Depuis les temps historiques les embouchures du Rhône furent signalées et gardées par des tours ou des fortifications. Ces tours étaient près de la mer, d’autres sur des bras secondaires. Je ne partage pas l’opinion de certains historiens qui ont voulu voir, dans toutes les tours de Camargue, des tours de surveillance du fleuve. La plupart ne durent être que des maisons de campagne fortifiées.

L’abbé Constantin dans « Les paroisses de l’ancien diocèse d’Arles » paru en 1898 écrit que les tours anciennes de Camargue sont des refuges pour les travailleurs des domaines ou des tours de signaux. Il cite une ordonnance du 30 juin 1303, renouvelant des ordonnances antérieures, réglant le service des signaux sur la côte méditerranéenne, et il dit :
1° on allumera farot (1) au cap de l’Espiguette lequel correspondra avec Notre-Dame de la Mer.
2° celui-ci avec le farot de Notre-Dame d’Ulmet,
3° celui-ci avec le farot des Thines,
4° celui-ci avec le farot du Gras de Passon,
5° celui-ci avec le avec les Châteaux de Fos.
Ce qui indique au moins deux tours proches du Rhône, celle de Tignes et celle de Passon que nous ne connaissons pas.
Pour limiter notre sujet je me contenterai d’étudier les tours du littoral ou proches du littoral. Ces tours furent construites par les soins de la communauté d’Arles, propriétaire du fleuve et jalouse de ses privilèges. Ce sont dans l’ordre chronologique :
Le fort de Manusclat 1469
La tour du Lion ou tour du Balouard, 1472
La tour du Tampan, (Tourvieille) ,1614
La tour St Genest, 1656
La tour St Louis, 1737.
Il faut citer aussi le fort du Grau d’Enfer de 1572-73.

Toutes ces tours eurent le même caractère. Elles furent construites pour un triple but : maritime, militaire, financier.
Au point de vue maritime, elles constituaient un amer et parfois un phare ; elles servaient de logement aux baliseurs du chenal navigables sur la barre.

Au point de vue militaire elles étaient un poste de défense contre les incursions subite des pirates et une vigie pour signaler les mouvements des navires.

Au point de vue financier elles servaient à prélever les droits à d’entrée et à la sortie des marchandises du royaume ou du territoire d’Arles.
Toutes ces tours eurent aussi la même fin ; elles durent être abandonnées et remplacées par suite du changement du lit du fleuve ou d’éloignement du rivage par formation des Theys.

Le premier fort, digne de ce nom, fut élevé sur la pointe de Manusclat en 1469 sur la rive droite du fleuve pour défendre le territoire contre les pirates aragonais. Nous possédons quelques renseignements sur sa forme et sa construction (laquelle fut faite en cette forme, à savoir quatre tours en bois entourées de planches d’aube plantées en terre et d’un fossé tout plein d’eau du Rhône avec un pont levis, muni de bombardes, couleuvrines, baliste). Il possédait une garnison de 30 hommes. Ce fort existait encore en 1507 et son gardien était payé par la ville. Il fut rasé vers 1590, après les troubles de la ligue.

La deuxième construction fut la plus importante et fut pendant un siècle la tour préférée des Arlésiens. La tour du Balouard pour lui donner son dernier nom et celui sous lequel elle est encore connue s’appela tour des Grâces, tour du Lion, tour de Belouard, Boulouard, Boulouvard et Balouard.
Sa construction fut autorisée par le roi René le 16 juin 1470. Début des travaux en 1472, la partie principale fut terminée en 1476, la ville d’Arles avait obtenue le privilège de nommer chaque année le capitaine et de choisir la garnison. Cette tour très importante comprenait un donjon carré, entouré d’une enceinte triangulaire de plus de 200 mètres de périmètre, avec une tour habitable à chaque angle. Il y eut au début une garnison de 30 soldats appelés mortes-payes.
Son artillerie était composée en 1590 de 2 fauconneaux, 4 mousquets, 2 gros canons, 9 arquebuses et parmi les armes blanches 4 piques et 5 hallebardes.

Le changement de lit du Rhône en 1588 détermina son abandon, elle fut démantelée en 1614 et en 1630 la ville d’Arles céda le donjon aux frères de Castillon. Tombant en ruines, elle fut démolie en 1642 et ses pierres servirent à construire les mas des alentours.

Cette tour fut concurrencée à la fin de son service, vers 1573 par le fort du Grau d’Enfer dont on connait peu de chose. Pierre Brouard fut autorisé par Charles IX le 16 janvier 1572 à construire un fort sur la branche du Rhône dit de Passon au lieu dit le Grau d’Enfer et de prélever un droit de 18 sols sur chaque cent quintaux de marchandises passant devant ce fort. Les consuls d’Arles obtinrent le 26 février 1574 l’annulation des lettres patentes de Brouard, mais la carte de Provence de Bompar en 1590 indique deux fortifications distinctes : la tour de Belloare et le fort de Passon qui pourrait être le fort de Grau de d’Enfer. Le nouveau lit de 1588, dit du Bras de Fer, obligea la communauté d’Arles à demander à Louis IX la permission de construire une tour qui fut élevée près de l’étang du Tampan. Elle fut donnée à prix fait au maître maçon Barthélemy Juran, le 3 septembre 1607 et reçue le 27 novembre1614. Elle couta 5616 livres.

En 1616 la communauté, lors de la vente du tènement de la Vignole, réserve de 6 Sétérées de terre au capitaine de tour pour pouvoir élever 4 chevaux et 50 moutons. Le conseil du 18 janvier 1617décide d’établir un fanal sur la tour pour servir de phare. Les atterrissements ayant éloigné la tour de plus de 5 km. de l’embouchure principale du Rhône, le Grau de la Dent, il fallut remplacer la tour du Tampan par une nouvelle fortification dite du petit fort de St Genest.
La tour du Tampan fut vendue en 1659 avec ses 6 sétérées de terre à François Duport, sieur de la Vignole, pour 3000 livres. Elle existe de nos jours, elle est connue sous le nom de Tourvieille dans le Domaine de la Compagnie Agricole de Basse Camargue.

La tour de St Genest, du nom du Saint Martyr arlésien, fut la dernière bâtie aux frais de la communauté. Elle fut élevée sur les conseils et les dessins de l’ingénieur Jean Wortcamps sur l’île des Pougaudes à 2580 toises de la tour du Tampan. Plus petite que les tours précédentes, sa construction fut donnée à prix fait le 13 septembre 1656 à Nicolas Lieutaud et fut terminée et reçue en janvier 1658, après diverses modifications. Elle fut ornée comme la tour du Boulouvard et Tampan des sculptures des armes du Roi et de la ville d’Arles, exécutées par Antoine Paulet en 1658.
Un fragment de marbre représentant la tête du Lion d’Arles, trouvé près des lieux en 1939, a été déposé par Monsieur Carle Naudot entre les mains de monsieur Fernand Benoit et placé au muséum Arlaten.
Bientôt, par suite de la création de nouvelles iles, cette tour devenait peu à peu inutile. Elle ne servait qu’à loger 2 ou 3 invalides payés par son capitaine et les 4 signaleurs du Gras, les surveillants du commerce (serrade des blés) ou de la santé. Désarmée en 1666, les canons ayant été transportés le 22 mai aux arsenaux d’Arles, elle fut abandonnée en 1667 par les signaleurs qui s’installèrent dans une cabane à la Pointe de la Dent. Elle ne servit plus que d’amer pour les bateaux entrant au Rhône.
Le changement de lit en 1711 fit abandonner la Tour de St Genest. En 1806, elle était en partie ruinée, elle a été rasée vers 1910, et comme partout en Camargue les matériaux restant ont servi à la construction de bâtisses nouvelles.
Le nouveau bras du Rhône, dit Canal des Launes, complètement creusé en endigué en 1720, le Bras de Fer atterri vers 1730, il fallut créer une nouvelle tour à l’embouchure du canal.

Le devis de cette tour fut étudié par Senez, ingénieur en chef des travaux d’endiguement. Sa construction donna lieu à un conflit d’attribution assez amusant par son résultat. En 1733, les consuls d’Arles demandèrent la « grande faveur » de construire cette tour comme ils avaient fait construire les précédentes. Ils y furent autorisés par un arrêt du conseil d’état du 25 septembre 1735. mais entre temps l’opinion de la communauté avait changé et en 1736, les nouveaux consuls demandèrent à être déchargés de cette faveur onéreuse ; un nouvel arrêt du Conseil d’Etât de 1737 leur donna gain de cause et la tour fut élevée par les soins de Monsieur de Vacquières, subdélégué de l’intendant Latour, et de Senez, ingénieur du roi. Elle fut donné a prix fait le 14 mai 1737 à Guillaume Pillier, Richard Peyre et Gaspard Brunet. Elle fut payée par une imposition spéciale de 5 sols par minot de sel qui se débiterait dans les greniers à sel de Provence, Dauphiné, Languedoc, Lyonnais et Auvergne.

Comme les précédentes, la tour St Louis, ainsi nommée du nom d’une chapelle placée auprès et dédiée au roi Saint Louis, fut gardée par quelques invalides, et joua un rôle au moment de la révolution où elle devint la tour des embouchures et la tour Monaidière. Elle continua à servir de signal et de phare pour la navigation, et reste le plus ancien monument de la cité de Port-Saint-Louis-du-Rhône, cité qui existe d’ailleurs que depuis la création du port vers 1869-1870.