Là, un soir d’hiver, dans le silence impressionnant de la plaine salée, que ne rompent que le beuglement des grands taureaux noirs et le hennissement strident des blanches cavales, il serait tombé au milieu de la manade.
Durant neuf jours et neuf nuits, sans arrêt, le troupeau sauvage faisait retentir l’air de ces hurlements sinistres et arrosant le sol de ses pleurs, aurait tourné autour de sa dépouille, selon le site secret du Ramadan.
Les gardians auraient séparé de son frontal la puissante armure qui aurait avec fierté décoré la maison du pélot et la terre aurait repris sa chair pour s’en nourrir et donner à l’herbe les vertus de force et de courage qui animent le sang des cocardiers.

Mais le maître, heureusement inspiré, ne l’a pas voulu ainsi. Il a compris qu’un sort trop commun ne devait pas être réservé à celui qui, vivante incarnation du dieu Mithra était la conséquence de l’effort de plusieurs générations, attachées à la garde vigilante des taureaux de combat.

Un cénotaphe vide, une statue, une pierre gravée retraçant ses lutes et ses victoires ne pouvaient suffire à immortaliser sa gloire, à transmettre son nom.
Il fallait plus qu’un symbole pour le rappeler au peuple ; sa présence même s’imposait. Il fallait un tombeau comme pour un héros, situé sur le passage de ses admirateurs et devant lequel l’aficionado puisse s’arrêter et méditer.

Tout ce que le midi comporte de fidèles mainteneurs de nos traditions tauromachiques et de fervents des jeux du cirque, ont défilé devant ce mausolée, avec émotion. Sentant vibrer en eux leur noble hérédité, ils ont compris toute la beauté et la grandeur de ce geste de l’homme glorifiant la bête et l’élevant en hommage à celui qui, depuis des temps immémoriaux, préside aux rites de nos plus chères coutumes.

Sous quelques pans de terre, le Sanglier est là, celui devant qui les hommes les plus hardis et les plus courageux connurent l’affreuse sensation de la peur. On le devine, dans toute sa beauté sculpturale, comme aux jours de ses plus éclatants triomphes.
Il est là, debout sur ses aplombs solides, aux muscles fermement dessinés, sur ses pattes courtes et puissantes qui lui donnaient une rapidité prodigieuse. On revoit le renflement de son cou, son garrot solide et luisant, on devine son regard son regard songeur devenant soudain furieux dans le combat.
Ses cornes menaçantes pointées droit vers le ciel ; on le sent prêt à s’élancer hors de sa prison de terre, à bondir, à reprendre sa place glorieuse en tête des manades.