Naissance d'un mythe

Août 1943, à l’entrée de Beauvoisin Henri Aubanel mène l’abrivado.
Soudain, un cheval se cabre, désorganise le groupe, revient, reprend sa place. Trop tard ! Une vache est partie. «  C’est Gyptis, lance un gardian.  »
Cela ne fait rien, elle reviendra seule sur la manade. C’est du moins ce que pense Aubanel.
Mais Gypsis est volage, indépendante et elle ne reviendra pas.
Elle est la fille de « la Marseillaise », une pure Camarguaise issue de la manade de Laborde Caumont, à qui d’ailleurs le Marquis avait acheté ses premières bêtes.

Ivre de liberté, Gyptis va divaguer pendant plus de six mois, dans les marais du Scamandre et des Iscles, puis, à l’approche du printemps de 1944, devenue jeune fille, elle rode dans les pâturages du Clamador où paissent les biòu de Casimir Raynaud et à la tête desquels se trouve un magnifique étalon « Provence ».
La légende veut que ce bel étalon se soit battu à mort pour conquérir Gyptis, la fille venue on ne sait d’où. Elle succomba à la tentation et se laissa entraîner par le fier étalon dans les marais des Grands Palus !

Le 25 décembre 1944, un gardian découvre Gyptis léchant son nouveau-né, tandis que, sur une montille, Provence hume l’air qui vient de la mer.
Henri Aubanel vint récupérer la mère et le fils, qu’il offre aussitôt à son plus jeune fils, Pierre, « Vovo » [1] pour les intimes.
C’est en 1946, à l’âge de deux ans, qu’il va faire son entrée dans le monde de la Bouvine. De Montaud Manse a besoin d’un doublen pour compléter une course qu’il doit donner à Saint-Laurent-d’Aigouze et Henri Aubanel lui prête Vovo.

 Premières armes

Quinze jours plus tard, il se trouve incorporé avec des pensionnaires de Raynaud à Saint-Geniès-des-Mourgues. Ses premières colères qu’il assouvit contre les planches déchaînent l’enthousiasme de la foule.
Le 20 septembre il est à Mouriès, et c’est le raseteur Simian qui inaugure l’impressionnante série de roustes monumentales qu’il a distribuées tout au long de sa vie de cocardier.
Très beau de forme, Vovo incarne la race du Camargue dans toute sa pureté. Long, un peu bas sur pattes, les cornes courtes en demi-lune, il donne une grande impression de force et de noblesse.

Justin Bonnafoux, baile d’Henri Aubanel, s’était lié d’amitié avec Paul Laurent qu’il rencontrait souvent dans les courses. En 1944, Aubanel vend vingt vaches et taureaux à Paul Laurent qui était marchand de bestiaux à Beaucaire. Ne possédant pas de pâturages, il laisse cet embryon de manade sur les terres d’Aubanel.
Paul Laurent apprend en 1945 par le grand-père Jalabert, qu’un dénommé Grimaldi vend un domaine près du Sambuc, celui-ci se nomme « Les Marquises ». L’affaire se fait et de ce fait, tout le bétail des deux manades se trouve aux Marquises. Il faut dire que Aubanel avait été chassé des Saintes par les Allemands. Peu après, le cheptel de Laurent s’accroît par des achats chez Lafont, Blatière, Raynaud.

Ph : George

En 1946, la royale Aubanel/Laurent est réputée, avec Montherland, Bernissois, Lebraou, pour Aubanel, et Félibre, Cabussaire, Cabanié pour Laurent. Mais cette association sera de courte durée. La manade Laurent devient importante et les Marquises ne peuvent nourrir les deux élevages. Dès 1947, les deux manades se séparent. Justin Bonnafoux devient baile de Paul Laurent.

Si la manade Laurent a une bonne assise de par le sang, elle atteint la réussite lorsque, en 1949, H. Aubanel demande à Paul Laurent de prendre Vovo en pension aux Marquises.
Ce jour est à marquer dans l’histoire de la Bouvine, même si les deux hommes l’ignorent encore.
Nous pouvons l’inscrire en lettres d’or car il marque le début d’une ère de plus de trente ans et peut être qu’aucun autre taureau n’apporta autant au monde de la Bouvine, tant par lui-même que par sa descendance.

 Une carrière d'exception

C’est le 16 octobre 1949, à Lunel, que Vovo fut présenté pour la première fois par Paul Laurent.
Mais sa véritable carrière débuta le 9 avril 1950 à Lunel encore, incorporé aux Guillaume, Vivarès, Sangar, Caraque et Furet.
En plus des 3000 afeciouna, Ciampi, Garric, Giniez, Ruiz, Morand, Bastide, Jean et Lopez, allaient inaugurer la formidable carrière du Biòu en or qu’allait devenir Vovo.

Sa réputation de brutalité était déjà connue, mais il n’avait pas encore franchi la barrière qui sépare le fameux du supérieur, autrement dit du vedettariat, cette auréole qui fait monter sur les gradins autant d’afeciouna que de curieux.

Et c’est sous la grande ovation que Vovo réintégra le toril et qu’il entra du même coup dans la légende, car tant qu’il eut des forces pour se battre, rien ne put jamais l’arrêter.

Le 2 avril 1952, dans les arènes de Nîmes, ce taureau attira très exactement, 18.548 spectateurs payants !

Eyguières 1951
Vovo derrière le raseteur Eugéne Roman

VOVO est mort en novembre 1959 à La Valette (territoire des Saintes Maries de la Mer).

[1ANECDOTE sur son nom par Furet et Simbèu
Pourquoi VOVO, et bien tout simplement parce qu’à la demande de son père lui demandant un nom pour baptiser le veau, Pierre n’ayant pas bien compris la question ne put que répondre : "Vo...Vo...". Ces monosyllabes sont devenues le surnom de Pierre Aubanel.
Henri Aubanel, à qui tout le monde lui disait de changer le nom du taureau, répondait : « Je détestais faire ce que les gens me disaient, je fais le contraire, j’ai laissé le nom de VOVO au taureau, parce que cela sonnait bien et cela me faisait plaisir que le taureau porte le nom de mon fils. »