatage du Valcarès, en dix ans, à une hauteur égale au niveau de la mer, et, en quinze ans, a une hauteur supérieure.

Dès la deuxième année, du reste, apparaitraient les roseaux, les triangles, la pêche diminuerait vers la cinquième année, et, enfin, à la dixième année, les prairies naturelles seraient très productives.
Les étangs inférieurs étaient conservés par le projet et réservés à la pêche en eau salée.
La dépense que la Compagnie supporterait toute entière était calculée à 1 403 637 fr, non compris le coût de ses acquisitions . Elle ne demandait à l’état qu’un décret d’utilité publique, qui lui permettrait d’acheter les terrains nécessaires pour la création de ces deux égouts collecteurs, la concession de deux prises d’eau et une subvention à titre d’encouragement.
Il n’était, comme on peut le voir, nullement question de l’irrigation d’aucune partie de la Camargue.
Il est important de savoir ce qu’à cette demande Mr le ministre de l’agriculture répondit, sur l’avis de la commission de l’hydraulique agricole.
"Cet avant projet n’est pas susceptible d’être pris en considération, parce que l’exécution des travaux projetés aurait pour conséquence la suppression de l’étang du Valcarès, dont la conservation est indispensable à l’amélioration de la Camargue."
Un projet d’amélioration agricole de la Camargue, reposant essentiellement sur le maintien et l’utilisation de l’étang du Valcarès avait déjà été dressé et réalisé en grande partie, et il convient de s’en tenir à l’exécution de ce projet.

La compagnie répliquait :
Elle était propriétaire des immeubles qu’elle voulait assainir et, sous le bénéfice de la loi de 1807, elle avait incontestablement le droit d’entreprendre elle-même l’assainissement de ses domaines.

Au reste, Mr l’ingénieur de l’arrondissement avait conclu, dans son rapport, à la prise en considération du projet d’assainissement et le colmatage. Le même rapport émettait l’avis que la compagnie reconnait la nécessité d’établir des machines d’épuisement aux pertuis de Rousty et de la Comtesse, pour les canaux de dessèchement au moment où le Valcarès et les étangs inférieurs seraient isolés et ne feraient plus partie du système d’écoulement et de dessèchement . Enfin, on demandait à la compagnie un avant-projet complet dans les formes réglementaires en vue du décret d’utilité publique .
Mr Redier, dans un rapport au ministère, ajoutait que sa compagnie propriétaire du Valcarès, faisait toutes réserves au sujet des aggravations de servitudes que pouvaient imposer à son domaine les écoulages des vignes traitées par la submersion.
Il rappelait que l’avant projet régulier avait été déposé, et que la demande de concession de 2 canaux avait été aussi présentée dans la forme voulu.
Enfin, il se prévalait des adhésions du conseil municipal des Saintes Maries du 7 juin 1891, et celui d’Arles du 31 janvier 1891, du conseil général des BdR du 11 avril 1891. nous ferons remarquer à ce sujet que les conclusions favorables au projet furent présentées au conseil par Mr Aillaud, mais que Mr Martin, conseiller général de Camargue fit au moment du vote la déclaration suivante, insérée au procès verbal sur la demande :
" Opposé au projet de colmatage du Valcarès qui me parait contraire aux intérêts que je représente, je déclare m’abstenir à l’occasion de la prise en considération, adoptée par la commission"

Mr Redier rappelait ensuite que sans doute les trois grands canaux d’écoulage avaient été construits par l’état, en exécution partielle du projet de 1862, mais que l’entretien de ces émissaires était onéreux aux propriétaires syndiqués, que la digue à la mer était abandonnée à cause de la question toujours menaçante des indemnités à payer aux industries salinières à l’occasion de sa construction, qu’en l’état les dépenses avancées par le gouvernement depuis 30 ans étaient improductives, qu’il était du devoir de celui-ci de ne point annihiler les initiatives privées d’entreprises publiques si nécessaires au développement des industries nationales et de la salubrité publique, qu’en présence des grands intérêts mis en cause l’administration devait se départir de tout esprit d’opposition systématique injustifiée.
Au 28 novembre 1892, M Redier n’avait point reçu de réponse, et les actionnaires s’impatientaient, comme il le fait remarquer dans une nouvelle lettre adressée à MM les membres du conseil supérieur d’hydraulique agricole, qui émit à la date du 5 avril 1893 les avis suivants :
" les prévisions de Mr Redier en ce qui touche le colmatage rapide des terrains dont il s’agit, sont de nature à donner lieu à de graves mécomptes. Pour être complète, l’opération , l’opération exigerait un grand nombre d’années, et elle entrainerait la création de foyers marécageux , qui pourraient être plus dangereux encore pour la salubrité publique que ceux existant aujourd’hui.
L’évacuation à la mer des écoulements de la Camargue pourrait sans doute obtenue, comme le pense Mr Redier, par les deux collecteurs projetés et l’installation de machines assez puissantes, mais il faudrait pour cela, que la tenue du plan d’eau à l’extrémité des canaux ne fût pas réglée, comme semble l’admettre Mr Redier au zéro de la mer , mais a un niveau sensiblement inférieur, de manière à offrir aux écoulements de la Camargue, tout en tenant compte de la pente nécessaire, les facilités qu’ils trouvent dans le Valcarès.
En ce qui concerne les machines élévatoires, l les chutes du canal mixte que Mr Redier se propose d’utiliser pour les actionner paraissent loin de pouvoir procurer la force de 1500 chevaux dont parle le pétitionnaire, tout au plus pouvaient-elles fournir 400 à 500 chevaux, et encore d’une façon intermittente, car le canal mixte est alimenté par la Durance, et de plus soumis à des chômages périodiques.
Le projet de Mr Redier en est demeuré là, il n’était pas sans intérêt de connaitre et d’apprendre les diverses solutions que nous venons de rappeler.
C’est après avoir épuisé l’examen de tous les autres projets antérieurement tracés que nous en arrivons à celui qui nous occupe actuellement.