A l’Amarée en 1925

Arrière petit fils de M. de la Barollière, général du Ier Empire qui possédait en 1800 l’élevage de toros du Petit-Argent (Petite Camargue), "Lou Baroun" comme on l’appelle dans le Bas-Languedoc est né à Avignon en 1870.

Très épris de méridionalisme, il se lança de bonne heure dans le mouvement félibréen et devint bientôt le rédacteur en chef de L’Aiòli, journal fondé par Mistral. Mais il sentit vite que la lutte purement spéculative des idées ne suffisait pas à son besoin d’activité dévorante : il rêva d’exploitations lointaines... Il eut l’obsession de la vie large des pampas. Malheureusement la fin prématurée de son père lui imposa de bonne heure les charges de chef de famille et l’obligation de rester auprès de ceux que cette mort le faisait du jour au lendemain le soutien et le guide.

C’est alors qu’il chercha à concilier son devoir et ses goûts : après avoir mûrement réfléchi, il lâcha un beau matin de l’année 1894, brusquement la plume pour le trident et le fauteuil de son cabinet pour une selle gardiane. L’écusson "de six pièces, bandées de gueule et d’argent" devenait le fer de la manade de Baroncelli-Javon qui prenait en outre pour couleurs la devise rouge et blanche.

Ce fut aux Saintes Maries de la Mer, au Mas de l’Amarée, que le nouveau manadier s’établit avec l’idée bien arrêtée de chercher à reconstituer la race camargue pure ; le méridionalisme du jeune Provençal trouvait là encore une occasion de s’affirmer à nouveau.

Voici les origines de sa manade.

Il achète :

En 1894,

  • chez Dijol, 36 vaches pleines.
  • Chez Papinaud 10 vaches dans la même situation.

En 1895,

  • chez Dijol, 12 ternen entiers, noirs, parmi lesquels le fameux "Valdemorro".
  • Chez Dumas, 12 ternen neufs, 10 vaches.
  • Chez Trouche 20 bêtes parmi lesquelles "Le Marseillais" et "Le Guillaume", terrible cocardier qui tua un homme à Aigues-Mortes et qui fut lui-même tué par un autre taureau.
  • Chez Blanc, 8 taureaux bistournés, 13 ternen, 3 étalons de 5 à 6 ans, parmi lesquels "Pratique".
  • Chez Dumas, 11 vaches, 11 taureaux entiers. Chez Gras, 40 bêtes provenant des élevages de Papinaud, Féraud et Yonnet.

En 1896,

  • chez Dijol, 20 vaches et taureaux.
  • Chez Drouillon, 130 vaches et taureaux.

La race du Marquis de Baroncelli provient donc du croisement de ces 326 bêtes qui par leur robe et par leurs formes se rapprochaient le plus de l’idéal qu’il cherchait à atteindre.

Essayons de caractériser les multiples éléments qui servirent à former l’ensemble de cette manade devenue le première de celles qui ne contiennent que du bétail de pur sang camarguais.

Les élevages du Petit Badon (Dijol) fournirent de très bonnes vaches mais 90% de taureaux mauvais ou insignifiants.

Les 4/5 des pensionnaires de Papinaud eurent des qualités remarquables.

Dumas vendit des vaches ayant beaucoup de sang mais qui furent très fragiles et des taureaux très inégaux.

Le Mas de l’Audience (Blanc) donna de superbes taureaux au point de vue des formes mais sans autres qualités.

Chez les frères Trouche se trouvaient pas mal de bonnes vaches et un taureau extraordinaire, "Le Guillaume" qui, fait curieux, avait été considéré par ses anciens propriétaires comme un taureau de "desecho" (un animal de rebut).

Quant à Gras, il procura d’excellentes vaches. Près de 200 produits furent ainsi obtenus, lesquels joints à ceux achetés portèrent à 500 et plus le nombre des élèves du marquis.

M. de Baroncelli-Javon en a conservé 190. C’est dire assez la sélection méticuleuse qu’il opéra et le soin coûteux qu’il apporta dans la recherche du but poursuivi. Aussi a-t-il obtenu un type uniforme, presque parfait dont voici les grandes lignes.

Vaches noires ou "boucabelles", aux flancs longs, aux jambes basses, au dos large, au sang remarquable.

Taureaux trapus, presque tout noirs, au poil ras (excepté sur le cou et sur la tête où il s’allonge et devient frisé), à la queue longue faisant à la naissance une forte saillie qui relève sensiblement la ligne du dos et se terminant par un bout "que blanquejo" (qui tend à devenir blanc), au front et au poitrail larges, à la tête pas trop allongée, aux cornes blanches, droites et plantées en épée.

La manade comprend à l’heure actuelle (1902) une excellente moyenne de quatren parmi lesquels il faut citer "Le Comptable", "Le Berger","Le Radical", "Le Caiet"...

Mais le roi de l’élevage est sans contredit "Prouvènço", taureau magnifique, ayant des qualités sans pareilles, de sang, de bravoure, d’agilité et de ruse.

Il avait trois ans lorsqu’il qu’il blessa grièvement à Marseille Pouly fils. Le père, qui pressentait l’avenir de l’animal, proposa immédiatement au marquis de le lui acheter et lui en offrit 1 000 fr. Celui-ci qui eut pu en tirer 1 500 fr. (1) refusa de s’en défaire.

Prouvènço est un produit du terrible "Cailaren" aujourd’hui du même propriétaire mais qui provient de chez M. Raynaud.

La devise rouge et blanche triomphe maintenant sur toute la ligne. Hier encore au Cailar, une ovation interminable de 3 000 spectateurs saluait ses couleurs, un quatren du nom de "Pescalune" et un ternen non baptisé s’étaient chargés de les défendre et de les mener à la victoire.

Le second, durant les 20 mn. qu’il tint la piste ne laissa pas un instant souffler ses adversaires et au moment de rentrer au toril couvert de lauriers, il en blessa un si grièvement à la cuisse et au périnée qu’il fut emporté mourant hors de l’arène. Ce regrettable accident permit de constituer immédiatement au fauve un état civil définitif et on l’appela "Lou Cande" en souvenir de son infortuné parrain. Que les afeciouna retiennent ce nom-là, je crois fermement qu’on en reparlera.

Le marquis de Baroncelli-Javon commence à recevoir enfin la récompense de ses longs et patients efforts. Je lui souhaite de tout coeur de continuer.

(1) le journal coûtait 10 centimes.

Portfolio