C’était au temps où les voyageurs de commerce se déplaçaient en chemin de fer pour visiter leur clientèle, les journées étaient longues et souvent épuisantes mais l’une d’entre elles vécue par un Parisien venu présenter fanfreluches et rubans aux belles Calvissonnaises demeure pour toujours dans sa mémoire et pour cause !

Or, donc, et alors que venait de débuter la " Voto " votre homme débarqua du train en provenance de Nîmes en gare de Calvisson.

Accompagné d’une valise imposante il remontait vers le village, lorsque il vit un groupe de personnes passablement agitées. Il leur demanda le nom d’un restaurant où il pourrait déjeuner et on lui répondit avec force geste " Li biòu an escapa " .

Notre voyageur de commerce prit cette réponse pour l’enseigne du restaurant et arrivé sur la place il avisa un café et entra en disant très poliment. " Est-ce ici que li biòu an escapa ?", le tout prononcé d’une voix tout à fait pointue.

Il n’avait pas fini la phrase que la clientèle s’échappa par les issues et il resta seul, médusé et interloqué.
Ah çà, dit-il, aurai-je affaire à des fous pour je leur fasse ainsi peur ?
Puis il vint dans la cuisine et avisant une bonne mémé en train de faire cuire une daube, il lui répéta ce qu’il croyait être une demande de renseignements.
Mais à ces mots la vieille renversant le récipient de fonte, s’en fut gagner l’étage aussi rapidement que ses pauvres jambes le lui permettaient !

Notre personnage n’y comprenant plus rien gagne la porte mais il n’eut pas à répéter la phrase : il se trouva nez à nez avec un museau de taureau et, s’écria :
" Un taureau s’est échappé ".

La présence du cornupède avait plus fait pour la traduction de la langue du terroir que tous les dictionnaires réunis !
Et notre voyageur comprit à ses dépens que ce jour là il n’aurait pas dû s’aventurer à Calvisson.

Sa pauvre malle vola en éclats et le taureau repartit vers les prés en emportant autour de ses cornes quelques mètres de dentelles qui finirent sur les branches de saules cailarens.
Quant au voyageur, désormais sans bagage mais pourvu de plaies et de bosses, il fut réconforté par le tenancier et ses amis et repartit par le train du soir en jurant par tous les saints qu’il n’irait plus dans ces maudits villages le jour où l’on y faisait courir li biòu !

Et l’on dit que depuis, les représentants de commerce en tous genres évitent le village blotti au pied des trois moulins pendant la période des festivités !
On les comprend !