Mr les ingénieurs Perrier et Bernard qui, dans leur projet, laissaient le Valcarès à ses fonctions naturelles, ne reconnaissaient que trop les calamités qui s’attachent aux populations avoisinant les étangs d’eau saumâtre, et ils proposaient d’atténuer cet état déplorable en autorisant les compagnies salinières à remplacer dans le Valcarès les eaux saumâtres par des eaux salées.
Que sera-ce si le dessèchement entamé ne peut pas être mené à bonne fin ?
Comme résultat sanitaire, on gagnera pour le sol des étangs un foyer d’insalubrité considérable, et toute une série de petits foyers épars dangereux à certaines époques.
Le fait est cependant indivisible, on ne peut pas, pour le dessèchement se prévaloir de la salubrité, et ne pas en tenir compte pour ses conséquences, faire du Valcarès et des étangs inférieurs un foyer d’infection, et s’armer de la loi de 1807, sous prétexte que le dessèchement et l’introduction des eaux douces dans ces étangs modifiera la santé publique, sont deux choses en opposition formelle.
Ce ne serait donc que par un excès d’autorité funeste que l’on voudrait invoquer l’application de la loi de 1807.

VIII/ DES AUTRES OBSTACLES AU DESSECHEMENT ET A LA MISE EN CULTURE IMMEDIATE.

Il ne manquera point encore d’obstacles s’opposant d’eux-mêmes à la réalisation d’un projet de dessèchement tel que celui qui est présenté.
Le manque de bras pour la culture, l’un des rapports soumis à l’enquête de 1862 établissait que la population de la Camargue comprenait 4907 habitants, ainsi répartis à cette époque :
Faubourge de Trinquetaille 1524 ha
Village des Saintes 545 ha
Total de la population 2069 ha
Dans l’île, sur divers points de la commune 2300 ha
Sur divers points des Saintes 538 ha
Total de la population éparse 2838 ha

En retranchant la population de Trinquetaille, qui est une dépendance de la ville, l’on ne trouve que 3383 ha, c’est-à-dire 4,7 dixièmes par km², alors que la densité moyenne de la population était,en 1876 par exemple de 109 ha par km² pour les BdR, de 73 pour le Gard, de 72 pour le Vaucluse, de 70 pour la France entière.

Nous dirons tout à l’heure ce qui s’est produit à cet égard pour les marais de Beaucaire. Mais, depuis 60 ans que le dessèchement de la vallée d’Arles par le canal de navigation de Bouc a ramené au soleil des terrains excellents, propres à toutes les cultures, élevés de prés de trois mètres au-dessus du niveau de la mer, combien de fermes ont été créées ?

L’insuffisance des voies de communication et des distances
Pour amener des bras sur des terrains incultes que l’ont veut mettre en culture, le moyen le plus puissant, dont disposent les administrations, est le développement des voies de communication. Il est certain que la vicinalité » a fait à cet égard d’immenses sacrifices depuis 20 ans et quelle est parvenu à doter la Camargue d’un réseau de viabilité bien plus satisfaisant que par le passé. Mais combien les communications peuvent encore, entre deux points, être difficiles, et si l’on considère combien sont importants les transports dans l’agriculture. Comme la compagnie concessionnaire arrivera-t-elle à créer son exploitation ?

Le manque d’engrais se fera aussi sentir, il sera la conséquence forcée de la disparition des marais, de la suppression des litières, de la diminution des pâturages et du moins grand nombre de bêtes à laine, qui en est la conséquence forcée.
On aura bien recours aux engrais chimiques, mais l’expérience nous a appris à apprécier les avantages des litières pour ameublir le sol parfois compact de la Camargue.
Enfin, on accusera certainement « les propriétaires de Camargue de se renfermer dans ce qu’on peut appeler la routine, le refus des innovations »et le défaut de confiance dans les applications de méthodes nouvelles d’agriculture.
Ces reproches ne sont point mérités. Déjà en 1850 et en 1860 à l’époque où se produisent les projets dont nous avons parlé, les juges les plus compétents en agriculture s’accordaient à dire qu’en l’état de la situation de la Camargue, des conditions impérieuses du sol et du climat, du prix de la main d’oeuvre et du chiffre de la population, en présence des ressources dont ils disposaient et les difficultés qu’ils avaient à surmonter, les propriétaires tiraient de leurs terres tout le parti possible. C’était notamment l’avis du savant collaborateur de feu Mathieu de Dombasie, Mr Moll, professeur d’agriculture à la faculté de Paris, après une méticuleuse exploitation qu’il fit de nos fermes et exploitations.

La commission d’enquête de 1850 défendait, avec juste raison, ses compatriotes de cette injuste accusation de routine et d’indifférence systématique, en faisant remarquer que la population de Camargue n ‘avais jamais reculé devant aucun sacrifice pour résister aux fléaux conjurés contre elle, et la preuve s’en rencontrait facilement dans la réfection et l’entretien de 102 kilomètres de digues insubmersibles, celui encore de 48 roubines et de 19 à 20 canaux d’écoulages.

Et depuis que le décret de 1866 a été mis en exécution pour l’amélioration des écoulages, quelle partie de la Camargue n’a pas donné le spectacle d’un progrès marqué dans chacune des exploitations ainsi que nous le rappelons plus haut !

(...)