Au point de vue de la course libre, l’année a été brillante. De belles courses ont été organisées dans toutes les villes et villages. L’expérience que nous préconisions ici l’an dernier a parfaitement réussi et de grands cocardiers ont été à Saint Rémy, Graveson, le Sanglier a même couru à Aramon.

Les raseteurs, toujours les mêmes, Rey est incontestablement le meilleur du moment, mais Bouterin a fini la saison en beauté, pourrait-on dire, et a la dernière course d’Arles, il a connu un des plus grands triomphes de sa carrière. Gleize, Méric, Rognure, qui razetaient déjà en 1910, se font lourds, mais, l’amour aidant, ils sont toujours là pour donner la main aux camarades.

Le Sanglier est toujours le meilleur cocardier et, cette année encore, c’est sûrement lui qui a retourné sa devise au toril le plus grand nombre de fois. Cependant il ne me paraît pas aussi brillant et ses dernières courses n’ont pas été aussi facile pour lui.

Certes, je sais qu’on ne le décoiffe pas facilement, mais tous les amateurs de course libre conviennent que le taureau n’a pas la même vitesse, le même jarret, il se garde beaucoup, grande qualité pour un cocardier, mais aussi combien est moins brillante la course d’un taureau qui se garde ! Son plus grand défaut est de vieillir, aussi je ne pense pas que 1926 lui ramène cette grande forme qui en fit le plus grand cocardier de l’époque.

Le Bandot a fait une saison remarquable, à Graveson, notamment, il glaça les raseteurs.

Le petit Cogne, le Frisé, le Cortijano, le Pas Poulit, on en a bien peu parlé en définitive, surtout en fin de saison, le Joffre, le Biscuit et tant d’autres taureaux que j’oublie font de brillantes courses et chaque manadier peut faire bonne figure dans les concours que les imprésarios organisent dans les grandes arènes de la région.

La direction des arènes d’Arles tient la tête et de loin, pour l’organisation des courses libres. C’est à Arles qu’ont eu lieu les courses les plus brillantes, à Arles qu’a passé le plus grand nombre de redoutables cocardiers.

Plusieurs concours entre manadiers Provençaux ou Languedociens ou bien encore entre Languedociens et Provençaux ont été organisés et le succès des courses libres en Arles avait attiré en fin de saison de nombreux étrangers au pays, qui sont toujours repartis satisfaits.

Nîmes et Lunel viennent ensuite, et je crois que Montpellier a su organiser aussi de beaux spectacles.
En novembre, le Sanglier est même paru aux arènes du Clapas.

Devons nous être aussi heureux au point de vue corrida ?
Non, année de déception, année de désenchantement, année de recul, voilà pour les corridas. Les as, ou soi-disant tels, se sont un peu plus diminués, et pas une seule étoile n’est venu briller au ciel obscur et sombre de l’aficion.
Je crois que les plus belles ovations de la saison ont été entendues par Catalino l’écarteur. C’est dire l’insignifiance de la temporada qui s’efface lentement à l’horizon.

Notons de suite, , car elle sont les seules, deux victoires éclatantes remportées par le « Toril » : suppression presque totale du nom de Canero sur les affiches de France, engagement de plusieurs ganaderos qui ont la réputation d’amener des toros aux corrals.
Bravo pour la campagne des « toros de poids et braves »

Nous pourrions devoir les comptes rendus de toutes les corridas en France. Pas une seule où les aficionados aient été pleinement satisfaits.
Ne regardons pas vers le passé et tournons nous vers cette année qui s’ouvre, que nous donnera 1926 ?
Aurons-nous des corridas, dirais-je plutôt.

Les aficionados, quels qu’ils soient, regardent tous les jours l’ascension lente mais continue de la peseta, la dépréciation de notre malheureux franc. Même en l’état actuel des choses, l’organisation des corridas ne serait pas facile. Disons-nous bien, amis aficionados, qu’il faut multiplier par 3,70 le prix de revient des matadors, toros et frais de transport jusqu’à la frontière.
Aussi faut-il que nous préparions de suite à ce gros sacrifice pour cette année, il faut que nous commencions à étudier, en utilisant toutes les compétences, un projet pour pour organiser des corridas malgré tout.

Car il faut bien nous pénétrer que si les imprésarios français ferment les arènes pour un an ou deux, c’est fini pour longtemps des corridas en France et peut-être serons nous obligés de revenir aux manifestations d’il y a quatre ans pour sauver les fiesta.
Souvenons-nous qu’il y a une bande d’imbéciles qui veulent supprimer la corrida parce qu’elle est sanguinaire et inhumaine.

Il apparaît cependant qu’il y à beaucoup à faire pour améliorer la situation des empressas.
Tout d’abord et sans avoir grande confiance en la sentimentalité des commerçants de la corrida, il me semble qu’une démarche collective et sérieuse des imprésarios français, auprès du syndicat des matadors et de celui des ganaderos, pourrait entraîner un rabais important sur le prix des toros et le cachet des matadors.
Je suis bien persuadé que Lalanda, Chicuelo et autres ne sont pas payés si cher qu’à Nîmes lorsqu’ils toréent à Valence, Bilbao ou Séville.

Les groupements taurins et régionalistes, qui paraissent s’être endormis depuis quelques temps, pourraient intervenir d’une façon ferme, mais surtout significative, auprès de nos amis d’outremonts.
On peut facilement prouver aux intéressés quel désastre serait pour eux la suppression de la corrida en France, et leur demander quelques sacrifices en attendant que le franc vaille la peseta.

Les villes intéressées, Nîmes, Béziers, Bordeaux, Dax, Bayonne, ne pourraient-elles intervenir auprès des pouvoirs public pour faire diminuer la taxe formidable qu’absorbe la régie sur les recettes des directeurs ?
Il me semble que les sacrifices consentis par l’état sur les recettes des théâtres ou cinémas doivent être accordés aux organisateurs de corrida, spectacle favori de centaines de milliers de Français.

Les municipalités des villes ci-dessus se doivent elles aussi, de faire un effort pour aider les directeurs d’arènes. Peut-on concevoir, par exemple, que l’impresario de Nîmes continue de payer la forte somme qu’il offrit à l’adjudication, alors que la peseta était à 260, tandis qu’elle est aujourd’hui, 1er décembre, à 367, certaines villes votent des fonds pour organiser des corridas, toutes les municipalités aficionadas doivent les imiter.
Les commerçants eux-même, ils sont nombreux ceux qui ont intérêt à l’affaire, ne peuvent-ils faire un effort ? Les comités des fêtes, les comités des commerçants qui interviennent dans les frais d’organisation des bals, cortèges carnavalesques, redoute, ne pourraient-ils intervenir alors qu’il s’agit de sauver notre fiesta préférée ? Évidemment tout cela demande de l’entente, mais il faut tout mettre en action plutôt que de voir marquer un temps d’arrêt qui pourrait être funeste.
Et maintenant, amis aficionados, tenez-vous bien. Je sais qu’ici je ne vais pas railler tous les suffrages. Si malgré toutes ces démarches, subventions et interventions, on pouvait organiser de grandes corridas avec les as, j’aimerais mieux voir toréer des hommes de deuxième et troisième ordre plutôt que de ne pas voir de courses.
Qu’on laisse de l’autre côté de la frontière ces matadors à 12 et 13000 pesetas. Que les imprésarios engagent de modestes et consciencieux toreros de deuxième file. Il y en a qui travaillent pour 2000 ou 3000 pesetas. Et il ne me déplairait pas, pendant nos années de misère, de revoir Larita, Ventoldra, Mariano, Montès, Alcalareno, ou des jeunes n’ayant pas encore reçu l’alternative de Madrid, comme Manolo Martinez qui fait des courses brillantes au Mexique. Disons aux organisateurs qu’il faut tout essayer plutôt que de fermer les portes. Certes, je ne veut pas dire que nous tolérerons quoi que ce soit et qui que ce soit. Non, si par bonheur le franc revenait à sa valeur normale, nous ne saurions tolérer l’organisation de ces spectacles de misère. Mais je sais aussi que personne ne voudra organiser pour manger de l’argent. Le temps des mécènes n’est pas le notre, il faut donc se débrouiller autrement.

J’espère que de Bordeaux à Nice nous serons assez nombreux pour penser ainsi pour que vive la corrida en 1926.
TAMARISSO