Celui qui avait eu la " triple couronne ", fait unique dans les annales taurines, en étant sacré " Biòu d’Or ", Diplôme d’Or de l’Aficion et vainqueur de la Cocarde d’Or, a succombé au bout de deux semaines au coup de corne meurtrier infligé dans la manade par un taù " Pinceau ".

Déjà, le lundi 23 avril, à Mouriès, on savait que cette très grave blessure qui avait percé la panse, ne laissait guère de chances au cocardier de s’en sortir.
Et effectivement, malgré les soins, Segren ne devait pas survivre et le jeudi 3 mai 1984, la nouvelle de sa mort s’est répandue comme une traînée de poudre.

Immense perte pour la manade Fan-forme Guillierme et aussi pour les afeciounado, car un taureau de cette envergure va cruellement manquer dans les grandes compétitions où il devait figurer : concours de la Féria nimoise, Cocarde d’Or, Palme d’Or.

Né le 24 mai 1971, SEGREN qui allait donc avoir 13 ans, était en pleine possession de ses moyens.
Des premiers lauriers cueillis à l’âge de cinq ans en 1976 : Coupe de l’A.J.A.C., le 13 juin à Beauvoisin et Biòu d’Argent à Aramon, le 4 septembre avec sa participation à la Finale du Trident d’Or à Salin-de-Giraud jusqu’à son année exceptionnelle et sa triple victoire, l’an dernier (1983 ) Segren avait apporté à Pratviel 10 récompenses, dont quelques-unes parmi les plus convoitées et les plus illustres.

Nous voudrions simplement dire l’essentiel, ce qui restera gravé dans la mémoire des afeciounado et ce que la postérité retiendra, car ce cocardier racé a marqué incontestablement les dernières temporadas et particulièrement celle de 1983.

Déjà, en 1981, le Prix du Meilleur Taureau de la Cocarde d’Or dans ce contexte toujours si difficile et redouté, et l’année suivante, celui du meilleur cocardier de la Finale du Trophée de l’Aficion Provence-Languedoc à Nîmes, avaient attiré la considération des afeciounado pour un taureau qui inspirait le respect aux raseteurs et savait s’imposer dans toutes les pistes et dans les grandes compétitions.

Mais, en 1983, comment oublier jamais, ce titre suprême de Biòu d’Or, ô combien mérité, quoique acquis d’extrême justesse, et cette ovation formidable et interminable, descendant du haut des gradins dans la piste, que reçut Fanfonne Guillierme, traversant la piste aux bras de ses gardians Jacques et Armand Espelly pour venir recevoir son bouquet.

Ce sont là des images qui ne s’effaceront jamais de la mémoire des milliers d’afeciounado garnissant l’amphithéâtre arlésien : l’hommage à travers un cocardier de classe, de tout un peuple à la grande dame de la bouvine. Geste et ovation qui se renouvelleront huit jours plus tard, dans la piste de Nîmes pour recevoir le Diplôme d’Or de l’Aficion.

Et aussi, et peut-être surtout, cette prestation supérieure en tous points, cette tenue de piste exceptionnelle à la Cocarde d’Or, ce 1er juillet, devant 52 hommes, ce combat mené de main de maître, cette vigilance rarement prise en défaut, ses ripostes et ses anticipations obligeant souvent ses adversaires devenus rares et prudents à rompre, en un mot conduisant sa course comme il l’entendait et conservant victorieusement sa deuxième ficelle : une prestation remarquable, peut-être la plus belle de sa carrière.

Une ovation immense à la rentrée qui éclata à nouveau lors de la proclamation des résultats lorsque Jacques Fspelly vient porter en courant la gerbe de fleurs à Fanfonne, heureuse, fêtée et acclamée par un public debout.

Blessé à l’oeil en fin de saison 1981, il avait, semble-t-il, retrouvé une partie de sa vision, mais il n’en restait pas moins un danger constant pour les hommes à la barrière, et Gérard Barbeyrac s’en aperçut lorsqu’il fut grièvement blessé à la cuisse dans la piste du Grau-du-Roi, le 2 mai 1982.
Tête haute et fière, SEGREN était un cocardier comme on aimerait en voir plus souvent : un taureau inspirant la réflexion et la prudence aux hommes et sachant s’imposer dans les conditions les plus difficiles.

Sa mort prématurée rappelant celle de PROVENCO du Marquis au début du siècle, tué par ses propres rejetons, ajoutera une légende supplémentaire, ce qu’on regrettera quand même toujours.

Adieu SEGREN, dont le nom signifiait en Provençal " crainte secrète, appréhension douloureuse, sombre pressentiment et aussi terreur ", et pour toutes les belles joies données aux afeciounado : merci.