Quatrième partie

54/ L’assemblée générale des communes du Pays de Provence, tenue à Lambesc en 1772, voulant augmenter les produits de l’agriculture d’une de leurs plus belles contrées, encouragée d’ailleurs par l’exemple du canal de Craponne , construit en 1556, qui à rendu fertile et florissante une étendue de terrain considérable, auparavant stérile, délibéra d’en faire ouvrir un qui fut propre à l’irrigation des terres de presque toute la viguerie de Tarascon, elle confia la direction des ouvrages à l’ingénieur Brun de la Commune de l’Isle sur la Sorgues en Vaucluse, qui en avait fait les projets.

55/ La prise ou dérivation des eaux fut établie sur la rive gauche de la Durance, sous le village de Mallemort, dans une position très avantageuse ; ce canal, connu d’abord sous le nom de Boisgelin, porte actuellement celui de canal des Alpines, parce qu’il embrasse la montagne de ce nom. L’administration voulant donner à ce nouveau canal toute l’extension dont il était susceptible, nous chargea en 1780, de faire les opérations nécessaires pour ouvrir une nouvelle branche qui put arroser la plaine immense de la Crau, et toutes les communes qui étaient à sa proximité, et dont plusieurs en avaient fait la demande.

56/ Pour seconder les intentions de l’administration, nous nous empressâmes de faire les plans, nivellements, et tracés des différentes branches dont cette contrée était susceptible ; il en résultat de notre travail que cette nouvelle dérivation commencerait près le logis Douneau, sur la route de Marseille à Lyon, et qu’elle serait conduite jusqu’à Lamanon ; que là, il serait établi un bassin de division pour y former trois dérivations, dont une servirait pour les arrosages du terroir de Salon, une pour ceux du terroir d’Eyguières, et celle du milieu pour la Crau, et les communes de Grans, Miramas, St Chamas, Istres, Entressen et Arles.

57/ Tous ces divers canaux ont été exécutés successivement, à l’exception de ceux de Salon et Arles, les parties de canal, faites depuis le logis Douneau jusqu’à Lamanon, et de Lamanon jusqu’aux Merle, ont été construites avec des dimensions assez grandes pour pouvoir contenir un volume d’eau capable de satisfaire à tous les besoins de la contrée et à remplir tous les objets que l’on pourra avoir en vue.

58/ C’est dans les diverses courses que nécessitèrent ces opérations ; c’est en parcourant dans tous les sens la vaste pleine de la Crau, et en étudiant les pentes pour ces différents canaux d’arrosage que nous consumes le projet plus grand, plus vaste et surtout plus utile, d’un canal de navigation pour éviter les Bouches du Rhône, dont les naufrages et les interruptions fréquentes du passage excitait les plaines de villes de Marseille et d’Arles, ainsi que des marins qui faisaient cabotage.

59/ Pour nous éclairer sur tous ces objets, nous primes la résolution de visiter les Bouches du Rhône, l’ile de Camargue, le Plan du Bourg, les marais et les étangs situés entre le Rhône et le Port de Bouc ; nous fûmes entravé à la vue d’un cap formé par les atterrissements du Rhône, et qui s’avance tous les instants sur les Ports de Bouc et Marseille ; nous en conférâmes avec les négociants armateurs d’Arles ; nous entendimes les plaintes des marins, et nous nous flattons d’avoir trouvé le moyen de les faire cesser. Nous avons consulté les gens instruits du pays et les vieillards, pour que leur expérience, jointe a nos réflexions, puisse amener à sa perfection un projet que nous croyons indispensable et avantageux sous tous les rapports.

60/ Nous proposons donc de renoncer sans retour aux Bouches du Rhône et d’y suppléer par un canal de navigation ; nous n’approuvons ainsi que nous l’avons dit ( voir à 26), aucun des projets qui ont été mis en avant et dont nous avons parlé dans la partie historique de ce mémoire sur les atterrissements des Bouches du Rhône ; nous passons sous silence ce prétendu canal, dont parle Plutarque et quelques autres historiens, appelé Fossa Mariana, du nom du général Romain Caïus-Marius, qu’on dit l’avoir fait creuser, et dont on ne trouve de trace nulle part. on aura probablement pris pour un canal les retranchements dont ce général entoura le camp qu’il forma près de l’endroit où fut ensuite bâti Arles, quand il fut envoyé dans les Gaules pour y combattre les Cimbres et les Teutons, l’an de Rome 651. notre canal traversa la Crau, depuis l’étang de St Chamas ou mer de Berre, jusqu’au Rhône, vers la porte de la cavalerie, au nord de la ville d’Arles, et suivra le cors que voici.

COURS DU CANAL

61/ En partant de la mer de Berre au fond de l’étang de St Chamas à Istres, il traversera la partie basse de plage jusqu’au vallon de Miramas, qu’il suivra en montant, passera au midi du village, au nord de la campagne de Moiroud, toujours en suivant le vallon, il coupera le chemin de St Chamas à Arles, passera entre les campagnes de Chapus et de Barbe d’Aillet, coupera le canal d’arrosage du camps de Roux , de même que le chemin de Grans au Martigues, traversera ensuite le Pâtis de Miramas, coupera le canal d’arrosage d’Istres et le chemin d’Eyguières au Martigues ; c’est a ce point que sera établi le bassin de partage, comme étant le plus élevé de tout le cours du canal.

62/ A partir du bassin de partage, le canal traversera une grande étendue de la Crau, il coupera le chemin de Molière à Entressen ; celui d’Aureille au Martigues, passera au nord de l’étang d’Entressen, coupera les chemin d’Istres, et d’Entressen à Arles, un petit canal d’arrosage, dit Fossé-Meyrol ; plusieurs fossés d’écoulement ; passera au nord du mas de Pan ; traversera les broussailles au bois de St Martin de Crau ; coupera un petit canal d’arrosage ; passera au midi et contre le cimetière ; coupera le chemin de Salon à Arles ; passera au midi de la chapelle de Môles et du mas de Bègues ; coupera le chemin de Fontvieille qui est entre deux ; passera au nord des marais de Meyranne ou des Canonges et entre plusieurs petits mas ; au midi de ceux de Jansonne, de la Marquise, d’Offan, de Larmiton, d’Autheman et de Peyras ; au nord de ceux de Bourges, des jésuites et des Fourches ; au midi de celui de l’Agneau, d’où il arrivera au canal de Craponne en dessus du pont près du moulin à foulon ; coupera le canal et suivra le chemin jusqu’à un cabaret, longera la chaussée dite le Pont de Crau, à laquelle il sera adossé au Nord ; traversera le Vigueyrat ou canal des Vidanges, les roubines et les prairies ; passera au nord de St Lazare ; au midi de l’Agenouillade, au nord de la Roche des Moulins ; coupera plusieurs chemins et une roubine  ; passera au nord de la Tuilerie et enfin arrivera au Rhône, après avoir traversé l’esplanade qui est au devant de la porte de la cavalerie, au nord de la ville d’Arles.

63/ Le bassin de partage que nous plaçons près du canal d’Istres, sera alimenté par les eaux de la Durance ; il n’y aura pas à craindre qu’elles manquent ou quelles ne soient pas assez abondantes même dans les plus grandes sècheresses, comme cela arrive dans la plus part des canaux de navigation ; car cette rivière pourrait encore en fournir en même temps à plus de dix canaux semblables. Ces eaux seraient conduites, depuis la prise sous le village de Mallemort, jusqu’au Merle, au moyen des canaux dont nous avons parlé (c) ; ensuite depuis le Merle jusqu’au point de partage, il serait fait un canal particulier à travers la Crau.

64/ C’est en 1782 que nous avons fait toutes les opérations nécessaire pour en connaitre la possibilité, et comment on pourrait parvenir a son exécution ; nous avions marqué son cours avec des piquets ou repères plantés à tous les points essentiels, et a ceux où le terrain éprouvait quelques ondulations ou sinuosités ; ces repères étaient au nombre de cent quatre vingt cinq ; depuis le Rhône jusqu’à la mer, nous avions fait un nivellement général et direct , en suite un détaillé s’un piquet à l’autre, nous en avions levé le plan et fait les profils, tant sur la longueur du cours du canal, qu’en travers à chaque station ou repère, et enfin les sondes nécessaires pour connaitre la qualité du terrain. Ces opérations nous ont démontré la possibilité de son exécution et les avantages qu’il procurerait au commerce et à la navigation du Rhône.

65/ Son exécution remplirait parfaitement les vues que l’on s’est proposé dans tous les temps, qui est une navigation aisée et sure ; il n’aurait pas l’inconvénient reprochés à tous ceux qui ont été projetés jusqu’à présent (d), car ceux-ci étant emplacés dans les créments ou alluvions du Rhône, et étant alimentés par ses eaux, seraient toujours exposés aux débordements de ce fleuve, et aux mêmes ensablements que les bouches actuelles.

66/ Nous ne proposons que des choses aisées à exécuter et à entretenir, qu’une communication simple et sure, qu’un canal qui présente aux navigateurs l’avantage de pouvoir relâcher à leur gré dans les ports de Bouc, de Martigues, de Berre et de St Chamas, lorsqu’ils seront contrariés par les vents, la brume ou la nuit.

67/ / Le canal que nous proposons fera cesser tous les risques, mettra le commerce à l’abri des pertes qu’il éprouve journellement ; le trajet Arles Marseille ne sera pas augmenté ; les bâtiments pourront le faire en un jour ou un jour et demi, les marchandises pourront être rendues en moins de quinze jours de Marseille à Lyon, et en quatre ou cinq jours de Lyon à Marseille.

68/ Lorsque nos opérations eurent été terminées et nos notes rédigées, nous nous occupâmes de ce mémoire ainsi que du projet ; nous l’avions détaillé de manière à en pouvoir faire l’estimation ; ce travail ne fut fini qu’en 1784, parce que nous avions été obligé de prendre sur nos occupations ordinaires, le temps nécessaire pour le faire, ce qui l’avait beaucoup prolongé. Nous pensions le présenter au ministre de la marine, comme étant alors chargé de cette partie, afin qu’il pût le faire examiner s’il le jugeait convenable ; mais ayant appris dans ce temps que l’ingénieur Marmillot s’occupait, par ordre du gouvernement, d’un projet sur la navigation des Bouches du Rhône ; nous pensâmes que ce moment se serait pas avantageux pour présenter le nôtre ; nous nous déterminâmes, en conséquence, à le renfermer dans le porte feuille, en attendant un temps plus favorable.

69/ En effet, le ministre de la marine, créa en 1785 un comité, pour examiner le projet de cet ingénieur, et le comparer avec un nouveau projet de canal ou plutôt avec le projet que le Maréchal de Vauban avait proposé en 1665, qui était renouvelé et singulièrement protégé par le ci-devant archevêque d’Aix. Ce comité, après un mois de discutions, approuva le projet de l’ingénieur Marmillot et rejeta l’autre.

70/ Nous avons eu depuis lors l’occasion d’examiner plus particulièrement avec l’ingénieur Remillat, les Bouches du Rhône, en septembre 1791, et surtout le canal des Launes, auquel on allait travailler d’après son projet. L’exécution en avait été autorisée par un décret de l’assemblée constituante, du 27 mai 1791, rendu d’après l’avis de l’assemblée des ponts et chaussées. Dans le séjour que nous avons fait sur ces parages, nous nous sommes encore plus convaincu des inconvénients qui étaient attachés à la construction des digues en pierres, et dont la suite inévitable était l’anéantissement du Port de Bouc ; mais l’exécution en ayant été ordonnée par un décret, il n’était pas vraisemblable de croire que les observations que nous aurions pu faire alors, en eussent arrêté l’effet , c’est pourquoi nous n’en parlâmes pas.

71/ Le 15 janvier 1792, l’administrateur du district d’Arles, adjugea le prix-fait pour la construction des digues en pierres à faire au canal des Launes, d’après un devis qu’en avait dressé l’ingénieur Bertrand, inspecteur général des ponts et chaussées ; cependant malgré cette adjudication, les ouvrages sont resté sans exécution, et ensuite le marché a été résilié ; de sorte que les travaux des Bouches du Rhône sont dans le même état où ils étaient avant 1784 ; à l’exception de quelques réparations faites aux anciennes digues.

72/ Cet abandon des ouvrages, nous à déterminé à nous livrer de nouveau à l’examen de notre projet, en profitant des lumières que nous avons acquises depuis lors sur cette partie de la côte, et des observations que nous avons été à portée de faire dans différentes courses sur les lieux, ce qui nous à mis dans le cas de faire des changements importants dans plusieurs parties pour atteindre, autant qu’il est en nous, le degré de perfection dont il est susceptible. Nous y avons adapté les nouvelles mesures républicaines, comme un hommage rendu au génie qui les a conçues, et enfin nous nous sommes déterminés à le faire connaitre au gouvernement et à nos concitoyens.