Marcel Raynaud :
« Mon grand-père était dragon dans l’armée française ; il a fait la guerre en entier. Et mon père a également servi dans l’armée. Bien évidemment, il s’occupait des chevaux.
Le capitaine du régiment n’a pas voulu écouter mon père qui lui disait que le cheval n’était bon pour la revue.
Lorsqu’il est monté, le cheval a rué et l’a jeté par-terre, devant ses troupes.
Par la suite, il a fait confiance au jugement de mon père concernant les chevaux.
Les gardians étaient fiers de servir dans l’artillerie. »

« Un gardian fait le cheval à sa main ; la complicité est très importante.
En 75 ans, de gardian, j’en ai monté des bons, mais le meilleur s’appelait Forcado, un cheval portugais ; il a été mon champion.

La selle camarguaise pèse de plus en plus lourd, mais je me régale toujours quand je suis dessus.
J’ai passé un hiver complet dans le Bois des Rièges avec Bonafous.
Pour se nourrir, on avait droit à cinq pièges pour attraper du gibier. Chaque jour, nous faisions trente kilomètres avec les taureaux.
Et on faisait nos sedens nous-mêmes.
Je ne sais pas si c’est parce que j’étais jeune, mais cet hiver est sans doute le plus beau de ma vie de gardian. »

« Pour pouvoir faire pâturer les bêtes dans les prés du Cailar, la règle était d’avoir un toit fumant.
Entre les taureaux de Lafont, Raynaud, Aubanel, Rebuffat et Fanfonne, les prés du Cailar étaient petits, mais on s’entendait tous à merveille.

Un jour, à la tour d’Anglas, nous avons mangé avec André Cabanel.
Des souris sont arrivées et se sont mis à manger son pain.
André nous a dit : ’’Ne vous inquiétez pas, ce sont des amies’’.

Concernant les transhumances, c’étaient le Vistre et le Vidourle qui décidaient.
J’ai gardé les taureaux à bâton planté, car les pâturages n’étaient pas clôturés par du fil de fer barbelé ; ça m’a appris le métier. »

Jean-Pierre Durrieu :
« Je suis arrivé aux Hourtès en 1959, et je suis d’accord avec Marcel Raynaud : garder à bâton planté a été une excellente école pour le métier de gardian.

Pour moi, un bon gardian doit connaître ses bêtes, et celles des autres manades.

Les manades Aubanel et Lafont pâturaient souvent côte à côte.
Je m’entendais bien avec Gaby, le baile d’Henri Aubanel.
Dès qu’une bête de Lafont filait dans une autre manade, j’allais la trier pour la ramener aux Hourtès, ou à Anglas.
Parfois, c’était Gaby qui me ramenait un taureau qui venait aux Demoiselles, ou qu’il avait vu dans les pâturages d’une autre manade.
Il y a toujours eu beaucoup de confiance entre nous, et entre les gardians en général. »

Il fut également question d’événements plus tragiques, qui ont endeuillé les prés du Cailar :

  • la mort des gardians D’Hondt, père et fils, de la manade Delbosc (1944).

Marcel Raynaud :
« Je gardais les taureaux au pont de la Clapière le jour où Georges D’Hondt, et son fils Georgé, ont été tués par l’explosion d’une grenade. »

  • les soixante cinq taureaux de la manade Henri Aubanel, noyés dans le Vistre (1973).

Jean-Pierre Durrieu :
« Dès que j’ai appris que des taureaux d’Henri Aubanel s’étaient noyés dans le Vistre, je me suis rendu sur place.
Gaby pleurait à chaudes larmes.
Les taureaux appartenaient à Aubanel, mais il les aimait comme s’ils étaient les siens.
Je l’ai consolé du mieux que j’ai pu, mais c’était la fin pour lui. »

  • les gardians Marcel Ferraud et Gérard Rouquairol, victimes des crues du Vistre (1977).

Jean-Pierre Durrieu :
« Quand Louis Nicollin a racheté la manade à Jean Lafont, je lui parlé des crues du Vistre, qui ont coûté la vie à Ferraud et Rouquairol, et à la moitié de la manade Aubanel.
Il a acheté les terres hautes d’Anglas pour lutter contre les inondations, et éviter que ces tragédies se reproduisent. »

Le mot de la fin revient à Marcel Raynaud :
« Jean-Pierre Durrieu ne me contredira pas : nous sommes des bergers de taureaux.
Je vis avec mon temps.
Les abrivados et les bandidos ne se font plus avec les cocardiers de la course, il faut mettre des beaucairoises aux intersections des rues, et les taureaux de la course sont amenés en char.
Et il y a ces gens, les atrapaïres, qui cherchent à coucher le taureau.
Les antis se serviront de ça et un jour, ça finira mal, ou ça finira.

Quand je discute avec les jeunes gardians, afin de partager mon expérience, je ressens l’écart entre eux et moi concernant le métier de gardian, et les changements que j’ai vu.
Ils me disent : ’’monsieur Raynaud, vous êtes un grand manadier, mais il faut s’adapter au monde moderne.
Vous raisonnez comme les pastres d’avant’’.
Me dire que je suis un pastre, ce n’est pas une critique, mais le plus compliment que l’on puisse me faire.
Je le revendique : je suis un pastre. »