Gardian, il le fut dans le sens noble du mot qui s’adresse aux humbles qui —de son époque— étaient gardians comme on était berger, charretier dans un mas soit en homme de la terre.
Existence toute pastorale qui se déroulait calmement au rythme des saisons et de la vie du troupeau interrompue par de rares galopades dans les villages de chez-nous —quand il en était strictement nécessaire— car l’essentiel du métier, surtout au Cailar, durant la période des courses, c’était la garde de la manade "à bâton planté" qui ne nécessitait pas de prouesses équestres ni de chevauchées mais beaucoup de conscience et d’amour des bêtes doublés aussi d’intelligentes facultés d’observation.

Léon Thiers l’était dans le sens le plus noble du mot, bien différent de celui qu’on accorde aux "amateurs" qui illustrent tant de cartes postes — (photographiés autant que possible dans une flaque d’eau et trident en main, qui ne servit jamais qu’à cette belluaire attitude)— voués aux défilés, aux spectacles, vêtus de l’uniforme : veston de velours noir, pantalon de peau de taupe et chapeau aux larges bords évocateurs, hélas de celui avec lequel apparaît Basile dans le Barbier de Séville, et que la moindre galopade dissiperait dans les enganes.
C’était un apparat que Léon Thiers ignorait, partageant dans la sérénité et le silence de la nature, la calme vie pastorale de la manade.

Il faisait partie de cette cohorte des frères Granier, Galou, Paulin, Nourrit, fidèles et solides soutiens de la maison "Combet-Granon" assises de sa célèbre "Marque" servis par des montures expérimentées dont l’âge n’altérait les solides qualités comme l’affection qu’elle leur valait.
Accoutumé à cette garde des prés du Cailar, ils justifiaient le beau nom de "gardian" dans tout ce qu’il évoque de pastoral.

Sa mort évoque pour moi des souvenirs datant de 1938-1939 et qui caractérisent si bien cette vie gardianne dans ce cénacle de nos traditions taurines qu’est le Cailar, à l’atteinte desquelles tant de nos contemporains se sont opposés quand il a été envisagé, il y a peu de temps, d’y installer un stockage souterrain de gaz. [1]

Depuis ce temps-là, les prés du Cailar ont bien changé, les manades s’y amenuisent, la maison Granon ne vit que du souvenir des fidèles de la "Marque".

Léon Thiers a connu la captivité, de Montaut est mort d’une imprudence pour être allé revoir ses Hourtés malgré l’inclémence du temps, le cuirassé "Paris" vers lequel j’étais parti du Cailar a été lâchement coulé à Mers El Kebir par la marine anglaise en 1940 entraînant la mort de quelques marins de chez nous, et Léon Thiers est allé rejoindre au paradis des humbles tant de ceux qui furent comme lui, gardian au sens le plus noble du mot, ils n’ont pas connu la gloire des arènes, mais ces humbles perpétuent par leur attachement à la terre et au gardianage, à travers le temps fugitif, cette sentimentalité affective qui reste dans le cœur et l’esprit des générations, même quand elles ont oublié, et qui font la tradition.

[1Le gaz naturel en 1990, recherches de gaz de schiste en 2014 NdR