DEVISE AZUR ET OR

Anciennes ou nouvelles, grandes ou petites, la plupart des manades ont débuté de façon presque identique.

Un veau femelle enlevé au sacrifice du boucher par un grand-père sensibilisé par la triste fin d’une bête de pure race COMBET-GRANON qui avait amusé la jeunesse de son village ; grand-père soudain heureux à l’idée de faire plaisir à ses petits enfants en gardant la jeune vache dans la cour de sa ferme : voilà le commencement d’une vocation de manadier.

En effet, baptisée BICHETTE, la vachette devint un temps la compagne affective des activités et des jeux des petits enfants (nés GUILLIERME) de M. Julien LARNAC leur grand-père maternel.
Mais la bête ayant grandi, elle ne put rester longtemps dans la cour du mas familial à Aimargues et fut jointe aux bêtes du Marquis de BARONCELLI dans les prés du Cailar voisins. C’était en 1907.

Or, pour le Marquis, à l’intégrité parfois excessive, il n’était pas question de s’approprier ni BICHETTE, ni sa progéniture. C’était alors l’occasion pour le grand-père LARNAC d’amener ses petits-enfants en jardinière ou à cheval jusqu’aux pâturages de son ami le Marquis. Toutefois parmi les six frères et soeurs nés de Madame Alice GUILLIERME, la fille de Julien LARNAC, la plus assidue était Antoinette, de son diminutif FANFONNE.
Il faut dire que dans la famille GUILLIERME on pratiquait régulièrement l’équitation même en région parisienne où elle s’était installée avant de revenir au pays au Mas de Praviel (vieux pré) à Aimargues en 1905.
Fanfonne avait dix ans.
A Aimargues, en pays de bouvine, elle eut vite un cheval dans le vieux pré pour aller rendre visite aux manades voisines et se familiariser aux activités gardiannes.

 1920 : La manade GRAND-GUILLIERME

C’était l’époque d’avant la Grande Guerre alors qu’il y avait beaucoup moins de manades et surtout beaucoup moins de clôtures.
Le plus souvent les bêtes étaient gardées à "bâton planté" à vue, à cheval ou même à pied. Quelques bêtes de plus ou de moins, ce n’était pas une affaire, et, chez le Marquis, toute la descendance de BICHETTE, délivrée du couteau du boucher, put proliférer en toute quiétude. Mais vint tout de même un temps où il fallut bien aux GUILLIERME prendre une décision, d’autant plus que FANFONNE était devenue une excellente cavalière passionnée de bouvine.

Après avoir, un temps, parqué ses bêtes à Praviel, la famille GUILLIERME s’associa à la famille GRAND du Mas des Bruns en Camargue pour fonder la manade GRAND-GUILLIERME en 1920.
Quelques temps plus tardif avec l’acquisition de la petite manade ABEL de Calvisson d’origine LESCOT-RAYNAUD, l’effectif grandit certes, mais, avec des sangs mêlés il fallut entreprendre une sévère sélection.

Or au Mas des Bruns, il ne manque pas de gens compétents : Maurice GRAND et ses fils Antoine, Marcel, Jean-Marc ; Fanfonne GUILLIERME et ses frères Charles et Pierre, sans oublier les gardians Marius FAVIER et René CHABAUD.
Il ne reste plus à la nouvelle manade GRAND-GUILLIERME à faire courir ses bêtes dans des arènes. Elle va alors commencer à se faire connaître avec LOU BOUCHARD, taureau roux de race espagnole, qui va gagner une coupe à Arles en 1923.
Aux Bruns, il y a aussi dans les années 20, REMPART, MARSILLARGUOIS, CYRANO, DRAPEAU, CAILAREN, ENVELA et surtout AIGUES-MORTAIS qui gagne lui aussi une Coupe à Arles en 1929.

Plus tard, dans les années 30 apparaissent d’autres bons cocardiers tels DUR, FRISÉ, ROMAIN, RINARD, CHARMENTOU, CALVISSOUNEN, LIEUTENANT, BOUMIAN qui font maintes fois honneur à leur devise dans divers arènes.

 1938 : Jacques ASPELLY gardianoun

Outre les gardians de métier salariés, les manades accueillent des gardians amateurs bénévoles, voire des apprentis gardians ou gardianoun.

Aux Bruns se réunissent ainsi Gaston LHOUSTAU, Maurice VEDEL, François ANDRÉ, André BOUIX et bien d’autres passionnés de bouvine, tels Marceau TOURREAU, René JALABERT et surtout Jacques ESPELLY que Fanfonne GUILLIERME appréciera particulièrement pour le garder au service de ses bêtes jusqu’au-delà de sa disparition en une succession réussie.

Santen d’origine, né le 11 novembre 1921, année de la mort de Charles COMBET, fondateur de la prestigieuse manade où est née BICHETTE, première génétrice des GUILLIERME, Jacques ESPELLY est arrivé aux Bruns en 1938 et a succédé au baïle-gardian René CHABAUD en 1949.

Avec son frère Armand qui vient le rejoindre en 1944, il va continuer avec dévouement et compétence l’œuvre entreprise par ses prédécesseurs et, en étroite collaboration avec sa patronne, Mlle Fanfonne GUILLIERME, amener la devise azur et or jusqu’à la gloire des deux biòu d’Or : GALAPIAN en 1968 et SEGREN en 1983.

Mais le métier de gardian n’est malheureusement pas fait uniquement d’heures de joie et d’honneur.
Il y a aussi le mauvais temps à affronter, les rudes hivers à passer souvent en rase campagne, toutes les servitudes obscures du bouvier sans oublier les souffrances et les blessures dues à des chutes de cheval ou des coups de corne.
D’ailleurs Jacques ESPELLY en porte la marque indélébile, séquelle d’une fracture de l’apophyse de la première vertèbre cervicale, handicap qui ne lui a pas enlevé sa jovialité et son vif esprit. "Ce sont les risques du métier" dit-il avec sa faconde habituelle.

Il faut dire aussi que Jacques ESPELLY ne s’est pas contenté d’être un simple gardian salarié, son mariage avec Magali, sœur du manadier Hubert YONNET de la BELUGO, l’ayant doté de quelques bêtes de bonne race de descendance BARONCELLI.
Dès lors, la participation de Jacques ESPELLY à la gestion de l’élevage allait être sans cesse grandissante surtout après le départ de la manade GUILLIERME vers ses seules destinées en 1956.

 GRAND-GUILLIERME-LHOUSTAU

Mais avant d’en arriver là, revenons au Mas des Bruns dans les années 40.
Malgré bien des vicissitudes, l’effectif du bétail grandissait et la recherche d’autres pâturages s’imposait.
C’est alors que Gaston LHOUSTAU, jusque-là gardian amateur, trouva à louer des terres à Saint-Andiol du côté de Gagéron puis acheta quelques bêtes.
Ainsi fonctionna durant quelques années l’association GRAND-GUIL-LIERME-LHOUSTAU surtout à cause des pâturages.

Par bonheur, apparut, au début des années 50, un grand cocardier marqué du fer des GUILLIERME, le célèbre CHINCHEU, redoutable escrimeur qui triompha maintes fois dans diverses arènes méridionales.

Tête d’affiche, CHINCHEÜ permit à d’autres bons taureaux tels BASCARIN, DUC, SAUNIER, GALANT, CIGALOUN, CAMBET, LIEUTENANT II, FEND LA BISE de courir avec succès à ses côtés.

 1956 : la manade GUILLIERME enfin seule

Naturellement avec l’acquisition d’une certaine notoriété et après une cogestion de début vient le moment de la séparation.
Dès 1950, Gaston LHOUSTAU crée avec Maurice VEDEL la manade du LANGUEDOC.
Puis Mademoiselle Fanfonne GUILLIERME, cavalière émérite en voie de devenir la "grande dame de la bouvine", va s’installer en 1956 avec ses deux gardians, Jacques et Armand ESPELLY sur les pâturages du Mas de Signoret.

 PIMPAN : premier trophée

Enfin seule face à son destin, la manade GUILLIERME va pouvoir poursuivre son ascension vers le sommet de l’affiche de la course camarguaise et acquérir cette aura des gens de grande qualité.

Dans le sillage de CHINCHEÜ va alors arriver un autre brillant cocardier du
nom de PIMPAN (tènement camarguais du côté des Saintes).
D’une remarquable combativité, PIMPAN est prodigue en spectaculaires actions aux planches et, le 15 septembre 1957, il réalise à Mouriès une course sensationnelle qui lui vaut le Trophée du sculpteur Soccorsi, premier trophée que reçoit avec émotion Fanfonne GUILLIERME qui va avoir soixante-deux ans et monte toujours allègrement à cheval.

A cette époque, se montraient également très combattifs les CLANCLAN, CHARMENTOUN, CLAMADOU, CASTOR, FLAMANT, AVOCAT, SAINT-OMER qui préparèrent la manade de SIGNORET aux honneurs du Trident d’Or avec une participation à la finale en 1961, puis enfin une victoire en 1962 avec DÉSIRÉ, DON JOSÉ et MESSORGUE ce dernier allant même devenir par la suite le chef de file de la devise azur et or jusqu’à la consécration du cocardier GALAPIAN sacré Biòu d’Or en 1968.

Fanfonne GUILLIERME a soixante-treize ans.
Avec ses connaissances taurines et équestres plus qu’affirmées, sa silhouette si caractéristique avec son grand chapeau, son doux visage et son charisme, elle va devenir "la Grande Dame de la Bouvine" et connaître tous
les honneurs.