Allons, déclarons nettement et tout de suite que même après la course de dimanche, nous mettons le Clairon et surtout l’Orphelin au dessus de tous les autres cocardiers vivant à l’heure actuelle.

La course du Mounla n’en fut pas moins éblouissante et produisit sur le public une impression formidable. Pendant les cinq premières minutes, le taureau ne fit rien qui vaille, mais après…
Après le razet de Cartier, à la droite de la présidence, pour être précis, sur une fusée l’Arlésien fit un razet qui est a inscrire dans l’histoire taurine de Nimes, tant il fut beau et émouvant. L’homme rentra tellement dans la bête que pendant l’espace d’un éclair , le groupe ne fit qu’un. Le cocardier ayant senti l’homme, s’arrima, et ce fut alors éblouissant. Poursuites, chassé-croisés, coup de reins à droite, à gauche, le Mounla est sans cesse en action . Tour à tour Rey, Granito sont dans les cornes. Les poursuites sont épiques, le cocardier coupe, bondit, arrive aux planches et là, malheureusement là, il s’arrêta.
Et voilà pourquoi nous ne donnons pas, comme beaucoup de gens, la première place à ce cocardier. Lou Mounla, à notre connaissance , ne fit pas un seul, mais pas un coup de barricade . Et nos lecteurs savent combien nous apprécions cela. Nous écrivons fréquemment : C’est a la barricade que nous jugeons un cocardier.
En arrivant aux planches, le cocardier donne un formidable coup de tête, mais il ne passe pas. Peut être cela viendra-t-il avec l’âge ?
La course du Mounla n’en fut pas moins extraordinaire. Rey fit a ce cocardier quelques uns des plus beaux razets de l’après midi, partant sur site de Bouterin, presque de face et se faisant d’ailleurs enfermer à chaque fois.

Que dire de l’Orphelin  ? Il faudrait oser employer les qualificatifs dithyrambiques des Espagnols ou des Italiens, et encore peut être les trouverons-nous insuffisants. Voilà deux ou trois fois que nous écrivons de l’Orphelin que jamais, jamais aucun autre cocardier n’a été aussi dangereux que celui-là à la barricade.
Quand, en 1927, il prit Granito pour la première fois à Vergèze, nous fûmes fixés. On se souvient qu’il prit le razeteur à peut être deux mètres de hauteur, en mettant les pattes de devant sur un demi muid. Nous avons raconté cela à l’époque.
Reprenant notre carnet de notes, nous constatons que pendant la course de ce cocardier nous n’avons rien écrit, nous n’avons pu écrire quoi que ce soit, le spectacle était trop poignant.
Quand sortit le taureau, un de nos voisins qui le connaissait très bien, sans doute, dit en riant : «  regardo si diriès pas une patato »
Et c’est vrai.

Ah ! Il ne risque pas d’avoir la fière allure du Mounla, ni de tant d’autres taureaux, il n’est même pas beau, il a été « amaluga », et de cela il en reste toujours quelque chose, il n’a pas de jambe, et on dirait toujours qu’il va tomber. Mais, avec cela, quelle volonté, quelle énergie, quelle intelligence !
En voilà un au moins qui sait ce qu’il veut
et qui fait ce qu’il faut.

Mais, détaillons la course, cela vaudra mieux :
Au premier razet de Rey, le cocardier parut ne pas avoir la force de se relever et cogna du chanfrein contre les planches. Il fit de même trois ou quatre minutes, mais a chaque razet il se soulevait un peut plus.
Sur un razet très court de je ne sais plus qui, l’Orphelin tomba, et c’est de là que sa course commença. Ramassant ses forces, redoublant énergiquement sur chaque raset, le taureau passe alors aux planches, comme lui seul sait le faire. Lui seul, ne craignons pas de le répéter. Sur un razet de Granito, le bestiau suivit très fort et se dressa en arrivant aux barricades. Pour la troisième fois Granito fut cueilli à peu près deux mètres de hauteur . Fort heureusement le taureau n’eut pas la force de donner le coup de revers, sinon le pauvre Espagnolet écopait sérieusement à nouveau.
A partir de ce moment, on ne vit plus dans la piste que l’Orphelin et Rey, qui le razetait aidé par Bouterin, pourtant, Viau voulut encore tâter de la chose et il passa,
Ah ! Ce fut pas rien que ce razet de Viau. Le taureau poursuivit l’homme, qui sauta très loin contre le podium, fort heureusement, et se jeta après lui, les deux pattes étaient dans le couloir et de toutes ses forces le cocardier essayait encore de crocheter le razeteur. Ayant perdu pied, la situation n’était pas tenable et le taureau s’écroula dans le rond. Rey seul continua de travailler et coupa, puis enleva la cocarde, et enfin réussit aussi de prendre un gland. Ah, si l’Orphelin avait les pattes du Mounla.
Je ne tenterai pas de décrire l’émotion qui avait envahi la foule, ni l’ovation qu’on fit au cocardier revenant au toril. Ceux qui étaient là s’en souviendront toujours, ceux qui n’y étaient pas pas pourront toujours se le faire raconter par leurs amis.
La présidence officielle était multiple et diverse. Elle était occupée, de gauche à droite par : Lignon, Wiltig, Daumont, de Lansargues, Terrada, président de la fédération des sociétés taurines, Menouret de Bellegarde, Gabriel Brun de Gallargues, . Voilà pour la présidence représentative et le gala. En fait la course fut présidée par Mr Sauze en personne, qui s’était adjoint Mr Dussaud.

La présidence commit plusieurs erreurs dont voici les plus graves :

  • la première fut commise au Cerf. Il ne fallait pas primer les ficelles complètement enlevées.Les razeteurs ne marcheront jamais et mieux valait ne pas primer que de connaître une gaffe pareille.

Notez bien que je ne donne pas un point de vue, mon point de vue surtout, mais, a mon avis, ce n’était pas à la course de dimanche qu’il fallait tenter cela !

  • La deuxième erreur, la pluie, l’avalanche inconsidérée de primes et de surprimes au Moula. Evidemment cela porte auprès du public, mais est-ce vraiment aficionado ?
    Le taureau marchait, et comment ! Et pourquoi ces surprimes ? Je ne l’ai pas compris, ou peut être ai-je trop bien compris.
  • Et, enfin, les cocardiers ne restèrent pas le temps réglementaire. Certains trop, tel lou Dur, d’autres pas assez, comme Lou Clairoun.

Le service bien et la musique très bien, mais elle était venue de Vauvert.
Et maintenant, pour terminer un article long, trop peut être disons un mot de Granon, dont le nom n’a peut être pas été écrit une seule fois au cours de ces nombreuses feuilles répandues devant moi.
On pourra dire de Granon tout ce que l’on voudra, qu’il a tel ou tel autre défaut, qu’il n’est pas aficionado, qu’il n’aime pas ses taureaux, nous n’écouterons plus rien et ne voulons plus nous rappeler que d’une chose, c’est que c’est de sa manade que sont sortis : Le Sanglié, Le Clairon, L’Orphelin, et Lou Mounla, et que ces taureaux ne peuvent jamais paraître sans soulever l’enthousiasme des foules.
Je viens de me relire et je constate à regret que je n’ai pas dit grand-chose des razeteurs. Le roi de la journée fut Cartier, puissamment aidé en cela par ses deux collègues d’Arles Margaillan et Paulet.
Le trio Arlésien est d’ailleurs, a l’heure actuelle, nettement supérieur à toutes les autres équipes. Sur la fin Rey fit de belles choses, surtout au Mounla et à L’Orphelin. Viau fut très travailleur, comme à l’ordinaire, et Gustou réussit au Ramoneur un coup de crochet de maître. Granito fut malheureux mais toujours sur la brèche. Au début de la course déjà, le Cerf le bouscula sous la présidence et lui déchira le pantalon.

Il faudrait tout un petit livre pour relater consciencieusement cette course, et peut être qu’un jour un aficionado de talent y songera
TAMARISSO