Le Musée des Cultures Taurines récemment inauguré par la municipalité de Nîmes avait invité la F.F.C.C. à venir découvrir ses collections. C’est pourquoi ce soir-là une délégation d’une quinzaine de personnes ne sachant pas vraiment ce qui les attendait s’est vue accueillie et guidée par Patrick Siméon, sans son habit blanc mais avec un enthousiasme communicatif et un talent de conteur qu’on ne lui connaissait pas.

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Guidée pour une visite à travers plusieurs siècles de jeux taurins, et des salles mêlant habilement les oeuvres d’art aux reliques et fétiches d’une époque révolue mais qui survit dans nos traditions. Photos, toiles et gravures, affiches de courses et de corridas, extraits de films d’une époque où les taureaux courraient encore dans des plans rudimentaires, innombrables objets anciens ou plus récents du quotidien ou du mythe des tauromachies espagnole et camarguaise : têtes de taureaux inconnus ou célèbres, habit de lumière des toreros ayant bâti la légende des arènes de Nîmes, crochets utilisés par les raseteurs depuis le début du siècle, carapaçon, fers anciens et marques à feu... Le parcours pédagogique est un prétexte pour découvrir au hasard de chaque pas les détails d’un passé qui est aussi le gage de l’authenticité de notre culture camarguaise.

C’est le genre de musée où l’on peut se perdre, dans un dédale de souvenirs et d’histoires qui ressurgissent de la contemplation de tel ou tel objet, se laisser emporter par l’émotion face à des cocardiers devenus immortels dans la légende de la course camarguaise, oublier le temps dans l’histoire de cultures taurines tenant parfois plus d’un véritable culte du taureau... Un temple de la tauromachie, où le visiteur se laisse envoûter par la magie des lieux et dont il ne repart qu’à contrecoeur, regrettant de n’avoir pas eu assez de temps pour apprivoiser un tel foisonnement de souvenirs, et habité par une irrésistible envie d’y revenir...

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Ecoutons Patrick Siméon, interrogé par Thierry et Salva :

T&S : Patrick, peux-tu nous présenter ce musée ?

P.S. : Avec l’aide de la Municipalité, nous avons créé ce musée qui doit être labellisé Musée de France par la Direction des Musées de France et la Direction Régionale des Affaires Culturelles.

Il ouvrira définitivement ses portes sur trois niveaux en 2005. Pour l’instant, il s’agit uniquement d’une première exposition qui, au premier étage reprend les cinquante ans de la Feria de Nîmes parce que cette année, comme vous le savez, la ville a fêté son cinquantenaire. Au rez-de-chaussée, nous reprenons éthnologiquement les premiers jeux taurins qui se sont déroulés en France, et notamment en Camargue, jusqu’à la première Feria et l’arrivée de la tauromachie à Nîmes et dans son amphithéâtre.

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T&S : Le musée, est-il intégré aux autres musées de Nîmes ?

P.S. : Comme tous les autres musées de Nîmes, c’est un musée municipal, le Conservateur en chef est Martine Nougarède, qui est aussi Conservateur en chef du Musée du Vieux Nîmes et du Musée des Cultures Taurines.

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Nous sommes soumis à la loi des musées. Nous avons un premier but, qui est celui que tout le monde voit, celui de montrer une exposition avec le fonds taurin municipal mais aussi, celui qui est en dépôt, on pense surtout à la fabuleuse collection de Claude Viala qui reprend plus de mille pièces et notamment, chose très, très rare, mille BD où il y a une action taurine à l’intérieur. Donc de Tarzan à Spirou, on s’aperçoit qu’ils ont, un jour, toréé ou raseté ou fait des ferrades à cheval. Il y a ensuite la collection des Amis du Musée Taurin, une association qui a poussé pour que le Musée des Cultures Taurines naisse. La ville de Nîmes avait un fonds, le fonds Castel, qui avait été racheté en 1955, très ethnographique qui reprend les oeuvres du début des années 1900 jusqu’à 1955 puisque c’est la date du rachat.

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Le deuxième but, qui n’est pas très voyant mais qui est aussi important que le précédent, est la conservation des oeuvres. Les nôtres mais aussi celles qui sont laissées en dépôt ainsi que celles que nous sommes en train de rechercher pour la conservation du patrimoine taurin. A l’heure actuelle, ce dernier est en déclin pour ce qui est du début des années 1900 où les gens (les héritiers non intéressés) ont jeté, donné, ce que les parents avaient précieusement gardé. Ce sont des documents qui, malheureusement, nous manquent aujourd’hui. Le but, pour nous, est de récupérer ces collections, de les nettoyer, les restaurer, de les isoler des agressions que sont pour ces oeuvres la lumière, le froid, le chaud.

Nous disposons de grandes réserves, 950 mètres carrés environ, qui sont comme pour tout musée labellisé, avec un taux d’humidité et une température constants. Nous disposons dans les salles de filtres à ultra violets et chaque oeuvre est séparée par un papier japon ou assimilé, qui est neutre et isole complètement l’oeuvre.

Quand une oeuvre entre, en achat ou en prêt, elle bénéficie d’un nettoyage complet et d’une désoxydation. Je pense tout particulièrement au papier, qui est attaqué par des microbes qui se nourrissent de saleté et de poussière et qui en déféquant, provoquent une acidité qui attaque le papier. Donc nous traitons tout cela, l’isolons, et permettons ainsi une meilleure conservation.

T&S : Localement, nous retrouvons les deux tauromachies, espagnole et camarguaise. Leur avez-vous réservé des parts identiques ?

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P.S. : Nous sommes en Camargue et c’est notre idée conductrice fondamentale. Il faut savoir que si nous n’avions pas la race Camargue et une tradition tauromachique certaine instaurée dans la population il n’y aurait pas de corrida chez nous. Il ne faut pas rêver, la Féria de Nîmes c’est vingt mille personnes dans les rues pendant cinq jours mais demain, si on fait une corrida sans feria il n’y aura que quelques aficionados et si on a une tauromachie aussi importante, c’est aussi parce que nous avons une race Camargue qui est déjà en place et que nous avons derrière nous, toute une tradition et une culture ancestrale camarguaise.

T&S : Tout le monde connaît ton passé de raseteur mais quel est aujourd’hui ton rôle dans ce musée ?

P.S. : Avec Stéphanie Delarue, je seconde Martine Nougarède, Conservateur en Chef. Mon rôle est de monter des expositions, de rechercher des oeuvres et de les mettre en place. Stéphanie Delarue qui sort de l’école du Louvre, s’occupe de la régie. Autrement dit, dès qu’il y a un petit problème c’est elle qui le règle et nous dit attention nous sommes hors des règles du musée ou le contraire car nous avons des limites à ne pas franchir. C’est elle qui fait les textes et la mise en place ethnologique.

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Par exemple, elle prévoit de montrer toute une série de crochets, on part du premier jusqu’au dernier. Le premier qui est de telle année, aura telle position, le suivant sera placé comme ci ou comme ça. A moi de trouver les crochets qui correspondent, mais c’est elle qui fait la mise en place historique.

Je tiens à parler d’un évènement important. On est en train de mettre en place un système de recherches et d’études ethnologiques à l’intérieur du musée. Dans peu de temps, des étudiants, ou toute personne intéressée souhaitant faire des recherches sur la corrida ou la course camarguaise, auront à leur disposition la possibilité de consulter nos projections, nos coupures de presse et nos tableaux. Nous sommes en train de créer une DVDthèque qui comprend, pour l’instant, plus de cinq cents films qui sera mise à disposition et visionnable dès l’hiver prochain. Pour l’instant, de l’année 1940 à maintenant, nous avons tous les films des corridas qui se sont déroulées à Nîmes.

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T&S : La consultation sera payante ?

P.S. : Non, elle sera gratuite bien entendu. Certes l’entrée du musée est payante. L’entrée est de l’ordre de 4,30 Euros pour le tarif normal et de 3,25 Euros pour le tarif réduit. Il est partageable avec le Musée du Vieux Nîmes. L’entrée est gratuite pour les Nîmois sur présentation d’une pièce d’identité.

T&S : Carré d’Art est un musée national. Il détient une part de bibliothèque tauromachique, le transfert est-il prévu ?

P.S. : Non, pour l’instant, ils n’ont pas prévu de s’en séparer mais on espère qu’en mettant en place un projet scientifique, notamment en faisant venir quelques chercheurs dont les principaux ethnologues français, espagnols ou portugais, qui sont actuellement sous l’égide d’une association qui s’appelle Suerte dont le siège est à Paris et qui nous ont demandé de mettre à leur disposition un bureau de travail sur place.
Nous espérons que la DRAC (Direction Régionale de Affaires Culturelles) fera transférer tout le fonds taurin qui est au Carré d’Art. Nous y verrions des oeuvres signées Picasso, Michel Lieris, Cocteau...

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T&S : Le musée aura-t-il vocation à montrer de manière exhaustive, les traditions de Camargue, jeux taurins, taureau à la corde ?

P.S. : En entrant dans le musée, sur le premier parcours, on peut les découvrir par quelques photos, car on ne peut montrer les jeux taurins dans leur ensemble, le jeu du tonneau, le jeu de la chaise, le taureau à la corde, l’abrivado, la bandido, la course camarguaise, le jeu du garrot. Nous avons un clin d’oeil sur tout cela.
Il est évident que si nous faisons un parcours ethnologique, qui est aujourd’hui sur la moitié d’un niveau mais qui sera sur deux niveaux plus tard, il y aura de la place pour tous les jeux taurins existant chez nous. Jeux qui malheureusement, sont en train de disparaître à la suite de règlements internationaux inadaptés.

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T&S : Par rapport au Musée Arlaten, quelle est la place de ce Musée des Cultures Taurines ?

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P.S. : Les deux musées sont complètement différents. Rapidement, trop sans doute, on pourrait définir le Musée Arlaten comme le musée des traditions arlésiennes dans leur ensemble. Traditions datées du début des années 1900 uniquement. C’est un musée des arts et des traditions populaires. Le Musée des Cultures Taurines se préoccupe des traditions locales aussi mais dès leur origine jusqu’à nos jours mais uniquement dans le domaine taurin. Si le strict contenu est différent, nous avons des relations suivies entre nous. En effet, Estelle Rouquette chargée de la section taurine du Musée Arlaten, qui est une amie, nous rend souvent visite dans le cadre d’échanges professionnels.

T&S : Quel est actuellement le public qui fréquente ce musée ?

P.S. : Concernant la fréquentation nous sommes relativement satisfaits. En effet, 6000 visiteurs sont venus pendant la feria. C’était impressionnant et a posteriori, nous pouvons dire que c’était trop simultanément. Nous faisons une moyenne de 50 à 60 personnes par jour hors groupes.

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Si dans la ville, nous ne sommes pas le musée qui bénéficie du plus d’entrées, nous sommes très bien placés avec une marge, encore, de progression potentielle.

Nous constatons la présence de professionnels de la tauromachie : raseteurs, toreros, manadiers, ganaderos. A la sortie, quand ils demandent à nous rencontrer, nous les voyons souriants, ravis et enchantés du musée. Petit détail qui a son poids : ils ne se présentent pas à l’entrée mais à la sortie.

Le gros des visiteurs est cependant constitué des touristes de passage.

En majorité, ils pensent voir une exposition concernant la corrida, mais les lieux leur permettent de s’apercevoir qu’il existe une autre forme de tauromachie : la course camarguaise.
Pour la rentrée scolaire, nous sommes en train de préparer un petit parcours pour les enfants qui leur fera découvrir de façon ludique le pourquoi, le où et le comment de nos traditions.


T&S : Merci Patrick, suerte y enhorabuena.


Musée des Cultures Taurines
6, rue Alexandre Ducros
30900 Nîmes
Tél. : 04 66 36 83 77
musee.taureau@ville-nimes.fr