Aucun biou n’a encore foulé le sol de cette trop grandiose plaza qui a chassé à jamais le pittoresque plan de charrettes et de travettes de la place de l’église ( actuellement goudronnée) .
Le toril a été démoli, et le souvenir des courses traditionnelles ne se perpétuera que sur les cartes postales que l’on trouve partout dans les Saintes.

Donc pour une fois, le progrès s’est implanté, mais n’a pu détrôner pour cette année les vieilles coutumes. L’achèvement des arènes se poursuit, le balcon-promenoir a été supprimé, et le garde-fou s’élève a l’aplomb des piliers de soutènement, on aurait du commencer par là et le discrédit n’aurait pas été jeté sur cette nouvelle construction. En fait d’inauguration, et dans la piste seulement, il ne sortit des cases du toril que….la Carmencita !
Mireille eût été plus à sa place pour cette première représentation.

La nouvelle résidence du Marquis est en voie d’achèvement. Les cabanes du gardianoun et du gardian sont achevées et attendent leurs hôtes. Quant à l’habitation du Marquis, copie de celle de l’Amarée, avec plus d’espace et un bureau en plus, elle monte de jour en jour, le mas sera plus près des Saintes mais le « pélot » n’aura plus ses bêtes dans ses terres. Seules, ses rosses peuvent y vivre. Les taureaux resteront dans Ma Valette et au clos de la Barque ainsi qu’au Mas d’Icard.

J’ai causé longuement avec le Marquis, et cette nouvelle situation l’a bien déprimé, de l’avis de lui-même et de son gardian, la manade est trop grande pour les herbages qu’il a.
De plus, par vent du sud, le clos de la barque étant noyé par le Rhône, où se tiendront les taureaux ?

Par atavisme, le Marquis se cramponne à cette terre Santenco qu’il aime tant, surtout celle de l’Amarée, où il a vécu de longues années, et je comprends très bien l’émotion qui l’étreint lorsque il revit tous ces doux souvenirs. Si ce n’était tout cela, et surtout la question des herbages difficiles à trouver ou à conserver, j’aurais trouvé normal que le marquis quittât ces terres sacrées.
La mer ronge les Saintes de jour en jour. Malgré les dépenses énormes que l’on fait pour lutter contre elle. Leur sort ne dépend que du temps. Sinon, verrons-nous peut-être un jour aménager le Petit Rhône pour en augmenter son débit et obtenir ainsi un colmatage naturel du rivage saintois.

Le progrès, avec ses améliorations foncières, contribuera à chasser de cette Camargue tant chantée par les poètes tout ce qui en fait la beauté. Et tout cela pour en arriver à conclure qu’il y a surproduction de tout ce que produit le sol.
Est-ce là ce qu’on appelle la civilisation ?

Qu’on laisse donc vivre en paix toutes les races d’animaux qui peuplent ce site merveilleux et ce sera meilleure preuve du progrès digne d’une civilisation cultivée, respectant les coutumes millénaires que rien ne saurait nous enlever.