Les débats

A la suite d’un article paru le 9 avril 1922 dans nos colonnes sous la signature de notre rédacteur en chef, article dans lequel M. Rémy Salvador , président de la ligue anti-taurine, adversaire passionné de nos courses de taureaux, était pris à partie, nous recevions de la part de ce dernier, une assignation de 1 franc de dommages et intérêts. M. Salvador, demandait, en outre, cinq insertions du jugement sans préjudice des pénalités que nous encourions d’ après lui.

L’affaire appelée en juillet devant la 3e chambre de Marseille fut renvoyée au 2 décembre dernier.
La défense des intérêts du Midi-Taurin avait été confiée à deux avocats dont la compétence juridique n’ont d’égales que leur ardente aficion : Maître Marcel Viel, du barreau de Marseille, membre distingué de « l’union taurine de Marseillaise », conférencier érudit et Maître Bernard de Montaud-Manse, du barreau de Montpellier, tribun des libertés méridionales, défenseur de la cause taurine contre la SPDA. Nos intérêts on le voit était en bonnes mains.
M. Salvador avait choisi pour soutenir ses prétentions un très sympathique avocat du barreau de Marseille Maître Lescudier.

Le 2 décembre les débats s’ouvrirent devant une salle bondée et cette affluence témoignait bien de l’intérêt que présentait cette affaire, car derrière la modeste personnalité des journalistes mis en cause l’aficion toute entière était visée.

Midi-Taurin, passionnément aficionado, ardemment méridional, fier d’être au premier rang des défenseurs de nos courses de taureaux, au premier rang où l’on reçoit des coups, sans doute, mais ou l’on en donne aussi ; Midi-Taurin enregistre avec un plaisir immense les marques de sympathie dont il a été l’objet dans cette circonstance et dans l’impossibilité où nous somme à la rédaction de notre feuille de répondre à chacun nous demandons à tous de bien vouloir trouver ici l’expression de notre gratitude
Nous notons dans la salle d’audience la présence de nombreux avocats, de plusieurs journalistes dont les sentiments de bonne confraternité nous ont été particulièrement agréables, de M. Augusto, sympathique président de l’UTM (1), M. Pascal de l’union taurine Avignonnaise, et aussi disséminé dans l’affluence quelques uns de nos adversaires.
Le tribunal fait son entrée. Les têtes se découvrent M. Pellegrin préside assisté de MM. Brun et Couve. Le greffier appelle l’affaire : « Rémy Salvador contre Faure, Rafaelito, rédacteur du Midi-Taurin et Reboul directeur du journal ». Les parties répondent :
Messieurs Faure et Reboul déclinent leur identité.
Notre rédacteur en chef revendique la responsabilité de son article et notre directeur en reconnaissant l’insertion fait connaitre que le Midi-Taurin est en vente à Marseille qu’il y possède des abonnés, condition indispensable pour que le tribunal se déclare compétent.
Le distingué président du tribunal donne alors la parole à Me Lescudier, représentant M. Salvador qui s’est porté partie civile.
L’honorable et talentueux avocat de notre adversaire s’attache à démontrer le caractère diffamatoire et injurieux de l’article incriminé. Il représente M. Salvador comme un homme particulièrement doux et fait des corridas longuement le procès. Dans une conclusion habilement amenée il demande au tribunal de prononcer la condamnation de Midi-Taurin, le franc de dommage et cinq insertions que son client sollicite.
Mr le procureur de la République se lève. En quelques mots il expose que l’article visé ne constitue pas une diffamation et déclare s’en rapporter au tribunal pour apprécier si cet article comporte un caractère injurieux.
C’est maintenant au tour de maître Viel. On ne traduit pas avec des mots les parfums des fleurs ou les sons d’une harpe éolienne, il faut les respirer ou les entendre pour les apprécier. De même la plaidoirie de M. Viel ne se raconte pas.
Dans un silence impressionnant le jeune maître s’avance tandis que les oreilles se tendent vers sa direction et que vers lui converge les regards. Minute d’attente où la salle entière semble suspendue aux lèvres qui vont s’ouvrir ! La voix calme porte bien la parole est aisée Mr. Viel dans un bref exercice faisait un parallèle entre ses gouts personnels et ceux d’autrui ironise finement l’apostolat de M. Rémy Salvador, paladin moderne de la croisade anti-taurine.
Et l’orateur développe sa plaidoirie. Une parfaite connaissance de la cause, une ardente aficion, un esprit clair comme le feu voilà la forge d’où était sortie cette plaidoirie, glaive étincelant dont M. Viel à la fois armurier habile et redoutable escrimeur tailladait la face de notre adversaire.
Quels éclairs, quelles damasquinure et quel tranchant aussi !
Textes en main M. Viel démontre que l’article du Midi-Taurin n’est qu’une réponse aux nombreuses provocations dont les aficionados et les journalistes taurins ont été l’objet de la part de M. Rémy Salvador dur, lui aussi dans ses épithètes.
Les traits d’esprits foisonnent, la verve de l’orateur éclate, brillante comme un feu d’artifice dont M. Salvador fait les frais. Les rires fusent de toute parts et n’était la solennité du lieu de justice les applaudissements crépiteraient. M. Viel n’est pas méchant. Il lapide à coup d’étoiles et le lapidé comprendra la leçon.
Dans une enlevante péroraison où la voix majestueusement et retentissante emplit le prétoire, notre ardent défenseur demande l’acquittement du Midi-Taurin.
M. le président donne la parole à maître Bernard de Montaud Manse qui va porter à notre adversaire le « descabello » décisif.
L’éloquent tribun des libertés méridionales, celui qui, naguère, de sa puissante voix faisait vibrer les pierres millénaires du cirque d’Arles lors de la grandiose et pacifique manifestation taurine salue d’abord Marseille où il a l’honneur de venir plaider une cause qui lui est chère, défendre des amis, dit-il, et défendre la fête ou participe le taureau. Dans un langage pathétique, il évoque la tragédie du cirque où le courage de l’homme vainqueur de la bête la plus féroce de la création viens s’épanouir de l’apothéose. Il dit toute l’ardeur des populations méridionales pour ces jeux de l’arène, faits de vaillance, d’élégance, d’adresse et puissamment colorés par la lumière du soleil de Provence Il clame son enthousiasme et sa voix sonore claironne déjà comme un champ de victoire. Armé de textes lui aussi, il vient démontrer au tribunal les continuelles provocations qui ont visé les continuelles provocations qui ont visé les aficionados dans le bulletin de la « ligue anti taurine » sous la signature de M. Salvador ou de ses amis. Il site notamment un article qui fut approuvé par les anti-taurins, article dans lequel un grand français , un homme de bien, M. le Maréchal Lyautey est vilipendé parce que coupable d’avoir présidé des corridas à Casablanca, là bas dans ce Maroc que ce soldat sublime a conquis à la France.

Un verdict négatif s’impose à l’égard des journalistes poursuivis par M. Salvador , un arrêt qui sera un verdict d’apaisement dans cette querelle que n’ont pas recherchée les défenseurs de la cause taurine quelles que soit les expressions malsonnantes dont leurs adversaires ont abusés a leur égard, tel est le sens de la conclusion magistralement exposée par M. De Montaud Manse.
Quelques minutes s’écoulent et le digne président du tribunal annonce que l’affaire est mise en délibéré et que le jugement sera rendu à quinzaine.
La foule s’écoule. Les deux avocats sont entourés et chaudement félicités. Accompagnés de notre rédacteur en chef, de notre directeur et de plusieurs personnalités aficionados et journalistiques de Marseille, ils se rendent à la gracieuse invitation faite par M. Augusto président de l’important groupe « l’union taurine marseillaise » dans les locaux de laquelle est servi un apéritif d’honneur.

(1) UTM : Union Taurine Marseillaise