L’Arrêt
Texte du jugement

Le jugement à été rendu le 16 décembre 1922, en voici les attendus :

« Attendu que Rémy Salvador a appelé devant le tribunal :
Reboul, gérant du journal le « Midi Taurin » comme auteur principal
Faure dit « Rafaelito » rédacteur en chef du dit journal comme complice du délit d’injures et diffamation publiques aux fins de s’entendre condamner conjointement et solidairement par l’application des articles 23,29,32,33,42,43 de la loi sur la presse du 19 juillet 1891 à lui payer un franc de dommages intérêts et ordonner l’insertion dans cinq journaux de son choix ; s’entendre en outre, solidairement condamner aux dépens sans préjudice des peines à prononcer sur les réquisitions du ministère public.
« Attendu que le numéro du journal le Midi-Taurin en date du 9 avril 1922 paru est mis en vente à Marseille et dans la région contenait en première page et sous la rubrique « cornigrammes » un article intitulé « toujours cette vieille protectrice » et finalement ces mots « alors que tant d’infortunes restent flagrantes.
Que ledit article signé « Rafaelito » renferme l’adresse de Rémy Salvador le passage suivant : Nous le demandons à Rémy Salvador l’individu de mauvaise foi qui criait au scandale parce que Nimes avait pavoisé aux couleurs de Provence rouge et jaune, le 17 novembre dernier, pour la manifestation en faveur des libertés méridionales qui parle avec dégoût des aficionados administrateurs de ces sales étrangers que sont d’après lui les toreros.
« Attendu que Rémy Salvador prétend que ce passage réunit tous les éléments constitutif du délit de diffamation publique »
« Attendu que ce même article contient aussi à l’adresse du même plusieurs mots injurieux, notamment les suivants : « l’individu ignare » « vous tentez de salir de votre bave » « vous êtes président plus ou moins décoratif d’une filiale de la SPDA (1) » que Rémy Salvador soutient que ce sont là des injures tombant aussi sous l’application de la loi précitée.

Sur les diffamations :
« Attendu que l’expression, individu sans foi ou de mauvaise foi ne constitue pas une diffamation, mais tout au plus une injure ( Cour de cassation du 5 décembre 1861) ; que d’ailleurs la diffamation est l’imputation d’un fait précis et déterminé qui porte atteinte à l’honneur et à la considération ; que les expressions reprochées comme diffamatoires ne présentent pas ce caractère ; qu’on est en droit de se demander, d’ailleurs si on doit considérer comme diffamatoires les imputations contenues dans un article et portant sur les sentiments , les opinions et les tendances du plaignant, ce qui est l’espèce (Cassation du 10 avril 1907)

Sur les injures reprochées :
« Attendu qu’en pareille matière la provocation contient une excuse complète et il n’est pas nécessaire que cette provocation précède immédiatement la riposte (Cours de cassation du 17 aout 1886, code de la presse, page 80).
« Attendu à ce point de vue que le numéro du 18 mars 1922 de « la ligue anti-taurine » contient sous la plume de et la signature de Rémy Salvador le passage suivant :
« Le Midi-Taurin pour nous séduire déclare qu’il aime les bêtes, à preuve son chat qui ronronne sur ses genoux. Allons assez de chinoiseries. Quand on aime les bêtes, on ne va pas aux arènes de sang. Et quand on est sincère on répond directement par son journal à Henry Barbusse qui a déclaré que la corrida était une lâcheté ou à Ibanez qui a parlé de la foule immonde des arènes et on ne fait pas semblant d’ignorer leurs articles car on pourrait croire que la cause taurine est si mauvaise que faute de preuves le silence est nécessaire. Mais à mauvaise cause, mauvais avocat et semblable à l’armée pendant une célèbre cause les journaux taurins demeurent les grands muets »
« Attendu qu’il est de toute évidence que ce passage précédant de quelques jours l’article incriminé, constitue une provocation, un appel à la riposte, une excuse légale, mettant celui qui en est l’auteur à l’abri de toute condamnation pénale ».
« Attendu, d’ailleurs, que si l’article incriminé contient des expressions injurieuses telles que : « individu ignare », « vous tentez de salir de votre bave », il y a lieu de considérer qu’indépendamment de l’excuse légale précitée, Rémy Salvador dans le numéro de la Ligue Anti Taurine de janvier 1922, s’exprimait ainsi :
« Considérer la corrida de muerte et toute la bande espagnole comme ayant quelques rapport avec la Provence et les libertés méridionales, c’est faire preuve d’une ignorance crasse d’un tel amour de gagner de l’argent que rien ne peut être considéré comme plus bas et plus vil » et un peu plus loin : « Vous, monsieur, qui bavez comme les journaux taurins, sur des femmes » et dans le numéro de février, Rémy Salvador traitait les amateurs de courses de taureaux de : « sinistres farceurs qui voudraient entrainer tout un peuple dans leur aberration mentale » expressions qui , indépendamment de la provocation visée plus haut peuvent être considérées comme une provocation à l’adresse des amateurs de courses de taureaux et à la
presse qui en est le porte parole.
« Attendu, qu’il résulte de tout ce qui précède que le délit de diffamation n’est pas établi ; que celui d’injure bénéficie d’une excuse légale : la provocation.

Par ces motifs le tribunal ACQUITTE les nommés Faure Louis et Reboul Edmond des fins de la poursuite, les renvoie indemne et sans dépens.
De même suite déclare la demande en paiement de dommages et intérêts du demandeur Rémy Salvador et la demande en insertion du jugement à intervenir « irrecevable et mal fondée » en conséquence » l’en démet, l’en déboute et le « CONDAMNE AUX DEPENS ».

Le Midi Taurin de Dec 1922