Certains documents de la préfecture du Gard témoignent de cette inquiétude politique :

"Les courses de taureaux donnent lieu à de grands rassemblements que les fauteurs d’anarchie ont déjà mis plus d’une fois à profit pour surexciter les passions démagogiques, pousser les populations au désordre et se livrer à des manifestations coupables"

«  Depuis que la propagande socialiste a surexcité dans les campagnes les mauvaises passions, les courses de taureaux sont devenues le prétexte de rassemblements qui ont pour but principal le développement des doctrines démagogiques et par conséquence, la dépravation complète de l’esprit dans notre pays."

« S’il importe d’empêcher ce genre de spectacle, grossier et barbare, c’est surtout depuis qu’il tend à servir les mauvais desseins des anarchistes et à couvrir, sous l’apparence d’un divertissement public, des réunions où les hommes mal intentionnés de plusieurs communes peuvent se rencontrer, s’entendre, s’exciter les uns les autres par l’échange de mots d’ordre, de pensées nouvelles ou d’espérances aussi coupables que chimériques » 1

Nous trouvons dans les archives du Gard plusieurs lettres de maires exprimant la crainte que les fêtes votives ne donnent lieu à des rassemblements de « Rouges » avec leur chants démagogiques 2

Il arrivait effectivement assez souvent que les républicains, qui se rencontraient lors des courses de taureaux, arborent cocardes et drapeaux interdits, ou encore chantent des refrains révolutionnaires.

Si les maires des différentes communes réagissaient de façon différente, il ne s’en trouvait pas moins devant le même problème :

  • ou ils faisaient appliquer les arrêtés préfectoraux et se rendaient impopulaires, se mettant à dos la quasi-totalité de leurs administrés favorables aux courses.
  • ou ils ne les faisaient pas appliquer et encouraient les blâmes du préfet, voire même des sanctions.

Leur tâche était d’autant plus difficile que les esprits étaient échauffés.

Quelques courses de 1851, décrites par P. Bord 1 nous restituent bien le climat passionné de l’époque et la violence de la répression.
Le lundi 5 mai 1851, lors de la fête votive, une course doit avoir lieu à Vauvert.
Les taureaux de la manade Picheral, du mas de Bourry, sont amenés de nuit par les gardians et, vers 11 heures, pénètrent dans Vauvert, traversant tout le village. Ils sont enfermés chez un villageois, la course va pouvoir se dérouler normalement.

« Mais, le préfet, prévenu depuis le 27 avril par le commissaire de police, a pris des mesures énergiques, plusieurs brigades de gendarmerie, une compagnie d’infanterie et détachement de l’escadron de Lunel sont prêts à agir si l’ordre leur en est donné » 1

La foule est nombreuse, les rapports de police estiment à 6.000 le nombre de personnes qui s’entassent sur les charrettes.

Afin d’impressionner la foule, l’officier commandant le détachement militaire ordonne à la troupe de charger ses armes.
Alors qu’un trompette s’avance pour exécuter les sonneries précédent les sommations règlementaires, un Vauverdois s’avance vers lui et lui arrache son instrument, un autre jette un caillou sur un soldat qui, aussitôt, met en joue la foule, un vieux Vauverdois le défie, lui présentant sa poitrine nue.

Devant l’excitation grandissante de la foule, on va chercher le maire qui, ceint de son écharpe, traverse la foule, monte sur une charrette et invite ses compatriotes à obéir à la loi.
Il est vigoureusement conspué.

De part et d’autre, la tension monte, les soldats mettent les baïonnettes en avant, les Vauverdois découvrent leur poitrine face à la troupe, pour quelle se retire.
Après son départ, la course se déroule sans incident.

Quelques jours après le maire reçoit un blâme et un arrêté de la préfecture le suspendant pour deux mois de ses fonctions.