Le CAILAR – Le 16 Février 2022
Madame,
Mireille, Véronique, Christian,
Membres de la Famille,
Chers amis afeciouna ;

La perte d’un époux, d’un père ou d’un grand père, demeure pour tous, une épreuve déchirante et difficile à la fois.
L’absence, même prévisible, s’avère inévitablement soudaine et violente, car elle emporte toujours avec elle, une part de ce cocon familial, que l’on préserve depuis sa plus tendre enfance, et que l’on voudrait conserver intact pour l’éternité. Mais ce bonheur, n’est qu’un ciboire de cristal, éblouissant et fragile à la fois, et c’est avec tristesse et chagrin qu’impuissants, nous le voyons doucement s’estomper et pâlir.

Eugène Roman, votre époux, votre papa, votre grand père, celui que nous accompagnons pour cette dernière « capelado », s’était ouvert au monde le 27 avril 1927 à Istres, mais c’est dans le souriant village d’Entressen qu’il effectue ses premières gambades.

Le Mas Village, siège de la manade Lescot n’est pas très loin, et c’est avec une bande de « galapian » de son âge, qu’Eugène s’éprend des taureaux et de la vie en manade, n’hésitant pas avec l’âge à se mesurer avec les anoubles, puis avec les vaches.

La famille en 1942, émigre vers Grans, un proche et accueillant village, mais ceci ne contrarie nullement la vocation taurine d’Eugène, qui écume tous les plans des environs, en quête de courses de taureaux emboulés.
Contraint de respecter l’autorité paternelle, Eugène attend sagement son retour de l’armée, pour revêtir « la tenue blanche ».

Nous somme en 1948 et assez peu complexé, le « petit » Roman étale rapidement ses qualités naissantes face aux taureaux des manades Pouly et Saurel, mais en se confrontant également à l’opposition en piste des Rey, Volle, Eyraud ou Doulaud Frères.
En point d’orgue, la cocarde ravie au Provence de Saurel, primée 12 000 francs de l’époque.

Mais opposition en piste, ne signifiait pas animosité et Julien Rey qui a décelé chez Eugène des qualités certaines, le prend alors sous son aile et lui propose même un contrat en Belgique, à Namur, pour une journée mémorable.

L’envol de notre jeune raseteur est foudroyant, et de 1949 à 1955, il s’illustre à la table des « grands », en compagnie des Paul Garric, Cabanis, Maurice Bonnet, Charles Fidani et autres ténors de l’époque.

En face, ce n’est pas mal non plus et les exploits se succèdent, malgré les difficultés présentées par Vovo, Evêque, Carretié, Janot, Mounla, Cigalié, Cosaque et Facteur.

Il avouait s’exprimer davantage face aux cocardiers « finisseurs » qui se livraient franchement, que devant les retors et revêches Meccano, Sangar ou Lopez. C’est le temps des triomphes, de la fête et de la convivialité.

Ah bien sûr, une cuisse traversée à Gardanne par un taureau de Saurel, deux petites blessures à Entressen et un bras fracturé à Lunel par la faute d’un cocardier de Bilhaud, vont ternir quelque peu cette envolée triomphale.
Mais le pire est à venir…

Le criminel Gandar de Blatière inflige le 3 août 1952 dans la piste de Châteaurenard, une très grave blessure au pétillant jeune homme. Le constat est sévère, péritoine et diaphragme perforés jusque sous le foie, nécessitant un bon mois d’hôpital.

S’ensuit une longue et angoissante convalescence, Eugène ne reprenant le crochet que 8 mois plus tard.

Preuve évidente de la solidarité en piste, aidé de ses camarades, il prendra sa revanche face au brillant cocardier des Fontanilles, l’année suivante dans les arènes d’Arles.

Eugène Roman continue encore quelques temps sa carrière de raseteur avec des fortunes diverses, et lors de la Finale du Trophée des As 1955, en Arles, il décocarde Cosaque de Lafont et Lopez de Thibaud, engrangeant au passage la coquette somme de 80 000 francs !
Ainsi s’achève son parcours « d’homme en blanc ».

Enfant de la terre, Eugène est très réaliste, aussi lorsqu’en 1956 une proposition intéressante se présente, il s’en va exercer son métier de boucher en Guadeloupe, afin d’assurer l’avenir de tous les siens.
La blessure de Gandar, l’avait sans doute amené à réfléchir, et en homme sensé et raisonnable, il avait opté pour la sécurité et la stabilité.

Revenu sur ses terres, il s’adonne à sa deuxième passion : la chasse. Effectue quelques passages en piste, mais davantage pour « donner la main » à Christian Chomel et Xavier Ruas que pour « tourner » véritablement.

Toujours aussi souriant et actif, notre infatigable touche à tout, au terme d’une trépidante vie de labeur, a bien mérité aujourd’hui de se reposer.
Sa tronçonneuse et les ragondins, vont pouvoir souffler eux-aussi. Mais jamais pris de court, ses plants et godets hivernaux sont déjà à l’abri dans le garage.

Tenace et constructif, bon et agréable camarade, voila quel a été l’homme que vous nous permettez, Mesdames, Christian, d’accompagner aujourd’hui pour son dernier tour de piste.

À ce titre, les membres du Club des Anciens razeteurs, leur Président Jacques Roumajon et leur Président d’honneur Roger Pascal, vous sont très reconnaissants de l’honneur et du privilège que vous nous accordez…

Merci et : « Adessias, Eugène ».