Ce n’est que plus tard qu’ils durent comprendre que la bête était attirée vers cet isolement par une force mystérieuse ; qu’elle fuyait le troupeau pour aller écouter, à l’ombre des grands arbres, les voix secrètes qui l’instruisaient sur la mission quelle devait accomplir ; que dans le silence des sylves inviolées, elle allait communiquer avec les faunes, les génies et tous les dieux champêtres, chassés par les civilisations ; qu’à leur contact elle faisait son éducation, parachevait sa préparation à la lutte et assurait la perfection de ses cornes en les lissant contre l’écorce rugueuse des pins.

Instruite de la puissance et du prestige qu’elle portait en elle, assurée de sa royauté, la jeune bête paraissait déjà savoir qu’il conviens aux monarques de ne pas se mélanger au peuple et que la souveraineté oblige à conserver des distances, qui imposent le respect de la personne en la garantissant aux yeux de ses sujets.
La preuve de cette royauté incontestable, ne devait pas tarder à se manifester et à éclater aux yeux de tous.

L’affreux cauchemar venait de prendre fin et l’année suivante, revenant à ses chères traditions, notre province retrouvait ses jeux favoris.
Le Sanglier avait trois ans seulement, lorsque dans le plan de charrettes d’Aigues-Vives, il défendit sa première cocarde avec une ardeur inoubliable. L’aficion tout entière l’acclama et fonda sur lui, des espérances qui se firent que se confirmer jusqu’au triomphe.

Les hommes étaient désaxés, après quatre longues années passées loin du pays, dans la souffrance et le risque continuel de la mort. Après cette période sans joie, le culte du taureau délaissé, avait besoin de revivre et de s’emparer à nouveau des foules latines. Il fallait pour cela une force irrésistible, quasiment divine, elle vint. Ce fut le Sanglier qui s’imposa en idole du peuple méridional, par son extraordinaire puissance. Grâce à lui, une fois de plus, la cause antique et sacrée fut sauvée.

Durant dix longues années il se donnera sans compter. Il attaquera l’homme avec une férocité sans égale, sèmera la terreur chez les plus hardis, dans l’art de manier le crochet du razeteur. Il fera vibrer jusqu’au délire, les foules assemblées sur les gradins des plus fameuses arènes d’Arles, de Nimes, de Beaucaire, de Lunel.

Lorsque les soirs de courses, à l’heure ou le soleil couchant empourpre de sus derniers rayons le ciel de notre beau pays, la tête haute, la cocarde intacte parmi les poils frisés de son frontal, sérieux, il regagnera la manade éparpillée dans les prairies du Cailar, un étrange concert de longs beuglements l’accueillera, comme un chant vibrant de trompettes d’airain, saluant le triomphateur, aux jours légendaires des héros du Capitole.