ffcc.info : Pour clore un peu le chapitre de la course camarguaise et de la manade, je ne peux m’empêcher de parler d’Henri Laurent.
Les techniques nouvelles dans les lignées « à sang » ont été initiées par la ganaderia du Scamandre. Mr Laurent pense pouvoir faire de même grâce aux prélèvements, ainsi qu’il l’a indiqué, sur Lion et Teflon. Cela veut il dire que les manadiers devront prendre, systématiquement, certaines précautions ?

Françoise Peytavin : Je vais parler en tant que présidente du livre généalogique.
Normalement, il n’est pas prévu de faire de l’insémination artificielle. Mais on n’a jamais fermé la porte à ces techniques. On s’est dit qu’un jour, cela peut être une condition de sauvegarde de la race. On a vécu l’épisode fièvre aphteuse en 2001 qui heureusement s’est passé loin de chez nous. Mais on a eu très peur, si c’était tombé ici, la façon dont les choses ont été gérées, par le Ministère de l’agriculture, je ne les remets pas en cause..., mais de la façon dont cela s’est passé, en une semaine on rayait de la carte le cheptel Camarguais.

Donc effectivement, est-ce que cela ne vaudrait-il pas la peine de prendre ses précautions et avoir en réserve quelques paillettes de grands étalons pour se dire : « Si un jour, il y a un gros pépin sanitaire qui arrive sur la Camargue, on pourra reconstituer la race. ».

ffcc.info : Dans la préservation de la race on n’entend pas préservation de la lignée, ou de la manade ?
Françoise Peytavin : C’est différent. L’idée ici est de sauver la race Camargue parce qu’on ne peut pas se réapprovisionner ailleurs.

ffcc.info : Qui va choisir les étalons ? Quand, comment ?
Françoise Peytavin : On n’en n’a pas encore discuté, mais je pense que cela viendra en Conseil d’Administration de la « Raço di Biòu ». On sait bien qu’en Camargue il y a 5 grandes familles différentes de bêtes et que toutes les manades sont issues de ces 5 grandes familles. Lafont, Laurent, Mailhan, Blatière, Guillierme. Ces familles ont des caractéristiques physiques et mentales accessibles au premier coup d’œil. Quand on voit sortir un Mailhan, on comprend de suite que ce n’est pas un Lafont...
Peut-être qu’effectivement, il serait intéressant d’avoir un choix sur ces grandes lignées-là, pour pouvoir éviter la consanguinité et pouvoir rediversifier le bétail.

ffcc.info : Repartir sur des lignées d’origine, et redistribuer ensuite ?
Françoise Peytavin : Oui.

ffcc.info : Cette carte des lignées, que nos amis espagnols ont mise au point, n’existe pas encore en Camargue...
Françoise Peytavin : On n’a pas encore assez de recul au niveau du livre pour ça.
Sur les chevaux, le Stud-book s’est ouvert en 1978, avec la reconnaissance de la race Camargue, on se rend compte maintenant, avec le recul du temps, que les chevaux que l’on a en Camargue aujourd’hui sont tous issus de 4 ou 5 étalons.
En remontant dans les lignées, on trouve un étalon de Jalabert, un de ...
Quasiment tous les étalons qui vont faire les saillies, à 4 ou 5 générations ils sont tous issus de ces étalons.
On aura ce recul sur les taureaux d’ici 20 ou 30 ans. Ce ne sera pas de tel ou tel étalon, mais de telle ou telle famille.

ffcc.info :Il y a tout un travail à faire ...
Françoise Peytavin : Surtout qu’il s’agit d’un travail très intéressant à faire. Chaque année, je m’y penche dans notre manade au moment du choix de l’étalon. Je remonte sur 20 ans pour voir d’où c’est venu...

"Il faut 20 ans pour faire une sélection"

Quand on dit qu’il faut 20 ans pour faire une sélection, c’est cela. Il faut 20 ans pour affiner, se dire « tiens, cela vient de telle famille, cela se recoupe avec telle autre. Cette famille de vaches va bien avec ce type d’étalon » etc....
Nous, il est clair que tout est basé sur du Pastré.
Pastré était aussi une très grande lignée, aujourd’hui disparue. Enfin disparue de la manade d’origine, parce que tout le monde a du Pastré chez soi. Il vendait énormément de bêtes. Chez nous il est clair que le bon mélange est avec du Pastré.

ffcc.info : Peut on obtenir ces informations de la part des différents manadiers ou vont ils plutôt se taire ce genre de sujet ?
Françoise Peytavin : Souvent les gens font un peu la langue de bois, en disant « oui il y a 20 ans j’ai acheté des vaches à untel untel untel... ». De toutes façons cela se sait toujours à un moment ou à un autre, il faut bien les acheter quelque part...

ffcc.info :Peut on essayer de « gratter » ces 20 ans en utilisant les 20 ans qui sont passés. On a les bêtes aujourd’hui, et leurs résultats.
Françoise Peytavin : Oui mais, il y a des pratiques qui avaient cours chez les manadiers et qui ne le sont plus depuis l’existence du livre généalogique. Par exemple de mettre 10 étalons avec les vaches. On ne savait pas qui montait qui ...
Nous, ce que l’on va mettre en place cette année, dans le cadre du livre généalogique, ce sont les tests ADN sur les étalons.

ffcc.info :Qu’est ce que cela va apporter ?
Françoise Peytavin : Quand on fait un contrôle chez un manadier, on verra si l’anouble testé est bien issu de telle vache et de tel étalon. Les vaches on les retrouve sur la manade, mais l’étalon pas toujours. Ou le taureau est bon et va rester à la manade, ou il ne l’est pas et va passer à la boucherie, ou il va faire les abrivado, on le retrouvera, au pire, même castré. Mais l’idée est d’avoir une base de données fiable.

ffcc.info :C’est une solution chère.
Françoise Peytavin : C’est l’association qui va le financer pour que cela ne soit pas à la charge du manadier.
Il est clair que lorsque l’on monte une manade, on va acheter des vaches à divers manadiers, se faire prêter un étalon ou en acheter un. Le fondement de cela fait que l’on va sortir un ou deux bestiaux qui bougeront le bout de la queue. Après, au fil des ans, il faudra affiner cela, et se poser la question de savoir dans quel sens cela fonctionne.
Sur la famille on a 2 manades que l’on n’a jamais mélangées. Il n’y a jamais eu d’interférences entre les deux. On aurait pu essayer de le faire, se poser la question de savoir si un étalon de Thibaud, ou le contraire, un étalon de la manade Salierène sur une vache de Thibaud allait fonctionner...
Trouver le sang qui concorde avec celui que l’on a, et le sens dans lequel cela fonctionne c’est 20 ans de travail de sélection.

ffcc.info : Tu es une adepte de l’apport de sang extérieur...
Françoise Peytavin : Oui, de temps en temps il le faut. Jusqu’à un certain point. Le fait que notre manade au départ était constituée de différentes lignées fait que même à travers les vaches qu’on a eu au départ, on finit par avoir un mâle. Quand on a un bon étalon, on essaie de rester dessus.
Chez nous, Fracasse, c’est la troisième fois qu’il saillit les vaches cette année. On lui en a mis moins, on lui en met 12, samedi prochain. On met son demi frère sur l’autre lot de vaches. Même mère mais père différent, et c’est là que l’on voit l’influence de la mère : même caractère. Des étalons calmes, pas emmerdants pour deux sous, qui ne bacelent pas, qui sont calmes en pays, quand ça bagarre, ils se mettent un peu à l’écart et en piste, c’est le top.

ffcc.info : Donc tu ne pratiques pas la consanguinité.
Françoise Peytavin : Il en faut dans une certaine mesure. Fracasse par exemple a fait des veaux avec sa mère, des sœurs... Mais il arrive un moment où il faut donner un apport extérieur.
Dans 2 ans, on va avoir la possibilité de mettre des étalons en fonction de ce qu’ils donneront en course.
On avait pris des vaches à Roger Andréo, parce qu’elles avaient été saillies par un taù de Joncas. On a eu 2 mâles sur ces veaux, qui pourront, éventuellement, apporter un sang nouveau quand ils auront 3 ans. Mais cela dépendra de leurs résultats en piste. Mais peut être, sachant qu’il y a 2 mâles et une femelle, que c’est cette dernière qui fera un jour un veau qui transmettra les caractéristiques du père.