Elles se hâtent, les bras chargés de boutons de rose, de tiges de saladelles et de rameaux d’olivier, vers la chapelle du Palais du Roure, où repose la dépouille de ce marquis de légende, qui, pendant vingts ans, les entraîna de fête en fête et de ville en ville, pour l’honneur de la Provence, à travers le plus ahurissant et le plus prodigieux des contes de fées.
Et se hâtent aussi tous ceux qui partagèrent les fastes de ce conte, gardians, caraques, pêcheurs et paysans de cette terre de Provence et de Languedoc sur laquelle, à l’annonce de la fin de Folco, vient de tomber une tristesse insurmontable.
La nouvelle, de proche en proche, a couvert tout le vignoble et gagné le marais. Jusqu’à la mer on sait.

Toute cette nuit on a, sur les routes familières cherché le chemin d’Avignon. Les grands chefs gitans, les capitaines et prieurs gardians, les marins, les fourcadiers ont rassemblés leurs hommes. Les saquetons camarguais , les éperons et les tridents ont roulés en vrac dans les couloirs de trains surchargés, mêlés aux bagages des pauvres gens que la guerre déplace en tout sens. Des chevaux ont trottés du crépuscule au point du jour. Des carrioles ont roulées dans le petit matin.
Et c’était beau, en cette semaine exceptionnelle, c’était beau comme prélude à Noël, beau comme la marche à l’étoile des santons de la crèche.
Ils sont venu pour la dernière parade, le dernier défilé, la dernière abrivade avant la bandide. Il les entend il est là, couché, dans sa veste de velours noir et son pantalon de peau de taupe, comme aux beaux jours où, le fer à l’étrier, il les appelait fiévreusement :
« Li chato passa davans ! Li qu’avès de fèrri, darrièli pavaioun ! Aloungas lou pas que sian en retard ! » (1)

Tout se déroulera aujourd’hui comme s’il commandait, chato, fanions et tridents. Tous restent, traits tirés, mâchoires contractées, aux ordres de ce mort à qui ils n’ont pas cessé d’appartenir.
Ils se sentent sous son regard, son regard de l’au-delà, aussi bien dans sa maison que dans la rue ou à l’église. Ce sont des femmes fortes, des hommes rudes, et cependant ils pleurent tous. Et l’adolescent au visage blême , qui, derrière le char funèbre conduit à pied , le cheval de bouvine à la selle cravatée de crêpe, la monture préférée du Marquis incline un visage ruisselant de larmes.

Des marches de St Agricol à la place de l’horloge, de la place du change à la Bonneterie, et de la place Pie au quartier St Lazare, les Avignonais, tête nue, regardent leur Folco papalin les passer en revue une dernière fois.
Et, comme aux grands jours de fête, comme aux loges présidentielles des arènes du pays d’Oc, il a auprès de lui du beau monde, préfets, maires, magistrats, chanoines, artistes, écrivains, capouliers, majoraux. Il y a des chapes, des cordons, des draps, des étendards ?Et des généraux se sont mis pour lui en grande tenues.

FARFANTELLO*