Grâce à l’étendue sans limite de ses terre-pleins, d’énormes stocks qui ne pourraient être que coûteusement entreposés sur les quais de Marseille, peuvent séjourner sans inconvénient et à peu de frais, à Port-Saint-Louis, que ces commodités désignent tout naturellement pour devenir un port spécialisé dans les marchandises encombrantes, le port a près de 9 kilomètres de quai au total.
De nombreuses compagnies de navigation s’y sont établies, car les taxes de péages y sont notablement plus faibles qu’ailleurs. Sa situation exceptionnelle à l’embouchure même du Rhône, en outre, permet l’acheminement des marchandises par la voie fluviale qui est, de beaucoup, la plus économique, et il offre encore le bénéfice qu’on n’y paie pas de droits d’allège, car le transbordement des marchandises s’y fait directement des cargos sur les péniches qui remontent le Rhône, où vice-versa.

Mêmes avantages, d’ailleurs, pour les transports par fer. Sur tous les quais, le rail va jusqu’aux navires et les wagons eux-aussi sont chargés directement. Quarante kilomètres de voie ferrée à travers la pampa cravenque les conduisent alors jusqu’à Arles sur la grande ligne ; Tarascon, plaque tournante de tout trafic vers le sud-ouest, ou Miramas pour la côte d’Azur et l’Italie, se trouve ainsi à une distance bien moindre de Port-Saint-Louis que de Sète que de Marseille.

Immense apparaît l’avenir de Port-Saint-Louis, à la lueur de ces considérations. Avant-port naturel de Lyon, il deviendra de plus en plus ; le port franc de la Suisse, l’ouverture de la navigation entre Lyon et Genève doublera le trafic fluvial, qui se reliera par la Saône à celui du Rhin et le Rhône redeviendra, comme dans l’antiquité, la grande artère du commerce méditerranéen avec l’Europe centrale.
Port-Saint-Louis atteindra alors à la prédominance maritime qui, pendant tant de siècles, appartint à Arles ; mais la capitale Constantinienne verra du même coup renaître une activité florissante dans son port qui, exclusivement fluvial désormais, gagne au développement de Port-Saint-Louis une importance croissante comme port de triage des barques et des péniches.

Au fur et à mesure, cependant, que des cargos d’Afrique du Nord, d’Egypte, de Syrie et même d’Amérique et de Scandinavie amenaient de nouvelles marchandises dans ses bassins de transbordement, des usines, profitant des vastes terrains immédiatement utilisables à Port-Saint-Louis, s’élevèrent des steppes, hier encore désertes, pour traiter les marchandises importées. Ici les arrivages de blé ont donné naissance à la minoterie la plus vaste et la plus moderne de France.
Là, en plein Far-West Paludéen, d’énormes usines de produits chimiques extraient des goudrons de brai, la naphtaline et la benzine, entreposée dans des réservoirs de 10 millions de litres. Plus loin, 5 raffineries, rivales par l’importance, traitent les huiles que nous envoie l’Empire et régénèrent celles qui sont usagées. Les bois alimentent de colossales papèteries régionales, dont les machines sont uniques dans notre industrie nationale.

Au même rythme que cet essor industriel, une ville ouvrière est née, isolant près de 6.000 ouvriers sur ces terres perdues, où il semblait qu’âme qui vive jamais ne dût s’aventurer.
Tout a été si vite qu’il a fallu souvent se contenter d’improviser, dans cette ville inattendue, qui a eu le développement soudain d’un comptoir colonial et qui en garde les aspects pittoresques.

Il n’est pas rare, au faubourg Foch, de se retrouver nez à nez, en rentrant chez soi, le soir, avec quelques taureaux et chevaux sauvages. Tel autre quartier qui rappelle la zone des anciennes fortifications de Paris, touche aux Salins de la Compagnie du Midi et presque peut-on se livrer, dans les rues mêmes à la chasse au marais, sur le faubourg bien nommé de Venise, que borde l’étang de Mallebarge.
Là, l’ingénieur n’a pas encore réussi à faire pousser un arbrisseau autour de sa maison toute neuve, qui ressemble à un bungalow et l’on se rend par une passerelle à une sorte de tennis lacustre, coulé en plein marais.
Il y a même à Port-Saint-Louis un village nègre, où, tout comme a Tombouctou, les cases sont construites avec des tôles hors d’usage, des bidons, de vieilles caisses et une totale négligence de tout plan préconçu. Des Berbères n’y semblent nullement dépaysés devant des étendues seulement peuplées de mirages et étrangement évocatrices de la Hammade Marocaine.

Car toutes les races ont contribué à la formation de cette population, elle aussi réunie artificiellement, et qui a été recrutée sous les climats les plus divers : russes annamites, espagnols, italiens, roumains, turcs, grecs, portugais donnent à chaque quartier où ils se sont regroupés, en gardant leur façon de vivre, le pittoresque d’un pays lointain.
Une importante colonie grecque habite le faubourg Hardon, qui porte le nom d’un des premiers pionniers de la cité, auquel sa réalisation est due pour une grande part, et Port-Saint-Louis a solennellement reçu en 1942 sa petite fille, Madame la Maréchale Pétain, revenue sur ces lieux où elle fut témoin de ces travaux.
La reconnaissance publique a dédié à cet ingénieur hardi le quartier neuf, où de vraies rues ont été aménagées et percées, à travers l’ancien maquis de bicoques de fortune.
Car d’importants travaux d’urbanisme et d’assainissement sont poursuivis à Port-Saint-Louis, où tous les habitants ont participé aux miracles. Et tous y sont au travail pour bâtir quelque chose de plus grand encore ; cette résolution se lit sur les visages d’une jeunesse exceptionnellement saine, solide et nombreuse.

Le mélange du sang français avec de tous les peuples de la Méditerranée y a créé une race neuve, où l’on ne remarque pas moins la vigueur des garçons que la beauté des jeunes filles.
Les familles de huit et dix enfants n’y sont pas rares et plus de mille élèves animent les écoles.
Mais loin de se croire isolés moralement, comme ils le sont géographiquement, tous savent que, pour être lointaine, l’antique terre sur laquelle ils ont bâti, de toutes pièces, une cité, appartient au passé de la Provence, qu’ayant créé à l’embouchure de son plus grand fleuve, un port en plein essor et ouvert au Pays d’Arles son accès vers la mer, ils ont renoué une tradition et rallumé le flambeau.

Par eux, c’est l’ancien cabotage aux voiles latines qui a ressuscité dans les basses eaux du Rhône ; ce sont les navires du Levant qui ont retrouvé cette route fluviale d’Arles par laquelle ils acheminèrent, de l’Antiquité au Moyen-Age, leurs marchandises en Europe occidentale ; face à la Méditerranée, où les plus vieux hommes du Delta virent poindre les trières doriennes, c’est la grande pensée de Mistral, revigorée par la fidélité au Maréchal, qui dirige cette jeunesse ardente ces ses destins nouveaux.

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