Il souffle depuis quelque temps en province un vent de décentralisation qui devrait bien aller au-delà du mouvement littéraire. Certains esprits critiques et chagrins, sans vouloir cependant le rétablissement des états provinciaux, se prennent parfois à regretter la vitalité propre qu’ils répandaient autour d’eux et les droits qu’ils savaient maintenir. On se sentait alors soutenu contre les abus de l’autorité, on tenait têteaux parlements et les requêtes adressées au Conseil d’Etat par MM les syndics généraux avaient une autre importance que l’humble pétition sur timbre du pauvre contribuable écrasé par mégarde.

C’était en effet un véritable office qu’instituaient « les gens des trois états du pays de Languedoc » en nommant leur syndic. Ils le nommaient à vie, sans qu’il pût être dépossédé de sa charge que par mort, forfaiture ou promotion à quelque office incompatible avec elle. Ils le firent bien voir en 1520 et en 1554, en maintenant leurs titulaires malgré la révocation de la Sénéchaussée de Carcassonne et les inhibitions du parlement de Toulouse. Les requêtes étaient assez nombreuses, si j’en juge par les minutes de l’avocat au parlement, Daniel Bargeton, qui avait la confiance des syndics, confiance méritée par sa qualité de compatriote et par la grande réputation de juris consulte dont il jouissait à Paris. Je choisis, entre beaucoup d’autres, une affaire importante alors pour notre ville, parce qu’elle touchait aux intérêts d’un certain nombre de ses habitants, intéressante pour nous aujourd’hui, parce quelle évoque tous les souvenirs de son passé.

En 1742, les directeurs des finances s’avisèrent qu’il existait à Nimes, dans l’ancien amphithéâtre, des maisons bâties dans son cirque, sous ses portiques et sur ses gradins, et dont les propriétaires seraient peut-être bien embarrassés pour prouver leur droit de propriété. En conséquence, par arrêt du conseil, ils furent taxés solidairement, pour droit de confirmation, à la somme de dix milles livres, dont le quart exigible pour forme de consignation fut payé bon gré mal gré, avec frais de procédures, saisies et exécutions pour les récalcitrants.

Les habitants ainsi taxés réclamèrent par l’organe de leur syndic, et l’avocat Bargeton fut chargé de préparer leur défense ; les consuls rédigèrent également leur protestation. Son plan était d’établir qu’il n’était pas soutenable que l’amphithéâtre fit parti du domaine royal, et qu’en tout cas, les habitations construites dans son enceinte rentraient dans le droit commun. Pour cela, il racontait l’histoire de cette singulière agglomération, petite ville enclavée dans la grande, et qui avait eu si longtemps son existence propre, ses privilèges, sa paroisse et ses consuls. De son temps, c’était de l’érudition ; de nos jours, c’est une redite que le lecteur me pardonnera, je l’espère, parce quelle n’a pour but que de faire ressortir les droits de la ville sur ses Arènes.

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