L’EXAMEN

Fait par l’ingénieur en chef du département, d’un mémoire sur les atterrissements des Bouches du Rhône, présenté par le citoyen Guimet, architecte et ingénieur ordinaire des ponts et chaussées.

Le mémoire du citoyen Guimet, qui m’a été renvoyé par l’administration du département le 17 du courant, a pour objet l’exposition de trois projets.

1/ Le changement du cours du Rhône au-dessous d’Arles.
2/ Le dessèchement des marais de la Camargue, et le perfectionnent des arrosages.
3/ La construction d’un canal de navigation entre Arles et Bouc par l’étang ou la mer de Berre.
Il est incontestable, comme le dénombre l’auteur du mémoire par des faits historiques, appuyés des témoignages les plus authentiques, que la mer baignait encore les pieds des murs d’Arles en 1165 ; que l’ile de Camargue et une partie du plan du Bourg, jusqu’à la plaine de la Crau, ont été formés par les créments du Rhône, et qu’en conservant aux bouches de ce fleuve leur direction actuelle, ces atterrissements se prolongeront successivement jusqu’au cap Couronne, après avoir entièrement obstrué le port de Bouc, et s’étendront enfin jusqu’à la rade et au port de Marseille.
Le citoyen Guimet démontre même jusqu’à l’évidence, en examinant les résultats de toutes les opérations et de tous les projets proposés et exécuté pour assurer la navigation et faire disparaitre les barres qui se forment sans cesse au confluent, que le resserrement du lit et la continuation des digues à l’extrémité du canal des Launes ne rempliraient qu’imparfaitement leur objet, qu’il se formera toujours des dépôts, et qu’en prolongeant successivement les digues à mesure de leur formation, on ne ferait jamais que reculer l’obstacle au lieu de le détruire ; aussi la commission de travaux publics, par sa décision du 27 germinal, an 3, a-t-elle cru devoir suspendre l’homologation de l’adjudication des digues.
Il suffit de la lecture de cette première partie du mémoire et de l’inspection des plans, pour se convaincre qu’il faut nécessairement changer la direction du cours du Rhône au dessous d’Arles, pour prévenir l’ensablement du port de Bouc, de la rade et du port de Marseille, et que le projet de dérivation proposé est celui qui le moins d’inconvénient et qui réunit le plus d’avantages ; par cette nouvelle direction, le Rhône se jetterait à la mer, après avoir traversé l’étang du Vaccarès, entre les Saintes Maries de la Mer et l’étang de Beauduc ; il aboutirait alors à une plage immense capable de recevoir ses dépôts, qui ne pourront même plus être entrainés à l’est par les courants de l’Ouest, parce qu’ils seront retenus par le cap formé par le Bras de Fer. Le citoyen Guimet à lié à ce projet de navigation celui du dessèchement et le perfectionnement de l’arrosage ; mais comme je suis persuadé, aussi bien que lui, que quelques changement qu’on apporte au cours du fleuve, l’embouchure sera toujours obstruée par les sables que ce fleure charrie, je crois qu’on ne peut s’occuper de l’exécution de ce projet, tout pressant qu’il soit, qu’après qu’on aura supplié à l’imperfection de la navigation des Bouches du Rhône par la construction d’un canal navigable entre arles et la mer, et c’est encore ce que propose le citoyen Guimet dans la dernière partie de son mémoire.
Les différents projets de canaux entre Arles et le Port de Bouc, et dont heureusement aucun n’a été définitivement, ont tous le même inconvénient, c’est qu’alimentés par le Rhône, dont la pente entre Arles et Bouc, n’est que de 1 mètre sur 6 myriamètres de longtemps, et devant nécessairement traverser les parties les plus basses du plan du Bourg, entr’autre l’étang du Landre et celui du Galéjon, leur construction très dispendieuse en raison de l’ élévation, de l’épaisseur et de l’établissement des chaussées sur les sables mouvants, ne les mettrait jamais à l’abri des inondations et de l’ensablement ; et qu’en supposant même le canal construit le plus solidement possible, il ne pourrait jamais être considéré que comme un nouveau bras du Rhône qui porterait plus directement ses créments dans le port de Bouc.
C’est d’après ces observations très-biens motivées dans le mémoire du citoyen Guimet, qu’il propose de construire un canal de navigation d’Arles au port de Bouc par l’étang de Berre ; ce n’est plus le Rhône qui doit alimenter ce canal, ce sont les eaux de la Durance, prise par un canal de dérivation du canal des Alpines et conduites dans un bassin de partage élevé de 49 mètres au dessus du Rhône à la porte de la cavalerie d’Arles, et de 51 mètres au dessus de l’étang de Berre ; alors tous les inconvénients disparaissent, le canal est solidement établi ; il descend du point de partage dans le Rhône par 18 écluses de 2 mètres de chute moyenne et dans l’étang de Berre par 16 écluses de 3 mètres, il traverse la plaine immense et stérile de la Crau, qui devra sa fertilisation grâce a ce canal par la facilité des arrosages. Les chutes des écluses favoriseront l’établissement des usines de toute espèce et en comparant la dépense de l’exécution de ce projet avec les avantages qui doivent en résulter, il est évident que le gouvernement ne peut placer ses fonds à un plus haut intérêt.

L’imperfection de la navigation des Bouches du Rhône, a apporté pendant la campagne de l’an2 de grands obstacles à la libre circulation des convois pour l’armée d’Italie, c’est pour y suppléer que les représentants près de cette armée, m’ont chargé pendant la dernière campagne de faire remettre en état la communication par terre de Tarascon à St Chamas, de faire curer le port de St Chamas, les canaux de Martigues, l’étang de Caronte et le passage du Grès à l’entrée du Port de Bouc . en exécutant ces opérations, j’ai conçu le même projet, que le citoyen Guimet présente aujourd’hui à l’administration et dont il avait établi toutes les bases en 1782. Dans mes réponses aux questions du ministère de l’intérieur, et que j’ai adressé à l’administration du département, le 23 frimaire dernier, j’ai indiqué l’ouverture de ce canal comme le projet dont l’exécution devait être la plus avantageuse sous tous les rapports, je me proposais, aussitôt que les circonstances le permettraient, de faire les opérations nécessaires pour constater la possibilité et l’utilité de ce canal sont évidement constatées, il ne reste plus à terminer que les détails partiel dont on s’occupera après l’autorisation du gouvernement.
Animé du seul désir d’être utile à sa patrie, le citoyen Guimet a manifesté dans l’exposition de ses projets autant de zèle que de connaissances ; je ne doute pas que l’administration du département n’accueille favorablement son mémoire.

Fait à Aix, le 21 Ventôse, l’an quatrième de la République Française, une et indivisible.
CARRIER.