Tout a commencé avec le grand-père, Adrien Barthélémy, dit "Pitalugo", baile gardian à la manade Durand, l’un des plus importants élevages de taureaux croisés de Provence, avec 600 têtes de bétail. "Pitalugo" a failli être le premier manadier de la famille, mais l’absence de pâturages lui a fait renoncer à ce projet qui pourtant lui tenait à cœur.

Son oncle Gaston Barthélémy, qui avait fait l’acquisition d’un "char" Berliet, fut le premier à transporter de cette manière révolutionnaire pour l’époque, les courses de taureaux des pâturages aux arènes, en particulier, celles du marquis, et surtout de Fernand Granon, dont il était l’homme de confiance.

Son père, Antoine, connaissait la vie de Gardian pour avoir vécu dans les cabanes. Actionnaire dans la société du petit Badon, avec location de pâturages pour Jo Durand, il décida d’acheter des bêtes à la manade Raynaud en 1954. A ce premier troupeau s’ajoutèrent bientôt des vaches d’Henri Aubanel, de Montaud, Rébuffat, Durand, des taureaux et vaches de Denys Colomb.
Un nouvel élevage venait de voir le jour dans le monde de la bouvine. Des étalons de chez De Montaud-Manse, une bonne origine, une sélection sérieuse et rigoureuse chez les veaux ne pouvaient au fil des années, que donner des résultats. Tout au moins toutes les précautions et les atouts étaient pris dans cette perspective. Ajoutons-y des pâturages à Fiélouse et au Petit Badon, deux gardians qualifiés, Edouard Conte et Yoyo Sablier.

Ph : George
  • 1955, débuts timides : il faut se faire un nom dans ce milieu et les places sont chères, d’abord avec du bétail acheté à des confrères en attendant que les veaux nés en pays puissent faire leurs preuves.

Premières apparitions en piste donc à Tarascon, dans un concours Arc- en-ciel-Durand, puis sortie à Vallabrègues, en compétition avec Tardieu et enfin à Caumont-sur-Durance avec Petit Co-Blanco.
Cette même année Marcel Mailhan fait ses premiers pas de manadier à Barbentane.
En octobre la manade présente une course complète qui impressionna tellement qu’elle fut engagée pour Pâques de l’année suivante avec perspective de renouvellement si les promesses étaient confirmées. Et elles le seront.

  • 1956, 8 avril à Mouriès ; première sortie de la royale Durand-Arc en ciel, avec Cibouletto, Rinars, Tamarisso, Co-Blanco, Brutus, Pétassa, Petit Co-Blanco, face à 30 hommes. Ce fut tout de suite la consécration, le tout dans une ambiance extraordinaire.
Petassa

Et ce sera la fameuse course du 24 juin à Mouriès, toujours sous le vocable de royale Durand-Arc en ciel, le premier nommé fournissant Charron, Co-Blanco et Petassa.
Le lendemain la presse ne tarit pas d’éloges du genre" course éblouissante", "course pleine d’émotion". Gradins archicombles et les manadiers viennent à la fin saluer en piste avec une joie bien légitime
Charron le roux se retrouva en contre piste et sema une panique indescriptible, Petit Quo Blanco coinça Soler et faillit lui faire un mauvais sort, enfin Pétassa propulsa Soler encore dans le couloir. Ces quelques actions, parmi d’autres, créèrent des moments d’intense émotion dont les présents se souviennent encore.
Rebelote à Mouriès encore, le 15 juillet, bonne tenue sans les mêmes exploits, mais "qui constitue un apport nouveau et sérieux pour la course libre" commente Mario.

A Fontvieille, en août, le fantasque Petassa blesse un spectateur et fait le plein aux Paluds.
Et le 9 septembre, la présentation attendue et sans doute un peu prématurée à Lunel, où "l’aficion" languedocienne, sceptique, attend avec incrédulité, cette royale venue de Provence et dont on lui vante les mérites ! Foule record, mais que 12 hommes en piste. [1]

Charron est mou mais bouscule Lansac, Lino et Brutus anonymes, Petit Quo-Blanco blesse André Douleau au bras et Petassa un spectateur, seuls Blindor et quo Blanco tirèrent leur épingle du jeu. Déception et commentaires peu tendres !
Pour cette première saison, Petit Co-Blanco participe à la finale des raseteurs à Mouriès et Co-Blanco, à celle des As à Nîmes, aux cotés de Gandar et de Cosaque.

  • 1957 : la manade Arc-en-ciel va voler de ses propres ailes, car jusqu’à ce jour elle courait sous le nom de Durand-Arc-en-ciel. Sans l’apport donc de Charron, Co-Blanco et Petassa, qui vont, avec des fortunes diverses, tenir l’affiche encore une paire de saisons.

Cet élevage, hormis à Beaucaire, St Gilles et Bellegarde, se consacrera sur la Provence.
Saison chargée qui débute bien à St Rémy avec : Mounla le vieux briscard originaire de J. Lafont, Marseillais, Lino, Petit Co-Blanco, Blindor et Brutus. Ces deux derniers taureaux feront toute la carrière de la manade, Blindor étant la régularité même et se révélant souvent le meilleur de l’ensemble.
En cours de saison apparaissent : Mitron, Cosaque (ex Puget), Antar (ex Lafont) et l’espoir Lebrau mais surtout Santen, qui en avril à Istres, signe une bonne dizaine de coups de barrières et renouvelle ses exploits à Châteaurenard le 8 mai, enthousiasmant le public. Il se distingue encore à Beaucaire en septembre pour la finale du gland d’or gagné par Falomir.
L’année suivante il attire encore l’attention du monde taurin par ses envolées à la planche en maints endroits, mais malheureusement le 12 octobre à Mauguio, où sont présentés les jeunes taureaux de l’élevage, en sautant après Albuisson, il frappe violemment contre les travettes et se tue. Lourde perte pour les manadiers ! Exemple rare, heureusement, d’un taureau qui succombe dans l’arène, il succède à ce palmarès à Joli-Cœur de Mailhan à Châteaurenard et Lebrau de Laurent aux Saintes.
Cette même année un taureau issu de Denys Colomb de Daunant fait parler de lui, Pêcheur, par sa facilité à s’engager profondément à la barrière.
1er mai à Fontvieille : Petit Co-Blanco est au niveau des meilleurs, accompagné par un jeune biòu qui allait faire parler de lui, un certain Tigre de Laurent.

  • 1959 : la renommée de la manade se maintient à un très bon rang, en Provence et en Languedoc. Preuve de la notoriété, la commission du Trophée Taurin a classé cette année là, 14 taureaux pour Lafont, 12 pour Laurent, et 8 pour Arc-en-ciel. Avec Raynaud, il y avait 17 manades classées à cette date là.
    En cette fin d’année à la finale des taureaux jeunes de Méjanes, la manade Tarasconnaise triomphe avec les espoirs Salinier et Malogroy ex æquo avec Mailhan qui a mené Diable et Leg de None.

Maurice Barthélémy participe à la gestion des arènes du Pré. Il essaie de faire prévaloir des idées d’amélioration pour la plazza beaucairoise et met sur pied d’autres spectacles taurins.
C’est encore l’époque du quatuor Soler, Pascal, San Juan, Canto face à la nouvelle vague : César, Marchand, Espaze, Jacky.

  • 1960 : année difficile non pas parce que les sorties sont moins nombreuses, au contraire, mais parce que, à l’exception de Beaucaire et Lunel, la devise est "interdite" dans toutes les autres grandes pistes. Ce n’est qu’en fin de saison, le 9 octobre, que Mouriès accueille la royale dans une de ses courses qui font datent dans la saison, et dont la composition était la suivante : Brutus, Mitron, Cupidon, Dakota, Salinié, Marcellin. Cela mérite quelques lignes, car le lendemain dans la presse nous pouvions lire : "A Mouriès, excellente course d’Arc-en-ciel où Salinié et Dakota triomphent avec panache" et en sous titre : "Soler est de nouveau blessé par Marcellin ( deux fois au bras, où il restera suspendu). Salinié et Dakota, qualifiés de grands cocardiers et de révélations 1960, avaient réalisé un festival de coups de barrière et de sauts après l’homme ; Falomir malmené y laissa ses vêtements.
  • 1961 : les fauves de l’élevage continuent sur leur lancée et foulent de nouvelles pistes gardoises. Gardons nous d’oublier au passage, Mouriès pour Pâques. Une sortie à la fois homogène et particulièrement spectaculaire avec 5 cocardiers signant de grands engagements à la planche : Mitron, Cupidon, Dakota, Salinié et Marcellin qui se dressa à la hauteur du podium aux trousses de César et des 20 garçons qui leurs étaient opposés.
  • 1962 : le mauvais temps a fait renvoyer deux fois la course de la royale à Beaucaire. Elle est à nouveau programmée le 27 mai, mais ce jour-là, devant l’abondance des courses (10 tiens, ce n’est pas nouveau !) il est décidé d’en doubler certaines : celle de Mouriès à 15h30, celle de Beaucaire à 17h30, mais certains raseteurs engagées dans ces 2 pistes, quittent Mouriès avant la fin pour être présents à Beaucaire, tel Soler ! Résultat, mécontentement ici et là ! A Beaucaire très peu d’hommes au début, puis abondance. Inutile de dire la levée de boucliers que cela engendra, fort logiquement d’ailleurs, et une telle expérience ne se renouvellera pas de sitôt. Le déroulement de la course en fut faussé, ce qui n’empêcha pas Marcellin, Blindor et surtout Dakota, spectaculaire, de se mettre en valeur. Son nom se retrouve encore dans les titres pour des exploits après Soler et San Juan à St Rémy et après Soler à Lunel en octobre.
  • 1963 : dernière année. A la fin de la saison où pourtant les sorties n’ont pas diminué, où Cupidon, Salinié, Arlaten et surtout Dakota ont porté haut la devise, Maurice Barthélémy qui a des ennuis de santé et ne dispose plus assez de pâturages (le petit Badon avait été vendu en 1960), cède sa manade à Régis Chauvet qui était déjà associé dans la manade et à Albert Chapelle.

Une page a été tournée, mais les manadiers peuvent être fiers. La manade Arc-en-ciel a, pendant une décennie, apporté beaucoup de satisfactions dans bon nombre de pistes avec quelques journées mémorables, et plusieurs de ses cocardiers laisseront un nom dans le grand livre de la tauromachie.

Pour la petite histoire, c’est le 27 octobre à Fontvieille, dans un concours avec Pastré, que Dur, Salinié et Arlaten furent les derniers à courir sous les couleurs de la devise multicolore.

Joseph Durand

[1à l’époque ils se plaignaient parce qu’il n’y avait que 12 raseteurs en piste !