250/ Ferrades
Comme les taureaux de la Camargue se ressemblent tous, ainsi que je l’ai dit, par une couleur très noire qui leur est commune, on les fait marquer, afin de pouvoir les reconnaître et les réclamer, quand ils s’introduisent dans un troupeau étranger.
Ce serait pas un spectacle sans intérêt, s’il n’était pas sanglant, que celui qui se présente lorsqu’on veut dompter les jeunes taureaux, pour leur imprimer la marque du propriétaire. Ce spectacle, connu sous le nom de ferrade, donne lieux a des réunion très nombreuses, souvent brillantes de personnes que la curiosité y attire.
Plusieurs gardians, souvent même des bourgeois pleins de courage, volent dans les marais à la poursuite de l’animal. Les meilleurs cavaliers, de longs tridents à la main, l’atteignent de toute course, l’entourent par derrière et par les cotés, le dirige avec adresse en serrant ses flancs de la pointe de leur arme, et le conduisent ainsi jusques dans l’enceintes où l’attend le fer enflammé. Cette enceinte, le plus souvent en rase campagne, est formée de planches, par des instruments aratoires, par des charrettes, en un mot par toutce qui se rencontre sous la main, et même par les voitures des spectateurs. Ceux qui sont élevés sur ces obstacles, comme sur les gradins d’un amphithéâtre, d’où ils contemplent, à l’abri du péril, ce qui se passe dans l’arène.
Cependant les cavaliers pressent le taureau de plus près. Ils le harcèlent et l’irritent jusqu’à ce qu’ils le juge assez fatigué pour n’être plus trop dangereux. Alors, ils mettent pied à terre, et le plus intrépides s’approchent de l’animal pour le combattre corps à corps. Ni ses mugissements, ni l’écume qui sort de sa bouche ne saurait les arrêter. Sitôt qu’il baisse la tête pour les frapper, ils s’élancent, le saisissent avec vigueur par la corne, et le culbutent en ramenant à eux la jambe opposée.
Les applaudissements et les cris d’allégresse annoncent sa défaite. Aussitôt tous les combattants se précipitent sur lui, pour rendre ses efforts, et la personne qu’on veut honorer est priée de descendre dans l’arène. Elle applique le fer brûlant, dès quelle à repris sa place, on lâche le taureau furieux. La douleur et la rage le transporte soudain dans tous les coins de l’arène, une trépidation impulsive agite tous son corps, il fouille le sol sous ses pieds, bât ses flancs de sa queue, et frappe de sa tête tout ce qu’il rencontre, vaincu par sa propre furie, et, près de tomber de faiblesse, on lui ouvre les champs. Le sentiment de la liberté ranime ses forces expirantes. Il lui donne des ailes, le taureau part comme un trait, retrouve seul ses marais et l’on observe qu’il n’y perd jamais le souvenir de son injure.