Que ce soit dans le delta, en petite Camargue ou sur la costière, en un mot, dans le pays taurin, lorsque une manade se retrouve en difficulté, il est coutume que les gardians des mas voisins accourent pour prêter main forte. C’est une règle immuable à laquelle le gardian ne faillit. Les recherches furent vaines.

Au printemps, à l’époque où l’on coupe les crinières des juments, crin qui sert à confectionner les “ sedens”, orgueil de la bouvine que se doit de posséder tout gardian, trois veaux de disparurent coup sur coup.
A l’automne, les disparitions s’élevèrent à douze.
Le Grand Sambuc, travaillait sans relâche, veillait sans arrêt ne laissant plus les bêtes pâturer la nuit sur le grand pays. Certains laurons furent même entourés de fil barbelé.

Un soir, le propriétaire de la manade, le “pelot” que l’état de choses commençaient à émouvoir, se manifeste assez durement :
Virgile, lui dit-il je ne veux plus entendre parler de laurons, c’ est absurde, cherche et trouve la vraie raison de ces disparitions

Stupéfait, le Grand Sambuc le dit :
Maître, dit il d’une voix chargée d’émotion, c’est peut être une fatalité, mais seuls les laurons sont responsables, les eaux exceptionnelles de cette année ont dénaturé le terrain. Le bétail cherche en vain sous l’eau une nourriture qui ne se trouve pas , le parcours en est faussé.

A l’issue de cette pénible discussion, ce qui se passa dans l’esprit du Grand Sambuc, nul ne le sut, sans doute la crise de conscience qui en découla fut a l’origine de son geste. Cet homme simple intègre, ami des bêtes éprouva une profonde amertume dont il pouvait seul en comprendre la tristesse.

L’hiver avait repris ses droits avec vent, pluie et gel.
Une fin d’après midi, les gens du mas furent attirés par les préparatifs du gardian dans le clos de triage, une trentaine de bêtes parquées à l’écart du gros de la manade attendaient.. ces bêtes lui appartenaient en propre, comme il se faisait à l’époque et comme il se fait encore de nos jours, le manadier tolère l’herbage de quelques taureaux propriété de son bayle-gardian.
Le Grand Sambuc poussa ses bêtes dans l’allée principale. Il ne fit aucun geste vers son pélot qui regardait, nettement surpris et médusé, seuls leurs regards se croisèrent et se comprirent, certainement trop tard. Il releva, vers les gens du mas son trident en guise de salut et lança sa petite manade vers les laurons du grand marais…

C’est ainsi que le Grand Sambuc, entra dans la légende qui sans cesse se transforme pour que son souvenir soit plus grand, plus beau, aux yeux des nouvelles générations des gens de bouvino.

Lucien Sangor