La mer déchaînée, poussée par des vents du sud est, d’une force exceptionnelle se rue à l’assaut du rivage et inonde la basse Camargue. Aux Saintes, malgré les digues et les épis, les rues deviennent de véritables torrents et 50 à 60 cm d’eau s’engouffre dans les maisons du bord de mer. au port-abri de l’Amarée, sur le petit Rhône c’est la panique, des bateaux arrachent ou coupent leurs amarres, d’autres coulent.

Et les manades !
A Beauduc, à Cacharel, au Grand Radeau, au Sauvage, c’est le déluge et la mer envahit les terres. Les bêtes de la manade Raynaud paniquent, cherchent à fuir la montée des eaux. Mais l’eau avance toujours et dépasse le mas, toute la provision de fourrage pour l’hiver est mouillée. Cependant, les Raynaud ne mesurent quand même pas de suite l’ampleur du désastre. Malgré les éléments déchaînés, les manadiers rassemblent les bêtes, comme ils peuvent et, habitués aux tempêtes d’équinoxe, eux dont les terres jouxtent la mer et le petit Rhône, se disent que ce sera qu’un mauvais moment à passer.

Mais comme un malheur ne vient jamais seul et comble de malchance Marcel Raynaud a le coude gauche déboîté par un taureau à l’embarquement dans un char le 11 novembre, puis son frère Jean a le pied transpercé par un clou dépassant d’une planche en sautant du char en ce début décembre.
Reste le jeune Frédéric fils de Marcel et l’oncle Jacques, 72 ans, pour s’occuper de la manade en péril. Mais l’oncle retraité n’est plus d’un grand recours.
Alors les Raynaud qui ne sont pas gens à se plaindre, font front avec courage à leur infortune. Il ne s’agit pas de se laisser aller à la résignation.
En rudes gardians de Camargue, ils vont essayer de surmonter seuls leurs difficultés et tous leurs problèmes.

Mais quelques jours après la tempête, ils vont alors se rendre compte réellement des dégâts. Le vent, les embruns, le sel ont tout brûlé sur leur passage. Les arbres sont tout rabougris, brûlés, l’herbe se dessèche et une croûte salée recouvre le pays. Sous le hangar, une grande partie de la provision de fourrage est moisie.
Les bêtes commencent à pâtir du manque d’herbage et d’eau douce. Comment pourront-elles passer l’hiver sur ce pays anéanti et exposé aux mauvais vents ?

De plus, les Raynaud ont déjà dénombré la perte de 23 bêtes, jeunes pour la plus part, noyées ou disparues dans la tourmente et plus tard ils se rendent compte que 16 vaches ont avorté. Il faut dire que dans certaines baisses du Sauvage, il y a eu 2 mètres à 2,50 mètres d’eau alors que normalement, même au milieu de l’étang d’Icard, il y a qu’une cinquantaine de centimètres.

Les manadiers Raynaud, handicapés par leurs blessures et sans pâturages pour leurs taureaux, un moment démoralisés par la perte d’une partie de leur bétail, sont près du découragement.

Heureusement des afeciounado d’Aubais viennent leur rendre visite comme cela se fait souvent dans les manades en hiver, par les amis de la devise. Ils sont stupéfaits devant l’ampleur des dégâts et le sombre avenir des bêtes sans pâturages. Ils en parlent dans leur entourage et les villages voisins . D’autres afeciounado de Vauvert notamment, Chevalier et Portanier, préoccupés par ces informations alarmantes, alertent la FFCC lors d’une réunion en décembre à Beaucaire et créent un comité de soutien relayé par la presse taurine.
Un grand élan de solidarité va alors naître chez les gens de bouvine qui va redonner espoir à la manade Raynaud et permettre le sauvetage de la manade en grand péril.
Coups de téléphone, carte, lettres, don en nature , soutien moraux et financiers affluent au mas du Grand Radeau.
Les manadiers auront ainsi des pommes du fourrage pour leurs bêtes et le réconfort nécessaire à la poursuite de la pérennité de leur ancestrale manade, si éprouvée aujourd’hui, mais si glorieuse par le passé.

Par la suite, diverses manifestations de soutien sont organisées bénévolement par toutes les parties prenantes de la course Camarguaise et c’est plus de 50000 francs qui ont été remis aux Raynaud, sans oublier les nombreux autres dons et offres d’aides de toutes provenance, toutes personnes que les manadiers remercient bien vivement mais sans un citer un en particulier.

A présent, l’hiver est passé, les bêtes parquées à Pin Fourcat ont été nourries convenablement avec force fourrages, les frères Raynaud sont remis de leurs blessures et l’avenir de la manade est grandement envisagé , avec optimisme. Mais reste cependant une inquiétude quand aux pâturages. Le Mistral a bien asséché les terres mais parfois trop vite et la croûte salée qui s’est formée sur le Grand Radeau et le Sauvage empêche l’herbe de repousser aussi drue qu’a l’accoutumée. La nature, reprendra-t-elle le déçu après cette terrible épreuve ? Surement, le temps fera bien les choses, la prochaine tempête d’automne ne profitera-t-elle pas de la brèche ouverte par celle mémorable de 1982 ? Des questions que se posent les Raynaud car, en hommes avisés du terroir, ils ont remarqué de terribles modifications du littoral où la mer a gagné jusqu’à 150 mètres sur les terres et surtout aplani bon nombre de dunes, protectrices des effets néfastes du vent marin.
Mais faisons confiance aux Raynaud, manadiers de tradition qui, avec le jeune Frédéric, en sont à la cinquième génération sur leur manade qui fut créée en 1904.

Portfolio