Très intelligent, Prouvènço était aussi doux et obéissant sur la manade que terrible dans le cirque : combien de fois ceux venant le visiter au Cailar, en une sorte de pèlerinage, parvinrent-ils à l’approcher au point de lui faire manger à la main des branches de saule.
Poursuivi, il ne se retournait jamais conte le cheval.
Parfois, au printemps, lorsque le bétail paissait sur l’Amarée, Prouvènço, relevant tout à coup la tête, comme si des effluves voluptueuses venaient de l’envelopper, découvrant ses dents et humant l’air du côté du Sauvage où erraient les vaches de Combet, lançait deux ou trois beuglements saccadés et sonores, parcourait quelques mètres au trot, puis, quittant brusquement le troupeau, il prenait le galop filait droit au Rhône et s’y précipitait, tel un dauphin, pour gagner le Sauvage, sur l’autre rive.
Un gardian, le trident au poing, enfourchait alors son cheval, et se jetait, lui aussi, dans le fleuve. Prouvenço, qui déjà se prélassait parmi cent génisses noires, en apercevant le cavalier, sans attendre le trop proche contact du cheval et du trident, dévalait au Rhône avec autant de vélocité qu’il avait eu pour en venir. Le gardian, le voyant émerger sur la rive de l’Amarée, remettait son cheval à l’eau. Il ne s’était pas avancé de cent mètres au milieu du Rhône, que Prouvènço, fort rusé, rentrant dans le courant, nageait de nouveau vers le Sauvage. Ce jeu de cache-cache se répétait souvent dix fois de suite et il fallait bien finir par abandonner. On organisait alors une petite expédition, composée de cavaliers et de barques, et on finissait par le séquestrer, pour un ou deux mois, au fond de la grande cabane de l’Amarée.

Lorsqu’on le conduisait en course, depuis le moment où on l’enfermait dans le char jusqu’au retour, Prouvènço devenait extrêmement dangereux, non seulement pour l’homme, mais aussi pour ses congénères.
Il fallait l’embarquer seul et lui lancer immédiatement autour des cornes une solide corde formant un nœud coulant, dont on fixait l’extrémité au plafond du char.
Les débarquements aux arènes étaient plus inquiétants encore. Les gardians faisaient sortir les autres taureaux ; à l’exception du dompteur. Ils lâchaient ensuite le nœud coulant, au moment où s’ouvraient les portes du char, et le dompteur, Prouvènço aux trousses, décampait jusqu’au toril et s’esquivait par une trappe refermée aussitôt.

A Vauvert "Bicheto" qui conduisait la course, ayant fait une fausse manœuvre et la trappe étant tombée avant le passage du dompteur nommé Zola, celui-ci fut pris par Prouvènço sous l’épaule droite, malgré les coups de trident et les vociférations des gardians, il ne voulut jamais lâcher prise, et sa corne, traversant la poitrine de Zola, ressortit de l’autre coté, près du garrot. Le malheureux dompteur se mit à vomir des flots de sang et mourut quelques minutes après.

Cependant, nous l’avons dit, Prouvènço n’était ni batailleur, ni méchant au milieu du troupeau, et pas plus à l’égard de ses congénères qu’à celui de l’homme.
Les taureaux, en général, se détestent entre eux, se harcèlent et s’attaquent sous le moindre prétexte. Ils ont aussi leurs haines personnelles ; ce sont parfois des duels continus, durant plusieurs années, jusqu’à la mort ou la fuite honteuse, dans le désert, de l’un des deux adversaires. Le vaincu n’ose plus, dès lors, reparaitre sur la manade ; il y reviendra seulement s’il se sent prêt à la revanche.
Prouvenço, conscient de sa force, n’attaquait jamais, mais, soit qu’il suivit un sentier, malheur à l’audacieux se frottant à lui ! D’un coup de tête, il l’envoyait à dix mètres, tout pantelant. Aussi, les taureaux avaient-ils de lui une terreur profonde ; même quand il était attaché dans le char, le trident seul pouvait les forcer à prendre place à ses cotés, et ils évitaient obstinément de le frôler.

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