Branche du milieu
Le bras qui se terminait par le Grau des Marseillais, au temps de Pline comme à l’époque de l’itinéraire d’Antonin, c’est-à-dire pendant toute la durée de l’empire romain, devait suivre le lit actuel depuis Arles jusqu’au mas de Beaujeu, sur la rive droite, vis-à-vis de Champtercier, où était la prise d’eau de la Fosse Marienne, rive gauche. A partir du Mas de Beaujeu, le fleuve descendait en ligne droite à la Tour de Vazel en passant par les Mas de la Chassagnette, de Guinot e de Paulon, il fléchissait ensuite vers l’étang de Valcarès, (4) puis gagnait , par un nouveau coude, la Tour de Valat (5) et avait son embouchure, au 4e siècle de JC, vers le mas des Marquises, où nous avons porté, d’après les mesures anciennes, le Grau des Marseillais. Partout le lit ancien de ce bras, qui était le principal ; d’après Pline, et qui demeura tel pendant tout le moyen âge, comme le prouve l’immense saillie formée par les apports du fleuve, depuis le 4e siècle jusqu’aux temps modernes, est facile a reconnaitre encore aujourd’hui, car il est marqué par Roubine de Bouic, les marais du Grenouillet et de la Tour de Vallat, le fossé marécageux qui passe entre le mas des Garcines à l’est et l’ancienne saline de la Tour de Vallat, enfin par la Baïsse de la Redonne.
Depuis le quatrième siècle jusqu’à la fin du moyen âge, ce bras ne cessa de s’allonger, la côte s’avançant toujours vers la mer par suite des apports. On peut conjecturer que l’embouchure était, à cette époque, vers l’étang du Fangassier, ou bien vers la ruine qui porte le nom significatif de Tourvieille ou Tour de Tampan, (6) laquelle est marquée sur la carte manuscrite de 1665.

D’après cela, on doit supposer que les deux iles, aujourd’hui rattachées au continent ; mais qui existaient au temps de Pline et se retrouvent encore dans les portulans espagnols du seizième siècle étaient : l’une, entre Chartrouse et Paulet, vers l’étang de Giraud, et l’autre, entre Saint Bertrand et l’étang de Beauduc ; de plus, que le grau qui les séparait peut être tracé entre le mas des Marquises et l’étang de Faraman.

Depuis la fin du moyen âge, sans qu’il soit possible d’assigner une époque exacte à ce changement, le lit du bras principal que nous venons d’indiquer dut être abandonné, et le fleuve, depuis Champtercier, à gauche, et le mas de Beaujeu, à droite, dut suivre le lit actuel jusqu’au Grand Passon. L’article 139 des statuts de la république d’Arles prouve qu’au 13° siècle la branche principale du fleuve, se jetait dans la mer vers les dépendances du mas du Grand et du petit Passon, près de la tour de Parade, au dessus de Port Saint Louis du Rhône. Ces domaines sont aujourd’hui à plus de deux lieux de l’embouchure.

En 1583, ce bras suivait encore, à partir de ce point, le lit décrit plus haut, dans le système modifié du bras oriental, mais, au lieu de continuer vers l’est jusqu’au Galegeon, il s’en séparait au pas de Bouchet, près de la bergerie de la Favouillane, et, décrivant une courbe sensible vers le sud-ouest, il se jetait dans la mer près du domaine de l’Eyselle, par une embouchure appelée Gros de Passon. Près de là était la tour de Passon, vers le mas des Pilotes, tous noms qui rappellent une ancienne bouche.
Ainsi, en 1583, le bras principal était le même qu’aujourd’hui jusqu’au Grand Passon. Il se dirigeait, de là, vers l’est, jusqu’au pas de Bouchet, où se détachait le bras oriental vers le Gallegeon ; puis il s’ouvrait, vers le sud-ouest, sur la mer, par le Gras de Passon, direction a la fois par la saillie de la côte et par le lit dit Rhône mort, nettement accusé encore aujourd’hui par le long marais de l’Escale, depuis Favouillane au nord, et l’Eyselle au sud, entre le mas mandrin à droite et le mas du Laget à gauche.

Cette date de 1583 est mémorable, car elle amena une perturbation complète dans les embouchures du bras principal. Un débordement imprévu et formidable eu lieu le 24 août de cette année là, le jour de la Saint Barthélémy, étonnant pour un moi d’été, et le cours inférieur de ce bras, engendrant jusqu’à cette époque :

1/ le Gras de Passon
2/ le lit du Galegeon, fut subitement abandonné ; le fleuve se précipita dans la direction opposée, marchant vers l’ouest, coulant même sensiblement vers le nord-ouest, faisant ensuite une courbe vers le sud est , puis, se repliant enfin vers le sud-ouest, où il se jeta dans la mer par deux ou trois graus, vers les étangs modernes de Rascaillan et le Trabac. Ce changement s’accomplit totalement entre les années 1583 et 1587.

Cette embouchure, dite du Bras de fer ou du Japon, devint donc non-seulement la principale, mais la seule de ce coté, car les deux graus du Passon et du Galegeon furent abandonnés, comme on le voit d’après la carte de Bompar, gravée en 1591, c’est-à-dire quatre ans seulement après la perturbation dont il s’agit.
Ce nouvel et unique émissaire du bras principal est parfaitement reconnaissable aujourd’hui ; il est indiqué par un lit très visible que suivent le canal du Japon ou du Bras de Fer et la Roubine du Roi ou de la Quarantaine. Le nom de Rhône Mort désigne aujourd’hui ce lit, et sa partie inférieure, appelée vieux Rhône, a encore de l’eau et presque sa largeur première. Il se perd dans les étangs du Vaisseau, du Grand et du Petit Rascaillan, de Beauduc, de Sainte Anne, et a deux ouvertures étroites dans la mer. Le Gras de Beauduc et de la Dent. La saillie des apports sur cette partie de la côte justifie l’importance du débit d’eau de ce bras qui réunissait les deux branches anciennes : Rhône oriental et le Grand Rhône proprement dit.

La carte manuscrite de 1665, (7) nous montre le bras oriental abandonné et le gras de Passon se perdant dans les étangs de l’est ; étang de Mallebarge (8) et de la Roque. Une petite branche avait été formée à l’est de l’étang de Giraud et avait pour entrée dans la mer le grand Gras, qui cependant était bien moins important que le Gras du Midi, alors estuaire principal, représenté aujourd’hui par le vieux Rhône ; la Tour Saint-Genest, qui figure sur la carte de 1665, existe encore et marque l’embouchure a cette époque. La Tour de Tampan y est représentée par Tourvieille. Le they, (9) figuré à l’ouest et sur lequel était la tour Saint Genest, est encore reconnaissable aujourd’hui dans sa forme arrondie, mais il est couvert en partie par l’étang du Vaisseau. Au nord de ce they, le bras avait une autre embouchure, orienté à l’ouest, et l’étang actuel de Rascaillan représente l’emplacement du port abandonné déjà en 1665, et désigné dans la carte manuscrite sous le nom de port ancien de Tampan.

La carte gravée de Sanson en 1667, nous montre l’abandon complet de l’estuaire du Galégeon dont l’écoulement prend alors son cours vers l’ouest et aboutit au nouveau bras du Rhône. C’est la seule indication que l’on puisse recueillir sur cette carte qui à été dessinée fort inexactement et à une époque évidemment antérieure à 1667, puisqu’elle place une des grandes embouchures au Gras de Passon. L’étang de Vaccarès y est omis.
Même observations pour la carte de Cantelli di Vigniola en 1690, qui parait avoir été copiée sur celle de Sanson. On peut considérer ces cartes comme erronées et de nature à jeter la confusion dans l’historique des Bouches du Rhône. Heureusement que celle que nous allons mentionner nous permettent de suivre avec sécurité la série des changements survenus depuis 1665 jusqu’à nos jours.

Dans la carte de Nolin, datée de 1692, un changement notable a eu lieu. Une partie des marais situés au sud d’Arles a été desséchée à l’aide d’un canal qui se dirigeait dans le sens des Fosses Mariennes et avait son embouchure dans le Galégeon, confondu dans l’ancienne bouche du Passon. En effet, le Passon, en cessant d’être estuaire du fleuve, est devenu l’étang de la Roque qui continue bien avec le Galégeon. Il est vrai qu’elle indique un autre port-Passon plus bas. Le Grand Rhône n’a plus qu’une seule embouchure. On y remarque deux iles appelées Iles de Tines, dont le nom rappelle la Tynia du portulan Bartholomé Olivez et la Metina de Pline. La Tour de Saint Genest est sur l’une de ces iles. On trouvera plus de netteté pour la disposition de cette embouchure dans une autre carte, c’est une carte sans date, dont nous avons pris un extrait au dépôt de la marine, et qui est certainement de la fin du 17e ou du commencement du 18e, le canal de dessèchement entre Arles et le Galégeon a repris son nom de port Galégeon. Le port du Passon est l’entrée de l’étang de la Roque de Dour ou du marais de Malebarge. Le petit bras qui, dans la carte manuscrite de 1665, donne naissance au Grand Gras, existe toujours ; le bras principal à deux gras qui son tg seulement figurés, mais qui sont nommés dans la carte de Nolin, le gras de Sauzet et le gras de Sainte-Anne.

On conserve au département des cartes à la bibliothèque impériale, une précieuse carte, manuscrite et inédite, de la principale embouchure du Rhône, levée en 1706, et dessinée par Danville. Elle nous permet d’étudier en détail la disposition des lieux avant la nouvelle grande perturbation de 1711. Cette carte est si claire qu‘elle nous dispense de toute explication. Nous remarquons seulement :

1/ Qu’a la place du lit actuel, il y avait une suite d’étangs que les fermiers des gabelles du roi entreprirent de dessaler en 1706 en y introduisant les eaux du Rhône. C’est ce canal qui figure sous le nom de « canal royal » et qu’on a appelé aussi « canal des Launes »
2/ Que le grau, existant un peu auparavant entre la tour du Tampan et la tour Saint Genest est réuni au continent. Ce serait donc au commencement du dixième siècle seulement qu’aurait rattachée à la terre l’ile encore désignée dans la carte de Nolin sous le nom de « Tines » et qui représenterait la « Metina de Pline »
3/ Que le Gras du Midi est confondu avec le grand Gras, lesquels étaient distincts en 1665 ; que deux Theys s’étaient formés sous le nom d’ile de Sainte-Anne et d’ile de Jonathan, dont l’emplacement se retrouve quelque peu modifié de nos jours. Cette cote a d’ailleurs été sensiblement rongée par la mer depuis que le Rhône n’y apporte plus ses alluvions. Cette action lente, il est vrai, de la vague, a été signalée récemment depuis l’érection du phare de Faraman qui est plus près de la mer qu’au temps de sa construction.

L’état physique de l’embouchure principale, tel que nous le fait connaitre la carte manuscrite de 1706, fut complètement changé par l’évènement de 1711 « Le Rhône s’ouvrit un passage à travers le terrain qu’il avait lui-même formé, lequel passage mena ses eaux directement à la mer, après avoir emporté une écluse construite par les fermiers des gabelles du Roi. Cette branche du Rhône devint bientôt la seule navigable »
L’ancien bras de Fer fut dès lors abandonné et l’on désigna ce lit sous le nom de vieux Rhône. Le nouveau fut appelé Bras des Launes, du nom de l’ancien canal.
Le Bras de Fer fut comblé définitivement vers 1725.

De même que la carte de d’ Anville nous donne l’état de l’embouchure avant la perturbation de 1711, de même toutes les cartes imprimées ou manuscrites dont il nous reste à parler, nous font connaitre l’état de cette même embouchure après l’évènement et n’accusent plus de changements de direction, mais seulement les progrès des alluvions.

Ainsi, à partir de 1711, il n’y eu plus de révolution dans la direction du bras principal. Mais toutes les eaux de grand Rhône, se trouvant réunis dans un même lit, il en résultat que les atterrissements prirent dès lors la forme d’une saillie allongée dans la direction du sud-est. C’est cette disposition des apports qui ferma, du coté du sud-ouest, le golfe de Fos et créa l’anse du Repos en accusant plus nettement sa forme semi-circulaire entre le Galégeon et la pointe de nouvelle formation.
La Tour de Saint Louis fut bâtie en 1737, à l’embouchure du Rhône.

La carte Cassini de 1772, nous la montre déjà comme étant à quelque distance de l’embouchure. Le déversement se faisait, à cette époque, par trois grau : celui de l’est tombait dans la partie du golfe de Fos où s’est formé depuis l’étang de Gloria et il séparait de la terre ferme un they dit de la Bigue ; plus tard de Saint Antoine, qui terminait l’embouchure sur la rive gauche. Ce grau a subsisté, sans être navigable, jusqu’en 1764, époque à laquelle il s’est élargi et approfondi de telle manière que les bâtiments, pendant 18 mois, ont pu le franchir. Depuis ce temps il est comblé, c’est précisément dans la ligne de cet ancien grau que l’on creuse aujourd’hui le canal de Saint Louis. Le they de Béricle terminait l’embouchure sur la rive droite.
Dans la carte qui accompagne le Mémoire de Lalauzières, (10) carte dressée vers 1784, ces deux Theys (11) appelés du Levant et du Ponent, et l’on voit déjà se former le they qui sera celui de Roustan ou du Vénitien, la carte de Matheron, publiée en 1840, mais représentant les embouchures telles quelles étaient en 1800.
La navigation s’effectuait alors par le Grau de Roustan, entre le they de ce nom et celui de Béricle

C’est vers 1837 que se format le they d’Eugène séparé par le grau du même nom du they de Roustan. Ce dernier grau devint le passage principal. Depuis le commencement du siècle, s’était formés, à gauche du Rhône, les trois theys du Mort, de la Tartane et de Pégoulier. Telle est la disposition qui figure sur la carte des ingénieurs hydrographes levée en 1841-1842.
Depuis lors, ces trois they ont été rattachés au continent, c’est-à-dire à l’ancien they de Saint Antoine ou de la Bigue, et il s’en forme de nouveaux aujourd’hui. Ainsi les eaux du bras principal, concentrées, depuis 1711, en un seul lit, ont prolongé considérablement les terres d’alluvion en forme de saillie aiguë, tandis que partout ailleurs le rivage est presque resté ce qu’il était alors. Les atterrissements, groupés sur ce point, ont donné la même surface proportionnelle que par le passé, seulement leur longueur est plus sensible. Depuis 1737, c’est-à-dire depuis la construction de la tour Saint Louis, qui était alors à l’embouchure, l’étendue de ces rapports n’est pas moindre de 8 kilomètres.