Un article de TAMARISSO, de son vrai nom Marcel Salem, extrait du journal " Le Toril" de 1922

Nous connaissons des gens n’ayant pas un seul atome de croyance dans leur être et qui ne manquent pas d’assister aux offices religieux des Saintes, tant ils sont émouvants et beaux.
Et nous qui assistons aux fêtes des Saintes, depuis notre enfance nous n’avons jamais vu sortir de l’église merveilleuse cette série d’éclopés, de boiteux, d’aveugles que le metteur en scène a cru devoir incorporer dans son film sans se rendre compte combien cette partie de l’action était déplacée, mais rendue blessante pour les Provençaux.

Nous n’avons pas l’habitude de nous occuper ici de religion, pas plus que de politique, mais nous avons été outrés de la façon dont sont parodiés les fidèles du pèlerinage des Saintes, dans cette partie partie du « Roi de Camargue »

Ces fêtes des 24 et 25 mai aux Saintes font partie de la tradition Provençale comme en font partie la messe de minuit au Baux, les cavalcades de la Saint Eloi et la festo Virginenco. Ce sont pour tous les Provençaux des choses sacrées aux quelles nul ne devrait toucher, pas même le metteur en scène d’une grande firme de cinema.

Malheureusement, l’automobile et le cinéma ont détruit tout le charme unique de la Camargue et des Saintes qui sont, pas tout a fait encore mais ça viendra, un plage à la mode, une Camargue d’opéra comique.

Et cela rappelle les beaux pèlerinages d’autrefois. Je me souviens encore quand tout enfant à la maison paternelle, nous remisions les chevaux et que devant le petit café de l’avenue de la gare s’alignaient les chars à bancs et les jardinières.
Mon grand-père, mon père, qui, gardian de bouvino ou de roussatino, connaissant tous les Camarguais, et mes oncles, adressaient un mot aimable à tous les clients habituels qui, depuis longtemps venaient « establa » vers « Dardeane » , le sobriquet de mon grand-père.
Nous nous amusions à cette époque, avec de jeunes camarades , à compter les automobiles qui osaient faire le voyage à travers la Camargue et je me souviens comme si c’était hier, de notre surprise, une année nos en comptames sept.

Si le metteur en scène de « Roi de Camargue » avait connu cette époque, non seulement il nous aurait traités de barbares, mais probablement se serait-il demandé s’ils se trouvait en France !
Il n’y avait à ce moment là aucune villa et nombreux étaient les habitants qui vivaient encore dans des cabanes de chaume.

J’ai signalé ceci pour montrer aux lecteurs qui n’auront pas l’occasion de voir ce film, avec quel esprit les metteurs en scène font le voyage de Camargue et prennent des vues.
On se rendra compte facilement que c’est assez faux comme point de départ et qu’avec un pareil état d’esprit, on ne risque pas de tirer quoique ce soit d’interessant d’un pays pourtant si riche.