La suite restreinte donnée par l’Etat lui-même à ce projet, dont l’initiative privée a poursuivi depuis quinze ans l’application, a bien donné la mesure dans laquelle pouvaient être satisfaits le intérêts publics et privés.

La résistance opposée à l’exécution du premier projet de 1860 était inspirée par cette considération presque banale, que pour améliorer une chose il ne faut pas obliger son possesseur à dépenser en capital le double, même le triple de ce quelle peut valoir.
A défaut, l’application d’un pareil système est à la fois la ruine de l’intérêt privé et comme conséquence celle de l’intérêt public.
L’administration l’a si bien compris, en 1862, qu’elle a adopté les conclusions de la commission d’enquête, que nous avons relatées plus haut.

L’amélioration de la Camargue, telle qu’elle est présentée ne peut que contribuer à rendre plus abondantes et plus assurées les productions agricoles de ce territoire, et à ce titre précisément, à cause de l’augmentation des revenus privés quelle peut produire , elle prend un caractère éminent d’utilité publique, l’état a donc intérêt à prendre à sa charge les frais de premier établissement des appareils destinés à combattre, d’une manière générale les causes naturelles d’infertilité du sol, de manière à permettre à l’initiative privée de s’exercer sans oppression ni contrainte, dans le sens que chaque particulier jugera plus conforme à ses goûts, à ses aptitudes et à ses moyens personnels d’action.

C’est là la véritable mesure dans laquelle doivent s’entraider ces deux éléments, l’intérêt et l’intérêt privé, le premier pouvant mettre en oeuvre sa puissance pour enlever qui gênerait le second, et celui-ci agissant en toute liberté agissant en toute liberté pour procurer au premier les productions qui sont l’assiette de l’impôt, et font, en une certaine façon, rentrer l’état dans les avances qu’il a pu faire.

Mais l’un et l’autre de ces deux intérêts ne doivent point tout faire et le premier ne doit surtout, à peine de déchéance et de ruine simultanée des deux, imposer à l’intérêt privé des charges que celui-ci ne soit point en mesure de surmonter.
Aussi bien est-ce qui a été fait, et certes l’état ne peut se plaindre que ces avances et se subventions n’aient point porté ses fruits, puisque, de toutes parts, et chacun dans la mesure de leurs forces, particuliers et syndicats semblent avoir, au cours de ces dernières années, rivalisé de zèle pour l’accroissement des revenus du territoire de Camargue.

Si les revenus se sont accrus, si, par suite, l’impôt a pu voir se développer une assiette plus régulière et une garantie plus sûre, reprochera-t-on encore, au nom de l’intérêt public, l’insalubrité de la Camargue ?
Cette salubrité est elle plus dangereuse qu’auparavant, qu’en 1850-1862 et les années suivantes ? Où sont les preuves de cette recrudescence ? Quelles statistiques sérieuses peut-on montrer ?

D’autre part, estime-t-on que les travaux proposés par la société d’études rendront le pays entièrement sain ?

Ne faut-il pas compter au contraire sur un accroissement des fièvres paludéennes au moment de l’exécution des travaux et pendant la période de transformation ?

Ne peut-on pas encore redouter très raisonnablement que ces fièvres, qui sont devenues dans notre territoire à l’état endémique, ne revêtent à nouveau un vrai caractère épisodique ?

Il y aurait beaucoup à dire en ce sens, dans tous les cas, l’intérêt public n’y est point intéressé d’une manière si directe, si immédiate, que l’on puisse et doive aller jusqu’à forcer les propriétaires à adopter un projet d’assainissement et à l’exécuter sous peine d’en voir la concession conférée à d’autres, au mépris de ce même intérêt privé que l’on cherche à améliorer.
Nous aurons du reste plus d’une fois, au cours de ce travail, l’occasion de revenir sur cette question de la satisfaction des intérêts publics et privés et nous passons, pour les redites. Toutefois, pouvons nous citer de suite pour ne point l’oublier, un extrait d’un rapport, de date récente, dù à la plume de Mr Gastines, chargé de mission par Mr le Ministre de l’Agriculture.

Après avoir parlé de la composition des terres de la Camargue , des sables du littoral, de la nature du salan, Mr Gastine écrit :
La Camargue était autrefois très fiévreuse. Elle est maintenant bien améliorée sous ce rapport, les accidents paludéens y sont moins fréquents , et surtout moins graves qu’autrefois.
Un fléau qui n’a pas diminué, c’est celui des moustiques, surtout en automne.

Comment l’intérêt privé peut-il, du reste, être satisfait ?
Bien des propriétaires ont, depuis quinze à vingt ans , fait des sacrifices considérables pour l’amélioration de leurs terres et on viendrait avant qu’ils en aient recueilli le moindre bénéfice, les exproprier de leurs terres !
Comment se réglera la situation des propriétaires dont l’installation est en cours d’exécution ?

Pour les uns comme pour les autres, il y a des contrats signés, des engagements pris, des emprunts effectués. En admettant même que ces charges restent inhérentes aux domaines, comment pourra s’effectuer le partage de ces charges ? Et que feront d’une installation d’une certaine importance les propriétaires dont on expropriera seulement le tiers, la moitié des domaines ?

(...)