Quiquinou : A la fin de ce mois de janvier, ça a fait 20 ans qu’un certain Goya nous a quitté, tu te souviens de ce jour là ?
Patrick Laurent : Oui bien sûr, c’était le 31 janvier 1986.

Q : Plus que cette date, c’est surtout le taureau qui reste ancré dans toutes les mémoires, on doit t’en parler tous les jours de Goya ! Pourquoi Goya est devenu une légende ?
P.L. : Mon père en parlerait mieux que moi. Mais depuis le temps, j’ai tout viré, analysé, j’ai essayé de comprendre. Moi, j’ai plus connu Goya dans le pays. Et dans le pays, ça restait un taureau hors normes. Pour ma part, je n’ai jamais vu un cavalier et un taureau partir du Petit Badon et venir dans le clos de triage des Marquises. Avec toutes les portes et tous les bois qu’il y a, c’est impossible. Mais lui, à partir du moment qu’il comprenait ce qu’on attendait de lui, il le faisait.
De même qu’en étant castré, il allait souvent dans les vaches pour chercher Baghéra, en dressant la tête comme si quelqu’un cherchait une autre personne dans la foule. Il y a des petites anecdotes comme ça.
Maintenant en piste, les jeunes d’aujourd’hui pourraient penser que c’était avant, et que avant les raseteurs étaient moins physiques. Mais quand on a Castro, Jouannet, Dumas et Pellegrin ce n’était pas des petits bras. Et on peut penser qu’une fois la barrière sautée, c’était fini, mais non.
On ne pouvait pas le canaliser Goya.
Sur la fin il s’est mis dans un angle, le cul aux planches et à attendre. Mais il s’arrêtait, 2 secondes, puis si ça ne venait pas, il allait chercher les hommes et il déstabilisait tout le monde. Un tourneur se présentait, il lui sautait dessus. Et même sur un mauvais raset, il te rattrapait, il te sautait derrière, et il se passait quelque chose et ça, Pellegrin peut en parler mieux que quiconque.
Pour tout ça, il a été statufié et on en parle toujours.

Q : Est-ce qu’il y a des secrets sur Goya qui restent dans la famille, ou alors tout le monde sait tout sur Goya ?
P.L. : Non, non, il n’y a pas de secret jalousement gardé ...
Il n’y a pas de légende non plus, dans la cassette, tout ce que disent Aimé GARCIN, Roland MONNIER, Marcel GUILLARMET et mon père est vrai.
Un jour, il avait "pété" toute les portes, il avait emmené tous les cocardiers dans la cour du mas, il était sur la camelle de foin et il distribuait les ballots et ils mangeaient. C’est vrai !
Quand il avait été boîteux une saison, mon père l’avait enfermé dans la bergerie et le lendemain, il n’y était plus. Par où il était passé ? Ou il a fallu qu’il saute plus de 2 mètres de mur, ou alors qu’il passe sous la porte mais sous la porte, à peine un chien pouvait passer. Si on regarde bien la cassette, quand il saute, il ne saute pas droit, il saute toujours en biais, en tordant son corps. C’est peut être le petit truc qui fait la différence.

Q : Goya était autant aimé que décrié, pourquoi ?
P.L. : Comme toutes les stars. Les gens disaient que c’était un taureau de cirque, que ce n’était pas un vrai cocardier. Goya est arrivé à la même époque à peu près que "El Cordobés" et "les Beatles". Avant les Beatles, il y avait Luis Mariano et avant le Cordobés, il n’y avait que du sérieux aussi.
Avant Goya, c’était des cocardiers sérieux qui se présentaient en piste. Et lui, c’était rien de tout ça. Il avait plus ou moins de placement, mais à chaque course il était là et il faisait quelque chose, il sautait et revenait en piste, il voyait quelqu’un, il le laissait, puis 2 secondes après, en quittant un raset, il allait "choper" cette personne qu’il avait repérée 2 secondes avant.

Q : Tu imagines que toutes les personnes qui ont moins de 25 ans et qui vont te lire ne connaissent Goya que sur cassette ?
P.L. : Oui, mais même moi j’ai douté, passé un moment... mais non ! Peut être qu’aujourd’hui, ça ne serait pas la même chose parce que Lunel n’est plus le Lunel d’avant, mais les raseteurs s’accrochaient quand même et on se demande pourquoi ils ne le rasetaient pas, c’est qu’il avait quelque chose en plus ! Sur la cassette on voit bien que les raseteurs s’accrochent, pourquoi ils en avaient peur alors ?
Quand il prend Pellegrin à Lunel, Pellegrin avait pensé à passer sous le marche pied après avoir sauté, et il le rattrape avant qu’il passe dessous.

Q : Peut être qu’il réfléchissait mieux que Pellegrin ? (rires)
P.L. : Non, peut être pas, mais il réfléchissait mieux qu’un autre taureau, ça c’est sûr.