1/ l’association des vuidanges d’Arles existe depuis bien longtemps ses titres anciens, sont l’autorisation donnée à la ville d’Arles par le roi René le 16
février 1458, le contrat du 31 décembre 1542, la transaction du 19 octobre 1619, et le traité du 16 juillet 1642 avec l’ingénieur Hollandais Van Ens.

Après bien des abus et des négligences, l’oeuvre de Van Ens fut complètement abandonnée et ruinée pendant les troubles de la révolution française, et le marais envahit de nouveau, jusqu’au portes d’Arles, la plus grande partie du territoire primitivement desséché. Un rapport de Mr Boudou, ingénieur en chef , à la date du 30 Ventose an IV, décrivait cette lamentable situation et proposait en outre de divers travaux le complément du dessèchement par le creusement du canal d’Arles à Bouc.

Les choses demeurèrent cependant en l’état , au point qu’au cours de l’an VIII, la compagnie demanda , par application de la loi du 7 janvier 1791, que le dessèchement lui fût concédé à titre d’oeuvre complètement nouvelle. Cette demande engagea l’association des vuidanges à prendre de suite certaines résolutions, dont l’effet le plus immédiat fut de faire rejeter le projet présenté.

La réfection complète du dessèchement eût exigé de la part de l’association des dépense d’autant plus importantes et lourdes qu’elle était déjà obérée. Elle ne put donc rien faire, et la renaissance complète de l’oeuvre entreprise ne date pas de l’achèvement du canal de navigation d’Arles à Bouc, destiné à recevoir les eaux de l’association, dont il avait besoin pour son alimentation. Réorganisée, comme toutes les associations territoriales d’Arles, par le décret du 4 prairial an VIII, l’association des vuidanges fut soumise aux règlements spéciaux que nécessitait sa situation, par le décret du 13 juillet 1851, qui vise nommément la loi de 1807.

Voici la description qu’en faisait en 1835, Mr Poulle, ingénieur, qui allait en entreprendre le dessèchement :
«  Les marais des Baux, dit-il sont commandés par une surface, suivant le cadastre, de 24466 ha dont eux-mêmes occupant 1825 ha, y compris les étangs d’une contenance ensemble de 313 ha.
Ils sont à peu près constamment inondés. Dans les années de la plus grande sécheresse, les eaux y flottent encore à fleur de sol, ou du moins très peu au dessous. Quoique, en l’état, ils ne se couvrent que de joncs, de roseaux et d’autres plantes aquatiques, ils présentent une terre végétales de qualité d’autant meilleure quelle est le résultat du lavage d’une très grande superficie de terres cultes et incultes, mêlées aux détritus des animaux et des végétaux nourris sur le sol même. Ils donnent quelques revenu par le ferme de la pêche dans l’étang du Comte, dans les lagunes et dans les sillons ou fossés.que tracent dans les terrains bourbeux les barques qui les fréquentent. Ceux qui font parti des communes d’Arles et de Fontvieille sont aussi de quelque rapport par les herbages, mais, dans les communes du Paradou, Maussane, Mouriès, toute la végétation naturelle dans les marécages est soumise à libre jouissance des habitants par un droit fort ancien, dont l’extinction n’aura lieu que lorsque les marécages eux-mêmes seront livrés à la culture »

Jusqu’au XIXe siècle, plusieurs tentatives de dessèchement étaient demeurées improductives par suite de circonstances inutiles à rappeler ici. Une première demande de concession fut présentée en 1817 par une compagnie financière, qui, sous le nom de Mr le comte de la Farre, sollicitait l’exécution du canal d’Arles à Bouc, le rétablissement de l’oeuvre de Van Est, et le dessèchement des marais de la vallée des Baux . Elle ne rencontra aucune sympathie, et fut rejetée.

En 1827, l’achèvement du canal d’Arles à Bouc, les merveilleux avantages qu’en retirait l’association des vuidanges, attirèrent l’attention de Querry, ingénieur civil à Nimes, sur les marais de la vallée des Baux. Il présenta sa demande en concession de dessèchement, qui était même patronnée par l’administration, et fut soumise aux enquêtes réglementaires le 03 juin 1836. a ce moment, les propriétaires de la vallée des Baux réunis en association se présentèrent eux-mêmes pour exécuter l’opération, ils réclamèrent la préférence que leur accordait la loi de 1807, et devinrent concessionnaires.

Le pétitionnaire dont nous avons parlé aurait rencontré pour mener à fin son entreprise des difficultés considérables. La réussite des propriétaires concessionnaires tient pour beaucoup à ce qu’ils s’étaient assuré d’avance par une transaction passée avec le syndicat des vuidanges, le libre passage de leurs eaux à travers la vallée d’Arles pour rejoindre le canal d’Arles à Bouc.

L’exécution des travaux commença en 1843, et se termina en 1850. la contenance totale comprise dans le périmètre de classement fut arrêtée par l’expertise à 1759 ha.

Le rapport des experts pour la répartition des charges de l’association d’entretien, divisa les terrains desséchés de la manière suivante/
Classes au-dessus du niveau de la mer
1 er classe …...de 3,20……………....145 ha 85 ares
2 e classe…….de 2,40 à 3,20……..143 ha 91 ares
3 e classe…….de 2,60 à 2,90……..167 ha 20 ares
4 e classe…….de 2,30 à 2,60……..390 ha 57 ares
5 e classe…….de 2,10 à 2,30……..422 ha 45 ares
6 e classe…….de 1,70 à 2,10……..214 ha 55 ares
7 e classe…….de 1,70 et dessous 275 ha 82 ares
TOTAL Général……………………...….1759 ha 89 ares

Dans cette contenance, 709 ha appartenaient indivisément aux communes des Baux, Mouriès, Maussane et Paradou. Une commission fut établie par arrête préfectoral du 29 juillet 1851, pour procéder à la répartition de ces 750 ha de marais entre les communes d’abord, et en second lieu entre les habitants ayant pétitionné pour en faire l’exploitation.
Cette opération donna les résultats suivants 
contenances demandes contenance
totales d’exploitation moyenne
Maussane…...245 ha 73 a…...273………………….90 ha
Mouriès……....237 ha 73 a…...474………………….50 ha
Paradou……...102 ha 47 a…….179………………….57 ha
Les Baux……..64 h a 47 a……..111………………....57 ha
Total…………...649 ha 20 a…...1038
déclassées…….66 ha improductives
Total général 709 ha.

Les auteurs du rapport que nous avons déjà cité apprécièrent l’opération du dessèchement de la manière suivante :
Déterminée d’après les bases de l’expertise, la valeur des terrains après le dessèchement se trouva portée à la somme de 2 889 190 francs.
Si l’on veut bien se souvenir du chiffre que nous avons donné plus haut comme exprimant la valeur légale de l’ancien marais 252 000 francs , on verra que la plus-valu produite par l’opération était en nombre rond de 2 600 000 francs . Au terme de l’acte de concession, les quatre cinquièmes de la plus-valu , soit 2 108 960 francs, revenait au concessionnaires, comme prix du dessèchement. La dépense, qui avait été préalablement fixée à 1 200 000 francs, a atteint le chiffre de 2 000 000 francs, l’opération n’a donc presque pas donné de bénéfices aux déssicateurs . Mais que de peine et de soins il a fallu prendre pour arriver à ce résultat ! La société du dessèchement eut la bonne chance de voir l’un de ses membres se dévouer à cette rude tache, et prendre en main la direction de l’entreprise avec une rare intelligence et une infatigable activité. Pour qui a vu les choses de près, c’est là avant tout que se trouve le secret du succès de l’entreprise, et il est au moins douteux qu’elle eut été ainsi conduite , aussi vite et aussi heureusement terminée par un directeur aux appointements choisis en dehors de la société.
Nous avons parlé de la plus-valu attribuée aux dessinateurs, les propriétaire eurent aussi la leur, même en dehors de leur participation au dessèchement, un cinquième leur revenait sur la plus-valu, ils obtenaient ensemble, et comme bénéfice net pour la propriété, une somme de plus de 500 000 francs, soit le double de la valeur du marais avant opération »

Cette œuvre, dont il est impossible de ne pas reconnaître les résultats, a dû aussi en grande partie son succès à la sécurité et à la régularité de son entretien, maintenu, on peut le dire, grâces au dévouement de l’un de ses syndics, qui apporta à cette fin le même zèle qu’il avait apporté au début. Il faut encore compter au nombre des éléments de réussite de ce dessèchement le chiffre des contenances, l’abondance de la population rurale, et la division de la propriété, autant de circonstances en harmonie les uns avec les autres.

Malgré tant de causes de succès et de réussite , le dessèchement ne fut pas pendant longtemps une source de bien abondants et réel revenus. l’écobuage avait été nécessaire à cette terre mouvante et composée presque uniquement de détritus de roseaux, le sol léger qui était le résultat de cette opération répétée était bien souvent soulevé et emporté par le vent, la tourbe inférieure encore imbibée des eaux profondes restait improductive.
Cette situation alarmante est cependant allée s’améliorant, mais sous l’influence de deux circonstances étrangères au dessèchement lui-même, à savoir, d’une part, le développement de l’emploi des engrais chimiques.
Cette situation peut-elle cependant être comparée à celle du terrain de Camargue ?

III. Dans le dessèchement du marais de Beaucaire
Se rencontre l’exemple de travaux s’appliquant à une plus vaste superficie et à une nature de terrains absolument similaires à ceux de notre Camargue, avec un peu de degré de salure de moins.
Nous reproduisons ce qui avait été dit à ce sujet dans l’une des dispositions de l’enquête de 1892.
Depuis 1830, la compagnie du canal du midi a exécuté, sur la partie de la vallée du petit Rhône qui s’étend de Beaucaire à Aigues Mortes un projet analogue à celui dont on propose l’exécution aux propriétaires de Camargue.
Les terrains sur lesquels l’expérimentation a été faite, sont de même nature et de même formation. Seulement l’existence d’un magnifique canal de navigation et la disposition des lieux rendaient l’opération bien plus facile.
Le canal partant de Beaucaire présente 5 griefs.
1/ L’écluse d’accession au Rhône à l’écluse de Charansonne, est à l’étiage du Rhône de 3,63 m au dessus du niveau de la mer, la ligne de flottaison du bief de Charansonne est aussi à l’étiage du fleuve. Par ce bief et en amont de l’écluse de Nourriguier, les marais de Fourques d’une superficie de d’environ 1600 ha, sont irrigués, leur écoulage a lieu dans le bief de Nourriguier, dont la ligne de flottaison est à 2,52m au-dessus du niveau de la mer.
2/ Les marais de Broussan , 200 hectares, arrosés par le même point , s’écoule en amont de St Gilles dans le bief de ce nom, dont la hauteur est de 2,07 m au-dessus de la basse mer.
3/ Les marais de St Gilles et ceux au nord de la Sylve Godesque tirent leurs eaux d’irrigation du petit Rhône, vis à vis de Lauricet, par les prises d’Espeyran et de la Fosse, et par une prise dite de Capette, à la hauteur du mas du Roure en Camargue.
4/ Ces marais, d’une contenance d’environ 4000 ha, ont pour récipient d’écoulage l’étang du Scamandre, dont la superficie est de 800 ha, et dont la profondeur au dessous de la mer est de 1,58 m à 1,70 m.
5/ Enfin, les derniers marais, au midi de la sylve Godesque ayant une superficie d’environ 1500 ha s’écoulent dans l’étang de Leyran, dont la profondeur varie entre 0,90 et 0,50, et s’arrosent par une prise au canal de Sylvéréal, en rejetant leurs eaux superflues par une multitude de canaux dans le Bourgidou, et delà, àla mer au moyen du Rhône vit et du grau d’Aigues-Mortes.

En consultant la carte des travaux, l’on voit au premier aspect la supériorité in contestable que la situation des lieux donne à cette région.

L’écoulement des bassins et l’irrigation sont autant d’oeuvres indépendantes qui fonctionnent autrement que ne pourrait fonctionner le système proposé en Camargue.

Une multitude de rigoles se rattachant aux émissaires principaux permettent d’assécher et d’irriguer le sol, et leur étendue comparée aux canaux principaux et rudimentaires de dessèchement démontre quel immense développement prendraient en Camargue les travaux de même nature.
Cependant qu’a fait la compagnie des canaux de Beaucaire ?
Le voici :
Avec un devis primitif de 2 440 422 francs, dressé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, elle a dépensé en réalité 10 392 715 francs, et en y comprenant les intérêts s’élevant à 16 112 212 francs.
Les actions qui valaient, en 1860, 3 ou 4000 francs avaient coûté, au 31 décembre 1843, 46 669 francs l’une.
L’état des fermages, en 1859, 1860 donnait les résultats suivants :
962 ha 49 a de marais supérieur ont donné en 1859 :……....98 040 fr
826 ha 15 a du même bassin ont donné en 1869 :……….…...75 180 fr
1563 ha 93 a de marais du Scamandre ont donné en 1859 : 59 995 fr
2272 ha du bassin du Leyran n’ont donné en 1859 :………….. 14 701 fr
2372 ha de ce même bassin ont produit en 1860 :…….….……14 840 fr
Enfin en 1859, l’oeuvre entière 3930 ha a produit :…….….…..185 912 fr
Et en 1860, 4930 ha ont produit :…………………………………….......151 723 fr
Et ceci est le produit brut !

D’où la conséquence qu’à l’exception des marais de la Palunette, dont le régime est exceptionnel, les marais de la compagnie ont un prix vénal allant de 400fr à 1000 francs l’hectare.

En considérant que la plaine de Beaucaire est entourée de pays de consommation comme Beaucaire, Bellegarde, St Gilles, Vauvert, Le Caylar, St Laurent, l’on voit que la valeur vénale du marais à atteint tout ce qu’elle pouvait attendre.
Chose remarquable ! La compagnie avait opéré en vertu de la loi de 1807 une œuvre de dessèchement, et elle a dut aux anciens errements. D’où vient cet étrange retour à l’état passé ?
De ce fait élémentaire en agrologie, les plantes ne vivent et n’arrivent à production dans les terres de nature paludéenne qu’a raison de l’abaissement de la couche d’eau au dessus du sol. Ce degré d’abaissement n’ayant point été obtenu, les terrains desséchés ont été impuissants à supporter les blés, les luzernes et même les racines moins profondes des plantes, des prés palustres.
En définitive, pour combattre la tendance marécageuse de ces terrains d’entre Beaucaire et la mer, pour assécher tout le territoire , on a dù augmenter à l’infini le nombre des fioles, décupler les prévisions des dépenses, le tout pour laisser en somme les terres basses revenir a leur point de départ, aux marais roseliers et submergés.
Dans quelques exploitations, de plus d’importance, on est arrivé à avoir :
Des terres hautes non arrosables, mais asséchées et donnant des céréales, des luzernes, plus ou moins abondamment suivant les conditions climatiques de l’année.
Des terres moyennes irrigables et asséchées produisant, suivant leur altitude plus ou moins élevée, plus ou moins d’un fourrage grossier et un peu salé, sans doute facilement consommé par le bétail, mais ne poussant pas à l’engraissement, terres qu’il ne faut arroser qu’avec précaution, pour ne pas leur reconstituer le caractère paludéen.
Enfin, des terres basses, marais arrosables et écoulables, donnant en roseaux de beaux revenus, grâce à la proximité des vignobles du Gard.
Ce sont, en somme, nos exploitations de Camargue.

DE L’IRRIGATION

En ce qui concerne l’irrigation, nous avons déjà fait connaître ce qu’en dit le programme de la sécurité d’études, et nous n’avons que quelques courtes réflexions à faire.
La concession, qui peut être obligatoire pour le dessèchement, ne saurait l’être pour l’irrigation qui, étant une amélioration volontaire, ne peut en aucun cas tomber sous l’application de la loi de 1807. Or, le déchiffrement des marais de la Camargue, loin de créer une plus-valu, comme nous en avons donné des exemples, constituera une dépréciation certaine de la plupart des terrains desséchés, les marais donnant actuellement un revenu certain se transformeront en pâturages salants d’une valeur moindre.

La compagnie concessionnaire du dessèchement attributoire des cotisations d’arrosage n’aurait d’abord que de grosses indemnités à payer aux propriétaires dépossédés. Que si, après le dessèchement, elle souhaitait appliquer l’irrigation aux terrains desséchés pour les mettre en valeur, elle aurait certainement assez de peine à trouver des demandes d’eau parmi les propriétaires qui viendraient d’être exproprié d’une partie de leur domaines, et qui auraient malgré l’indemnité reçue souffert de cette mutilation, dans la partie même à eux conservée, elle devait donc se borner à irriguer son propre domaine, rétrécir ainsi singulièrement le but qu’elle s’était proposé, et aussi ne point retirer les bénéfices sur lesquels elle pouvait avoir compté à ce sujet.

Au reste, en dehors de ces parcelles qui constitueraient son propre domaine ; quelles surfaces pourraient souscrire à la société des unités d’arrosage ?

Les propriétaires ou syndicats ne pourront avoir aucun intérêts à user des canaux principaux de la société, les eaux pures leur sont déjà procurées par les roubines des associations dont ils font partie, ou dont ils ont l’usage et la propriété. Comment s’engageraient-ils, du reste, à payer de nouvelles redevances, alors que leurs domaines sont compris dans le périmètre d’une association qui a transformé sa roubine d’adduction naturelle en canal artificiel, et que des souscriptions fermes et obligatoires ont été faites par eux mêmes pour cette nouvelle entreprise.

N’y aura-t-il pas du reste inconvénient, pour ces propriétaires qui peuvent être desservis autrement, à se fier aux irrigations que leur fournira un canal à prise unique et à s’exposer ainsi à tous les inconvénients d’une communauté d’eaux ?

La compagnie demande que l’état s’engage à ne subventionner à l’avenir aucun groupe intéressé à une nouvelle entreprise d’irrigation, en échange du service qu’elle propose à la généralité des propriétaires. N’y a-t-il pas là une prétention exagérée, en présence de la liberté entière de l’amélioration constituée par l’irrigation ? N’est-ce point là peut être aussi un calcul un peu
égoïste, conçu dans le but de forcer les particuliers à souscrire de nombreux arrosages à la compagnie nouvelle ?