1/ La mer baignait les murs d’Arles lors de sa fondation, ; des actes authentiques de cette ville, prouvent que les vaisseaux marchands et les galères y abordoient, et plusieurs historiens, notamment Papon , dans son histoire de Provence, rapporte qu’ une escadre de la république de Pise, forte de 30 voiles, mouilla au port de St Gilles en 1165, et que dans le même temps une escadre Génoise de 50 bâtiments qui la poursuivait, jeta l’ancre entre St Gilles et Arles, et ensuite devant Arles.

2/ Insensiblement, et peu à peu, les dépôts du Rhône ont éloigné la mer et formé l’ île de Camargue ; le plan du Bourg ; la basse Crau ; les marais d’Escamandre ; de la Souteiranne, de l’Armitanne de la forêt de la Pinède ; les salins de Péccais ainsi qu’un grand nombre d’étangs qui s’atterrissent journellement.
La pente rapide du Rhône, qui à 374 mètres depuis Genève jusqu’à Arles, en portera toujours les dépôts sous Arles, où il n’y a que 1 mètre et 7 centimètres depuis cette ville jusqu’à la mer ; cette pente qui serait suffisante pour une petite longueur, devient nulle pour une grande distance ; alors les eaux n’ayant pas assez de force pour pousser au loin les sables, boues, limons et graviers qu’elles charrient, elle les déposent en front et forment des barres si considérables, que le courant ne peut plus s’ouvrir un passage jusqu’à la mer, tous ces dépôts occupent à présent une étendue de plus de mille Myriares. (a)

3/ L’on compte actuellement d’Arles à la mer, une étendue de plus de quatre myriamètres (b). Ces atterrissements rapides viennent des défrichements qui sont faits sur les montagnes depuis des siècles et qui vont toujours en augmentant. A mesure que la mer reculait, on bâtissait des tours pour la défense de la côte contre les pirates et les corsaires, et par la suite pour servir de phare aux navigateurs.
On trouve encore dans divers endroits les vestiges des tours d’Allen, de Mondoni, de Tour Blanque, de Mollégès, d’Emphoux, de Lubières, de Méjannes, de Montmeillan, de Casau, du Vasel, de Brau, du Valat, de Parades, de Tour Vieille, du Tampan, de Boulouard, de Péccaï, de St Genest.
La dernière de ces tours, celle d’Allen ; n’est qu’à 3.500 mètres d’Arles (1.750 cannes) ce qui prouve que lors de sa construction la mer était très près de la ville ; la dernière, celle de St Genest, en est éloignée de 36.000 mètres (18.000 cannes).

4/ L’histoire et l’aspect des lieux nous prouvent que les atterrissements ont souvent changé le lit du fleuve, et l’ont toujours rendu tortueux et incertain, du fait essentiellement du peu de pente donc de la force des flots.
Les vents dominants étant ceux du nord-nord-ouest, dénommés Mistral.

5/ En 1430, son embouchure était à l’est, vers l’endroit où est maintenant l’étang du Landre et du Ligagneau, dans le plan du Bourg. Les vestiges de cet ancien lit, qui subsistent encore de nos jours, s’appellent Bras Mort.
En 1587, une crue extraordinaire lui fit prendre sa direction du coté de l’ouest, et l’on donna le nom de Bras de Fer au lit qu’il se forma alors, ce lit était très tortueux ; malgré cela, il était le seul navigable, et cette navigation se soutint pendant 124 ans par le moyen de digues qu’on y construisit.

6/ Cette navigation était très périlleuse, et dans la vue d’y remédier aux inconvénients quelle présentait , Mille de Valbrun, citoyen de Tarascon, projeta en 1661, de faire un canal de la roubine au canal des Vidanges, qui commence au village de St Gabriel, près de Tarascon, et va se dégorger dans l’étang du Landre, répondant alors à la mer, il obtint un arrêt du conseil, le 9 avril 1662, dans lequel étaient détaillés tous les avantages de ce canal, il en avait estimé la dépense à cinq millions ; c’est peut être cette dépense qui en a empêché l’exécution alors, malgré la nécessité où l’on était de remédier aux obstacles et aux dangers qu’éprouvait la navigation du canal du Bras de Fer ; ce projet a été renouvelé plusieurs fois depuis, mais toujours sans succès.

7/ Les plaintes réitérées des marins sur les risques qu’ils couraient aux Bouches du Rhône, déterminèrent le gouvernement à envoyer sur les lieux en 1665, le célèbre Maréchal de Vauban, pour examiner ce qu’il y aurait à faire pour faciliter et assurer la navigation du Rhône par le canal du Bras de Fer ; mais ayant reconnu les difficultés et même l’impossibilité de le rendre navigable, il proposé de faire un canal de navigation, en se servant de la Roubine dont nous venons de parler, en y exécutant les travaux convenables ; il ajouta qu’il fallait bien se garder de le faire aboutir directement à la mer par les étangs du Landre et du Galéjon, que les vents du nord-est et du sud-ouest qui règnent alternativement sur cette côte, ne manqueraient pas de retarder pendant longtemps l’entrée et la sortie des bâtiments, comme cela arrivait aux Bouches du Rhône ; qu’il s’y formerait aussi des atterrissements également préjudiciables, d’où il conclut que pour prévenir tout inconvénient, il fallait construire un canal qui partirait du port de Bouc pour rejoindre le Rhône, soit à Arles ; soit à Tarascon, ou par le chemin le plus court ; quoiqu’il put en coûter pour percer la montagne répondant au port de Bouc, il jugea que de tous les travaux que l’on pouvait faire en Provence, il y en avait pas de plus indispensable et de plus utile.

8/ Cependant les choses restèrent dans le même état jusque en 1711, qu’un évènement imprévu changea tout-à-coup l’embouchure du Rhône, et détermina son cours par le chemin qu’il suit encore à présent, qui est plus à l’est, et qui aboutit assez près du port de Bouc.
Les fermiers généraux avaient fait construire un canal et une écluse pour noyer les sels qui se formaient dans les étangs lors des sècheresses, en y introduisant les eaux du Rhône ; on négligea de fermer l’écluse, et le fleuve, dans une crue subite, l’emporta et se fraya cette nouvelle route ; on crut devoir en profiter en le resserrant dans les digues et l’on forma son nouveau lit, qu’on appela canal des Launes ; c’est le bras principal et le seul navigable encore aujourd’hui ; nous ne parlons pas des autres petites bouches, puisqu’elles ne sont pas navigables.

9/ On avait pourvu à la construction et à l’entretien des ouvrages nécessaires pour faciliter et assurer sa navigation, au moyen d’une imposition de cinq sols par chaque minot de sel qui y passerait, et dont la destination serait pour les ci-devant provinces de Rouergue, Auvergne, Lyonnais, Dauphiné, Languedoc et Provence ; cette imposition produisait plus de 30.000 livres par an ; mais malgré cet entretient et la régie établie pour y surveiller, le Rhône a entrainé une partie des digues qu’on y avait fait, et la navigation y est devenue aussi périlleuse qu’elle l’était autrefois par le Bras de Fer ; il y a même apparence que le gouvernement avait pensé qu’il était impossible d’y remédier, puisque les fonds de l’imposition sur le sel furent détournés et employés à d’autres objets, et que l’entretien a été en quelque sorte abandonné.

10/ La tour de St Genest devint alors inutile ; on bâtit donc, sur la rive gauche de la nouvelle bouche navigable, la Tour St Louis, en 1737 ; elle est la plus considérable et la dernière qu’ait été construite, elle est armée de canons et gardée par un détachement de vétérans, pour défendre l’entrée du Rhône, elle sert aussi de phare aux navigateurs pendant la nuit.
Cette tour fut établie sur le rivage de la mer, comme toutes les autres, et depuis lors, dans un espace de moins de 60 ans, la mer s’en est déjà éloignée de plus de 7800 mètres (3.900 cannes) ; un atterrissement si prodigieux dans un si court espace de temps, vient, sans contre dit, de ce que la principale embouchure de ce fleuve a toujours été maintenue dans cette position, au moyen des ouvrages qu’on y a fait successivement ; de manière que tous les dépôts ayant été portés dans cette partie ; ils y ont formé un cap avancé dans la mer de plus de 6.200 mètres (3.100 cannes) ; il prouve encore jusqu’à l’évidence, le prochain comblement du port de Bouc.

11/ Depuis plus de 30 ans les marins demandent qu’il soit construit une nouvelle tour ou phare à l’extrémité du canal des Launes, parce que la tour St Louis est trop éloignée de l’embouchure, et qu’on a de la peine à la voir pendant la nuit, à cause des arbres, arbrisseaux et dunes qui sont au-devant, et sur tout pendant la brume.

12/ Les inconvénients, sans cesse renaissants, de cette navigation périlleuse et incertaine, firent renouveler le projet du canal par Sylvien en 1732, et ensuite en 1747 il fit imprimer plusieurs mémoires à ce sujet qu’il présenta à la ville de Tarascon, elle délibéra d’en faire lever le plan et niveler le terrain. L’estimation portait sur une dépense à un million seulement, parce qu’il observait que ce canal était déjà fait dans les trois quarts de sa longueur.

13/ En 1749, Milet de Montville, ingénieur en chef à Toulon, fit des projets par ordre du Maréchal de Belle-Isle. Il proposait de faire le canal par le chemin le plus court, depuis le Bouc, par le vallon de Fulconi, à l’étang du Galéjon, qu’l traverserait pour aboutir au Rhône, 750 toises lus haut que le Bras de Fer, il portait la dépense à deux millions quatre cents mille livres, et à 3 266 500 livres dans le cas où l’on jugerait devoir porter l’embouchure du canal 5000 toises plus haut sue St Trophime ou 7000 toises en dessous d’Arles.

14/ En 1750, Polard inspecteur général des ponts et chaussées, fut chargé d’aller sur les lieux pour examiner ce qu’il serait le plus avantageux de faire ; il jugea que ce canal devait être continué jusqu’à Arles, que delà à Tarascon ou à Beaucaire le Rhône étant parfaitement navigable, l’exécution du canal deviendrait, dans ce cas, d’une utilité sans égale au commerce en général et au service de l’état en particulier.

15/ Ce canal, tout avantageux qu’il paraissait être, éprouva des oppositions de la part de la ville d’Arles. Elle soutenait qu’un grand fleuve devait être préféré pour la navigation, à un petit canal, dont les frais seraient plus considérables et plus à charge au commerce, que les ensablements aux Bouches du Rhône, « n’étaient que momentanés, et que la navigation n’y était point interrompue » surtout par l’attention des baliseurs entretenus par l’état, pour désigner les passes nouvelles que le Rhône formait, et par les ouvrages d’entretien qui se faisaient au canal des Launes ; que dans les années 1747 et 1748, il avait été expédié par le Rhône 573 bâtiments de mer chargés des seuls effets de la marine, pour les ports de Marseille et de Toulon, indépendamment de 1000 autres pour le commerce, ce qui faisait plus de 3 millions de quintaux , qu’il aurait fallu un si grand nombre de bateaux, d’hommes et de chevaux, pour un pareil service par le canal, qu’il n’aurait pu qu’en souffrir considérablement.

16/ Toutes ces objections, dont quelques unes sont évidemment fausses, étaient bien faibles, eu égard aux raisons qui ont toujours fait désirer la construction d’un canal ; d’ailleurs la mer ayant que peu de profondeur sur cette côte, les vents et les courants changent continuellement la position des sables, tout annonce pour l’avenir les plus grands obstacles à la navigation ; et si, par l’obstination de vouloir conserver le lit du Rhône dans le canal des Launes, ce fleuve faisait un jour comme le Rhin, qu’il disparut dans les sables qu’il aurait accumulé au-devant de lui, ce serait bien alors que la ville d’Arles serait privée de tout commerce et quelle aurait à regretter le canal qui aurait pu le lui conserver.

17/ En 1778, l’académie de Marseille, ayant considéré les intérêts réels du commerce, et le besoin de conserver la navigation jusqu’à Arles, proposa au concours un discours sur les moyens les plus propres à vaincre les obstacles que le Rhône oppose au cabotage entre Arles et Marseille, et a empêcher qu’il ne s’en forme de nouveaux. Elle adjugea le prix à deux mémoires qui proposait les mêmes moyens, et qui étaient déjà connus ; ils consistaient à resserrer le lit du Rhône à son embouchure par deux digues construites en pierre ou en bois.

18/ Ces deux mémoires avaient tout au plus satisfait à la première partie du programme ; mais ils n’avaient rien proposé de satisfaisant pour la seconde, qui était : d’empêcher qu’il ne se forme de nouveaux obstacles. Ils avaient précisément fait le contraire ; en effet, comme l’on ne peut empêcher le Rhône de charrier du sable et du limon à son embouchure, plus on fera de digues plus les dépôts s’arrêterons au-devant et formerons de nouveaux obstacles, et quelques efforts que l’on fasse , jamais on ne parviendra à rendre les Bouches du Rhône navigables ; car il n’en est pas de l’embouchure des rivières dans la méditerranée, comme dans l’océan, où le flux et le reflux de la mer favorisent toujours la navigation, en leur donnant un fond d’eau de cinq, six, et même sept mètres de plus que les eaux ordinaires, tandis que la plus grande élévation des eaux du Rhône, dans ses débordements, n’excède pas un mètre a son embouchure ; c’est pourquoi ses dépôts s’arrêtent constamment au point où les eaux de la mer s’opposent à l’action de leur courant, et formes des atterrissements que rien ne peut empêcher.

19/ En 1784, Marmillot, ingénieur en chef des ponts et chaussées, eut ordre de se transporter aux Bouches du Rhône, afin d’en examiner la situation, et de proposer les moyens de vaincre les obstacles que la navigation y éprouvait ; il décida, d’après ses vérifications et la position du local, qu’il y avait rien de mieux à faire que de prolonger les digues en pierre qui avaient été commencées à la Tour St Louis, et de les continuer jusqu’à la mer.

20/ En 1788, Remillat, aussi ingénieur en chef des ponts et chaussées, fut chargé de se rendre aux Bouches du Rhône, pour reconnaitre, par le moyen de sondes , la position des bancs de sable, et les endroits où ils déposaient le plus habituellement ; les résultats de toutes ces expériences, sont détaillées dans un mémoire, imprimé par ordre de l’assemblée constituante, que cet ingénieur a fait, et dans lequel est un devis pour la construction des digues en pierres, suivant le projet de l’ingénieur Mermillot.

21/ Il est évident, partout ce qui à été fait et écrit jusqu’à présent, que la navigation des Bouches du Rhône, a été et sera toujours mauvaise, à cause des sables que ce fleuve y entraine et qui s’arrêtent à son embouchure, que ces sables, , changeant de hauteur et de situation, ferment souvent le passage et interceptent la navigation ; qu’alors on n’y trouve pas un mètre et demi d’eau, ce qui oblige les marins à décharger sur d’autres bâtiments une partie de leur cargaison, et le plus souvent d’attendre quelques évènements qui forment de nouvelles passes, que pendant ce temps les bâtiments languissent après le moment de franchir les barres que les sables forme à l’embouchure : en divers temps ils ont attendu plus de quatre mois.

22/ Ces retards ruineux se renouvellent fréquemment ; on y est encore plus exposé dans le temps de la foire de Beaucaire, qui est celui de la fonte des neiges des montagnes ; on a été obligé souvent de la prolonger de plusieurs jours pour donner le temps d’arriver aux bâtiments qui étaient arrêter aux Bouches du Rhône.

23/ Le canal des Launes est la seule embouchure praticable du Rhône, ainsi que nous l’avons déjà dit (paragraphe 8). Celui du Bras de Fer n’est plus rien, on le passe à pied sec dans plusieurs endroits, ce qui le rend absolument inutile, à l’extrémité du canal des Launes. Le Rhône communique à la mer par plusieurs ouvertures ou grau : ils n’ont pas partout la même profondeur car elle varie continuellement. Une crue abondante, des vents un peu fort suffisent pour y apporter des grands changements, le moment de l’entrée et celui de la sortie ne sont jamais bien surs, les vents et la mer ne sont presque jamais d’accord, pendant ce temps les marchandises se détériorent.

24/ La sureté de la navigation exige que les marins connaissent les passes ; c’est pour cet objet et pour prévenir les naufrages, que le gouvernement entretient à ces embouchures des baliseurs, dont les fonctions sont de reconnaitre tous les jours, au moyen de la sonde, l’endroit le plus favorable pour le passage des navires, et de l’indiquer aux navigateurs, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil.
Mais outre les dangers que l’on court aux embouchures, il en est encore de très grands en remontant le fleuve jusqu’à Arles ; ils s’ont occasionnés par le grand nombre d’iles qui se sont formées dans le Rhône qui en rétrécissent le lit, et forme des contours très dangereux pour la navigation. Près le mes de Giraud, à trois lieu en dessous d’Arles, c’est tout le contraire, le Rhône y est si large qu’il s’y est formé des engravements ou barres, que l’on appelle « thau » dans le pays, qui retiennent quelques fois les bâtiments plus de quinze jours avant de pouvoir les franchir.
On serait effrayé si on avait la connaissance de tous les bâtiments qui naufragent dans les Bouches du Rhône, et dont le plus grand nombre périt, corps et biens. Nous avons vu à l’entrée du canal des Laudes en 1791, un navire qui y avait échoué, et qui s’était tellement enfoncé dans les sables mouvants qu’il n’en paraissait plus que le mât ; et comme il était au milieu du grau par ou l’on dirigeait le Rhône au moyen de digues, il ne pouvait manquer de former un jour un écueil très dangereux.

25/ Dans le temps des grandes crues, la navigation des Bouches du Rhône est absolument interdite, parce que les eaux s’épanchant sur les cotés, elles facilitent les dépôts en front et forment des barres que les bâtiments ne peuvent plus franchir jusqu’à ce que les eaux ordinaires aient ouvert de nouvelles passes, et pendant ce temps toute espèce de navigation est interrompue.
En 1749, ci-devant Dauphiné et la ville de Lyon furent menacés de la famine, les tartanes et allèges qui leur portaient des bleds de Marseille, ne purent pénétrer dans le Rhône, elles furent obligées de retourner à Marseille, et ces bleds furent envoyés par charrettes, ce qui augmenta considérablement le prix. On peut juger par ce seul exemple, combien une navigation aussi incertaine et si périlleuse porte de préjudice au commerce ; aussi les négociants ne s’en servent-ils que pour le transport des grosses marchandises, aimant mieux, quoi qu’il en coûte, faire voiturer les autres par la terre.
Cependant si l’on compare les voitures d’eau avec celles de terre, quelle différence énorme n’en résulte-t-il pas pour la dépense, une charrette attelée de 3 chevaux ou mulets, conduite par un homme, ne porte ordinairement que 190 à 200 myriagrammes (c) ou 35 à 40 quintaux, cinq homme suffisent a un allège de 120 tonneaux ou 2400 quintaux. Un allège épargne donc, et rend à la culture des terres le travail de 60 hommes et de 200 chevaux. Un cheval ou mulet de trait, consomme par jour au moins un boisseau d’avoine, et 20 à 24 livres de foin, sans compter la paille, ce qui fait par année environ 540 boisseaux d’avoine et 75 quintaux de foin. Un arpent de terre de 900 toises quarrées de superficie, peu produire environ 60 boisseaux d’avoine, et un arpent de pré 20 quintaux de foin ; ainsi il faut pour la nourriture d’un cheval de trait 12 à 14 arpents de terrain, en supposant une récolte tous les ans. Tous ces désavantages et les inconvénients majeurs, détaillés ci-devant, ont donné lieu à tous les projets de canaux qui ont été posés en divers temps et dont aucun ne nous parait avoir rempli le but.

26/ En effet, un canal qui partirait du Rhône, soit en dessus soit en dessous d’Arles, pour aboutir au port de Bouc, présente trop d’obstacle pour qu’il puisse satisfaire aux besoins de la navigation ; alimenté pare les eaux de ce fleuve, il formerait des atterrissements à son embouchure qui amèneraient insensiblement sa destruction et occasionneraient le comblement certain du port de Bouc. Peut être encore est-il impossible à construire ; car la pente d’Arles à la mer n’étant que de un mètre et 7 décimètres dans les basses eaux ordinaires, il faudrait que le canal fut remplacé dans les marais ou alluvions qui se sont formés entre la Crau et les étangs du Ligagneau et du Galéjon, où l’on rencontre fréquemment les abymes ou Trantalières (d) il serait donc impossible d’y établir aucune chaussée, ni chemin de hallage.
Ces chemins sont cependant d’une absolue nécessité pour le tirage des bâtiments, lorsqu’on est privé du vent, ou qu’il est contraire à la marche qu’on veut suivre ; si l’on se servait des étangs, dont celui du Galéjon communique à la mer par une ouverture , outre les inconvénients pour l’emplacement des chaussées et chemins de hallage, les portes de flots et l’embouchure, seraient continuellement exposées aux coups de vents et aux ensablements de la plage, ce qui ferait courir de grands risques à tous les bâtiments qui y aborderaient, l’on serait de plus exposé a un évènement semblable à celui qui a formé le canal des Launes, le 25 novembre 1711.

27/ Des ci-devant états du Languedoc, effrayés des difficultés des atterrages que les bâtiments essuient à l’entrée du Rhône, pénétrés des dangers que représente cette navigation, jugeant peut être aussi que les atterrissements rapides, fermeraient bientôt les Bouches du Rhône à la navigation, résolurent de les faire éviter aux bâtiments qui font le cabotage d’Agde et de Sette avec Arles, Beaucaire et Tarascon ; ils prévirent dès-lors que dans le cas où les Bouches du Rhône seraient obstruées ou fermées à la navigation, ils attireraient tout le commerce de ce fleuve au port de Sette. Par conséquence, ils firent ouvrir un canal de navigation d’Aigues Mortes à Beaucaire, passant par Franquevaux, St Gilles et Bellegarde, sur environ 60000 mètres de longueur. Ce canal a encore facilité le dessèchement de plus de 20000 hectares de terrain qui n’étaient d’aucun produit ; et ne servaient qu’à infecter l’air de cette contrée.

28/ Il est bien étonnant que cette entreprise des ci-devant états du Languedoc, n’ait pas ouvert les yeux aux villes de Marseille et d’Arles ; que ces deux villes, si intéressées à entretenir leur communication, qui font entre elles un lien infiniment important, ne se soit pas occupées de prévenir le danger du comblement des Bouches du Rhônes qui menace de les ruiner. Cependant le cabotage de Marseille à Arles est bien d’un autre intérêt que celui d’Agde et de Sette. IL mérite certainement une autre attention de la part du gouvernement tant par les avantages qu’en retire la marine de l’Etat, que pour ceux qu’en retire le commerce, des motifs aussi majeurs sont bien faits pour déterminer l’administration à solliciter la construction d’un semblable canal de l’autre côté du Rhône, afin d’éviter les obstacles et les dangers des embouchures de ce fleuve, et d’établir par là, une communication sûre, et facile d’Arles à la mer.

29/ Mais en faisant un canal de navigation pour communiquer d’Arles à la mer, il faut qu’il soit exempt des inconvénients reprochés à tous les projets qui ont été faits jusqu’à présent ; il faut un canal enfin, qui ne nécessite pas des versements de marchandises d’un bâtiment à l’autre, soit à l’entrée soit à la sortie, parce que ces versements les exposent aux avaries ; il faut un canal enfin, qui dans les temps présente un moyen sur et facile de faire le cabotage d’Arles à Marseille ou de Marseille à Arles.

30/ Ce serait en vain que l’on ferait un canal de navigation pour éviter ces bouches dangereuses, si on laissait combler une partie intermédiaire entre le canal et Marseille ; c’est cependant ce qui arrivera infailliblement, et bientôt, si on exécute les travaux projetés au canal des Launes depuis 1874.

31/ Les digues en pierre que l’on se propose de construire, doivent amener nécessairement le comblement du port de Bouc. En effet, les eaux étant encaissées vers l’embouchure, se gonfleront et occasionneront un atterrissement au-devant de la bouche ; et à mesure que l’on anticipera sur la plage, comme le fond en sera plus bas, les dépôts seront un peu plus lents, mais malgré cela, ils rempliront le nouveau lit et les jetées deviendrons inutiles. Si l’on se détermine à les prolonger à mesure que les dépôts le nécessiteront, l’embouchure ayant toujours le même sort, l’on en sera pas plus avancé, et les bancs ne feront que s’y multiplier ; l’expérience du passé annonce qu’on doit attendre de l’avenir.

32/ Ce qui contribue encore à maintenir les atterrissements dans le prolongement du canal des Launes ; c’est le vent dominent du Mistral, qui a à peut près la même direction que le courant. Ces deux causes réunies augmentent la vitesse des eaux, et portent les courants dans la rade et le port de Marseille. La direction des digues projetées au canal des Launes est de 45° sud est.

33/ Lorsque le Rhône entrait dans la mer par l’ouest ou par le sud, il y avait sur le côté, depuis Bouc jusqu’au cap Couronne, plusieurs Madragues (e) d’un grand produit ; mais depuis qu’il rentre par l’est suivant la direction du canal des Launes, le courant ordinaire de l’ouest a augmenté de force, et toutes ces pêcheries ont étés bouleversée ; ce qui a forcé les propriétaires à les abandonner. Nous avons de plus remarqué, que lorsque les courants poussent la mer dans l’étang, ou mer de Berre, les eaux troubles du Rhône se distinguent, par le limon dont elles sont chargées jusqu’aux Martigues ; ce qui prouve, de la manière la plus évidente, qu’elles sont la seule cause des atterrissements du port de Bouc, des canaux et de l’étang de Caronte jusqu’à cette ville.

34/ Nous ne citerons pas Menphis, Héliopolis, ces villes célèbres de l’Egypte que les atterrissements du Nil ont reculé dans les terres, dont on trouve à peine les traces de l’une, et quelques maisons, tristes débris des autres. Nous ne parlerons pas non plus de Damiette et de Rozette qui leur ont succédé, et qui à leur tour s’éloignent de la mer. Ces exemples paraîtraient trop éloignés de nous, nous fixerons les regards de nos concitoyens sur Aigues Mortes, tout le monde sait que St Louis s’y embarqua pour la croisade en 1248 et en 1270 ; et bien ! Ce port n’existe plus ; les dépôts du Rhône l’ont comblé, la plage qui est au-devant aujourd’hui en est éloignée de près de 5000 cannes ; le tour d’Anglas et de Carbonnière, dont on trouve les ruines sur la terre ferme, étaient aussi, jadis, sur le bord de la mer.

35/ Avant la formation du canal des Launes, le port de Bouc pouvait recevoir plus de 40 bâtiments de guerre, et même des frégates de 30 canons. Il y a deux ans il pouvait à peine en contenir 5, à cause de son peu de fonds ; il est reconnu que ce port est la seule retraite assurée pour les bâtiments qui se trouvent pris par la tempête dans le golfe de Lyon et dans la rade de Marseille. Le port de Sette n’est pas toujours une ressource suffisante et facile à saisir, à cause des difficultés de son entrée.
Le gouvernement, qui connait toute l’importance du Port de Bouc, vient d’y faire faire quelques réparations, que l’ingénieur Groignard a dirigées ; mais on aura rien fait et elles seront en pure perte, si on ne change pas rapidement la direction des Bouches du Rhône, car c’est en vain que l’on espère d’empêcher les effets, si on ne détruit pas les causes.

36/ Tous les vents compris depuis le sud est jusqu’au sud ouest remplissent le golfe de Lyon, dans lequel se trouve Marseille et Port de Bouc, et ils y soutiennent les eaux a une plus grande hauteur qu’en pleine mer. Les vents de terre qui leur sont opposés, font le contraire. Le vent du sud ouest dit Lebesch, qui règne le plus longtemps sur ces parages, pousse la mer dans le golfe de Marseille, contenu entre le cap Couronne, et le cap Morgiou, et le rempli ; c’est alors que la mer est a une plus grande hauteur dans le port. Il arrive encore que le vent d’est qui vient du large, réfléchissant des côtes des Pyrénées, qui sont fort élevées, devient sud ouest, ou qu’il se range même plus à gauche à l’égard de l’embouchure du Rhône et les golfes de Foz et de Marseille.
Ces sortes de vent se font sentir fréquemment à l’embouchure du Rhône ; et le sud est devenu sud ouest par la première réflexion, peu encore par d’autres réflexions depuis la pointe des Tignes, souffrir des variations différentes, qui le font entrer d’ouest, dans la rade et le port de Marseille.
Puisque par l’effet des vents compris entre le sud est et l’ouest les eaux du Rhône sont toujours repoussées dans les golfes de Foz et Marseille, et que la direction des digues projetées au canal des Launes, porte le courant sur les iles de Planier et de Riou, de même que sur le cap Morgiou, il s’en suit que tous les dépôts de ce fleuve doivent nécessairement s’arrêter dans la rade de Marseille et s’étendre jusqu’à son port , et à plus forte raison dans celui de Bouc.
Des sondes faites en 1792, depuis la principale embouchure du Rhône, jusqu’au delà du Cap Couronne, pour découvrir les endroits où les dépôts de ce fleuve se portaient le plus habituellement, ont fait reconnaitre qu’ils suivaient la direction du courant du Rhône ; qu’il s’est formé un atterrissement entre l’extrémité du canal des Launes et le cap Couronne, assez considérable, pour faire craindre la formation d’une ile ou d’un banc ; on a trouvé, dans la partie la plus élevée, guère plus de 7 mètres d’eau, soit 3 cannes et 6 pans. Les dépôts sont fort avant du cap, et se dirigent sur les iles de la rade de Marseille ; ils forment une barre entre la pleine mer, et le Port de Bouc, qui annonce d’une manière alarmante, le comblement prochain de ce port, et successivement celui de la rade et du port de Marseille.
A l’appui de cette triste vérité, voici un passage du mémoire du citoyen J.Gautier qui à obtenu l’accessit de l’académie de Marseille en 1782, sur la question de savoir, quelles étaient les causes qui pouvaient diminuer la profondeur du Port de Marseille :
« Avant l’éruption du Rhône en 1711, son embouchure était orientée vers le sud ; les dépôts se prolongeaient successivement au large, et ne causait aucun dommage sur la côte est ; elle ne s’en est ressentie que depuis qu’il a été question du canal des Launes ; le dégorgement des eaux s’en étant trouvé rapproché, a fait prendre insensiblement aux nouveaux dépôts, leur direction vers le cap Couronne, sur quoi il faut observer que tous les airs de vent du sud à l’ouest, qui produisent les plus fortes vagues de la Méditerranée , poussent sur les côtes ce que le Rhône charrie, sans que ceux qui viennent de la même côte, et qui n’enflent pas la mer, puisse produire un effet contraire, on peut conclure delà, que cette côte sera bientôt remplie d’écueils (a)
Cette éruption donna au Rhône une nouvelle embouchure, appelée Gras de l’Est ; ce Gras, tel qu’il est, dirige ses eaux par l’ouest nord ouest, de la rade de Marseille, où elle charrie une quantité considérable de vase. Les matières qu’entraine le Rhône sont de deux espèces, comme il arrive dans tous les autres fleuves ; les plus lourdes se précipitent les premières au fond de la mer, forment les dépôts du canal des Launes, et tous ses atterrissements qui rendent ses abords si dangereux ; les autres plus légers sont emportés au loin ; alors le concours des marées, des vents et des courants de l’ouest, que nous avons observé être dominants et les plus violents, chassent ces eaux bourbeuses jusqu’à l’entrée du port, où elles sont arrêtées par le promontoire de Tête de Maure, elles y déposent la vase dont elles sont chargées, et y forment une barre sur laquelle il a échoué plusieurs gros vaisseaux. Cependant lorsque le vent de nord-est souffle avec force et qu’il existe des tempêtes dans la rade, il détache du fond de la mer toutes les matières terreuse, qui se fondent avec les eaux et passent par-dessus cette barre ; celles qui vont se briser sur le promontoire de Tête de Maure, y laissent ce quelles y ont apporté, et y forment l’écueil de la Saume. Les autres qui se trouvent point d’obstacles dans leur courant entrent dans le port, où la mer, devenant plus tranquille, se dépouille de toutes les parties étrangères dont elle était chargée, et en enlève le fond puera-peu, par une succession de couches ». (f)

37/ Enfin, pour que l’on puisse juger que cet évènement n’est pas aussi éloigné qu’on pourrait le croire, et se former une idée exacte de la position actuelle des Bouches du Rhône, et surtout de celle du canal des Launes, relativement au Port de Bouc et à la rade de Marseille, nous invitons le lecteur à jeter un coup d’œil sur la carte générale de la France de Cassini, Perronet et Montigny, levées avant l’année 1779 ; l’on y verra la position du cap que forme les Bouches du Rhône, la position des îles et ou They de Béricle, de la Bigue, de Gloria et de plusieurs autres petites qui se forment à l’extrémité du canal des Launes ; on verra que tous ces atterrissements ont dû augmenter encore assez considérablement , depuis plus de 16 ans que ces feuilles ont été levées ; l’on y verra que dans l’espace de 60 ans, qui se sont écoulés depuis la construction de la tour St Louis, le Rhône, ayant suivi constamment la même direction ; les atterrissements se sont portés à plus de 7800 mètres en avant soit 4000 cannes, et qu’il ne reste plus actuellement, depuis cette extrémité jusqu’au cap Couronne, que onze à douze mille mètres, 6000 cannes, jusqu’au port de Bouc, moins de 10000 et jusqu’à Marseille quarante mille ; par conséquent en suivant la même gradation il ne faudra tout au plus que 80 ans pour barrer le golfe de Foz et combler le Port de Bouc. La rade et le port de Marseille ne tarderont pas ensuite à courir de grands dangers.

38/ Après avoir démontré le danger du comblement des ports de Bouc et Marseille par les ensablements du Rhône, nous devons proposer les moyens de prévenir un évènement aussi funeste au commerce de la France en général, et à la ville de Marseille en particulier. Nous n’en connaissons qu’un d’efficace, c’est celui de changer le cours actuel du Rhône au-dessous d’Arles en le dirigeant plus au sud-ouest. Voici notre projet.