Il n’est ni chanteur, ni comédien, encore moins tourneur ou raseteur, mais ces derniers il les aimait bien quand leur confrontation avec le taureau fait vibrer les afeciouna. Avec sa caméra, ses films, il a permis à la course camarguaise de faire son entrée à la télévision, par là même, dans les foyers du Languedoc-Roussillon et de la Provence, surtout après les week-ends où le taureau est roi et fait se déplacer les gens.

Yves Martrenchard, car c’est de lui qu’il s’agit.

Vous devez certainement le connaître, vous qui fréquentez les arènes, vous l’avez certainement croisé, la caméra en bandoulière, sur l’épaule ou à la main, prêt à filmer les meilleures séquences de ce magnifique spectacle qu’est la lutte du cocardier face aux raseteurs.
L’œil, il l’a, la connaissance aussi.
Je suis allé, pour la Fe di Biòu m’entretenir avec lui :

Robert Feline (RF) : « Yves, tu viens de tirer ta révérence à France 3 Sud après y avoir passé combien d’années ? »
Yves Martrenchard (YM) : " C’est la fin d’une bien belle aventure. Trente six ans passés sur les routes du Languedoc-Roussillon et de Provence, à la rencontre de personnages passionnés et passionnants.
J’ai connu le film noir et blanc, le film couleur, et la vidéo.
De très, très bons souvenirs...

RF : « Je sais que tu es un grand amoureux de la Camargue et de ses traditions, surtout de la course camarguaise qui te doit beaucoup car tu es pratiquement à l’origine des diffusions à l’antenne. Cela ne fut pas facile certainement. Tu n’as pas dû te faire que des amis, surtout connaissant ton caractère et ton professionnalisme. Je ne te demanderai pas de me raconter toutes ces années, mais simplement, que t’en reste-t-il ? »
YM : « Des regrets bien sûr ! On n’abandonne pas sa caméra du jour au lendemain comme ça ! Elle va me manquer c’est sûr.
Après avoir regardé vivre notre région pendant plus de 20 ans à travers l’objectif, c’est exaltant ! Cela ne s’efface pas d’un revers de la main. De toute façon, il en est ainsi, il faut se faire une raison et laisser place aux jeunes, sans pour autant généraliser, à ce jour la relève ne m’a pas encore impressionné par son enthousiasme, sa précipitation à monter au créneau. »
En cessant mon activité professionnelle, il me vient à l’esprit ce bon vieux proverbe perse « Lorsqu’on commence à te trouver des qualités, c’est que l’on sait que tu vas mourir ou que tu t’apprêtes à voyager ». Alors pas de regrets à quitter des hypocrites et des menteurs.
Exemple avec notre soi-disant télévision régionale, comme son nom nous l’indique, depuis sa création au printemps 1965 ; tous les patrons qui se sont succédés ont toujours privilégié la corrida, occultant ainsi pendant une vingtaine d’années ce que je considère comme le fleuron de notre patrimoine culturel et de notre identité régionale, la course camarguaise.
Aujourd’hui, il reste encore beaucoup à faire. En permanence, il faut discuter, négocier, pire que des marchands de tapis, pour faire vivre sur notre antenne nos us et coutumes, cela parce qu’une bonne partie de l’encadrement n’a toujours pas pris la véritable dimension de cette discipline sportive, ignorant ainsi son impact culturel et économique. Des décideurs qui n’hésitent pas à donner dans notre journal régional la priorité à un reportage sur un potier ou un marchand de sabots, au détriment d’une course aux as où 8 à 9000 personnes assistent au spectacle, sous prétexte que la course camarguaise n’est pas de l’information.
Cela ne s’invente pas, c’est la même punition pour le tambourin, les joutes, la pétanque. Cela n’a pas été facile mais je suis quand même parvenu à faire entrer sur notre antenne la course camarguaise. C’est ma plus grande satisfaction !
Avec Patric, puis Alain Nenoff, que du bonheur de parcourir avec notre caméra la planète bouvine. Une planète qui ne subit jamais d’éclipse sauf à la télé.
S’il y avait eu des lacunes d’ordre professionnel au cours de ces années de reportages et magazines sur la bouvine, les responsables qui se sont succédés en auraient pris note et nous auraient informé. Or ils nous ont toujours fait confiance.

Un opportuniste ? C’est possible.
Opportuniste et égocentrique à la fois.Vous ne pourrez jamais rien contre ce type de personnage qui se réveille précisément au moment où le fruit est mûr et qu’il n’a plus qu’à le cueillir. Et pourquoi pas en revendiquer la paternité ? Mais cherchez l’erreur !
Lorsque j’ai pu faire connaître la tauromachie française sur le petit écran, notre client, lui était encore en culottes courtes et jouait aux billes dans les cours d’école. Dans l’esprit de l’afeciouna, je ne pense pas qu’il puisse y avoir de confusions.
Il découvre, et cela peut faire un passionné, c’est très bien, nous ne serons jamais trop nombreux ! Simplement lorsqu’on découvre, il faut savoir avant toute chose, que les taureaux, c’est l’école de l’humilité.

Passionné ? Mais ça non !!! Pas de problème de ce coté-là. Je ne connais pas de journaliste de notre station habité par la Fe di Biòu.Tout cela me fait penser à Louis XII et Frangois 1er. Franchement, je ne me sens pas du tout prêt pour incarner le ròle de Triboulet. Le roi se cherchera un autre bouffon !
Le moment est donc venu de sortir les cannes à pêche, les boules de pétanque, les balades en pays.

Ayant pu interrompre Yves Martrenchard, j’en profitai pour lui demander qu’il me parle des taureaux, des raseteurs qui l’avaient marqué ainsi que des manadiers, du rôle de la FFCC, bref de tout ce monde qui fait ce qu’est la course camarguaise et qui créée sa légende.

YM : " Il y a pratiquement 20 ans que je filme la course camarguaise, il est vrai que j’en ai vu de belles, mais dommage que je n’ai pu m’exprimer pleinement à la télé car avec un commentaire et des images de 1 minute trente, il est difficile de montrer des courses comme la Cocarde d’Or et bien d’autres. Il est regrettable que l’on ait éliminé l’émission que je faisais avec Alain Nenoff et qui durait cinq minutes, c’était autre chose.
Chez les taureaux, j’ai eu la chance de connaître l’époque de Barraie qui était un grand cocardier. Il suffisait qu’il apparaisse en piste et déjà il inspirait le respect, mais il y eut Vincent de Ribaud qui aurait bien mérité d’être Biòu d’Or " car ne le passait pas qui voulait. Plus loin, il y a eu Ventadour et Pascalet.
Chez les hommes, Chomel fut indéniablement un grand, il affrontait tous les taureaux avec aisance et savait changer son comportement en fonction de l’animal. Durant ma période de télé, il m’a fait régaler et pourtant comme adversaires, il avait Ferrand, Tognetti, Mezy et Morade.
Il y a eu également André Soler que j’ai pu apprécier en tant qu’afeciouna. Lui aussi savait s’adapter à tous les taureaux. Avec Chomel, ils resteront pour moi les plus grands de la course camarguaise.
Quant à la génération actuelle, il y a des jeunes de talent, mais on ne peut pas les comparer encore avec les deux raseteurs cités précédemment.

Bien dommage que pour la Cocarde d’Or, les vestiaires nous soient interdits.
Avec les manadiers, on peut dire qu’ils m’ont très bien accueilli lorsque j’allais chez eux pour un reportage, que ce soit chez Lafont, chez Ribaud et autres.
J’aimais bien me rendre chez les Raynaud au Grand Radeau, un lieu et une manade qui m’attirait.

On ne pouvait terminer cet entretien sans parler de la FFCC.

Le ròle de la FFCC est très important mais difficile car le milieu de la bouvine est un monde dur, de passionnés. La Fédération a beaucoup évolué depuis sa création et son passage au sport.
Le Président Itier a un grand mérite de gérer au milieu de tout cet ensemble.

RF : « Yves, tu n’as aucun regret en quittant France 3 ? La télé ne te manquera pas ? »
YM : Des regrets certes, que la course camarguaise ne soit pas plus reconnue et qu’il m’ait fallu batailler ferme pour qu’elle passe à l’antenne, mais bien dommage que ce soit si court, car une chaîne qui se dit régionale devrait pouvoir montrer suffisamment les traditions spécifiques à notre région.
La station me manquera et la caméra aussi.
On ne passe pas 20 ans à regarder vivre les gens à travers l’objectif. On ne balaie pas cela du jour au lendemain. Mais à la fin, je saturais pour différentes raisons. Mes dernières courses seront à Mouriès le 22 aoùt et la « der des der » à Saint-Geniès-des-Mourgues le 29 aoùt. Après, c’est fini !

Si vous me le permettez, je tiens à remercier du fond du cœur, toutes les femmes, les hommes, les organisateurs, la FFCC, les clubs taurins, les manadiers, les raseteurs, tourneurs, gardians, artistes, afeciouna... Tout le petit monde de la planète bouvine.
Les remercier pour leur accueil, leur gentillesse, de nous avoir permis de vivre et de partager avec eux leur passion, leurs émotions, leurs joies. Soyez-en, toutes et tous encore une fois remerciés"

Cet entretien aurait pu durer des heures et des heures, il a fallu bien l’interrompre. Mais quel plaisir pour moi, ce passionné de nos traditions régionales où la course camarguaise tient une grande place. Comme le peintre avec son pinceau, le poète avec sa plume, il a su avec sa caméra nous montrer à travers ses images, les beautés de la Camargue et ses traditions.
Sa passion, il nous l’a transmise avec art.

Profite bien de ta nouvelle vie, de ta famille, ne t’inquiète pas, tes amis te resteront fidèles, car tu es un personnage attachant.
Quelque chose me dit que l’on te reverra aux courses camarguaises, une caméra à la main.
Merci à toi d’avoir permis à la course camarguaise de se montrer à des milliers de personnes.

A bientòt l’artiste !