Voici quelques dates qui le prouvent :

  • 1233 : moyennant une redevance, l’évêque de Nîmes autorise les habitants de Notre-Dame de la Mer (Les Saintes-Maries) à continuer de faire paître leurs "bêtes bovines et rossatines" sur la Sylve. [1]
  • 1264 : l’Abbé d’Ulmet et de Sylvéréal donne la même autorisation aux habitants d’Albaron.
  • 1266 : De Bermond, seigneur du Cailar, accorde ce droit à tous les habitants du village mais cette fois gratuitement et à perpétuité pour service rendu !
    Puis :
  • 1335 : l’Abbé de Sylvéréal en accord avec les Consuls d’Arles donne le droit de pacage sur la Sylve aux Arlésiens.
  • 1392 : les "Santen" sont autorisés à y faire paître leurs troupeaux temporairement et à raison de 4 deniers par tête de bétail.
  • 1402 : une "course" [2] est donnée en Arles lors de la venue de Louis II, Comte de Provence.
  • 1445 : le cadastre d’Arles mentionne un certain Nicolas de Saint-Martin qui possède 320 bœufs et 130 bêtes rossatines en Camargue.
  • 1512 : création de la Confrérie des Gardians* appelés alors "li pastre nourriguié". [3]

Dans son livre "La Provence louée" paru en 1551, Pierre Quinquéran de Beaujeu [4] précise que "l’île seule du terroir d’Arles nourrit plus de 4.000 juments et non moins de 16.000 bœufs" dont s’occupent des "gardiens" (qui utilisent déjà le trident). Il ajoute que ce cheptel est partagé "en troupeaux de cent, deux cents, cinq cents têtes qu’il faut marquer pour ne pas les perdre ou les laisser errer à l’aventure" (la ferrade).
Par contre il n’emploie pas le mot "manade".

Les noms de propriétaires de taureaux apparaissent au début du XIXème siècle dans les actes municipaux et préfectoraux relatifs aux "courses" qui se donnent à l’époque. Le terme de "gardian" y apparaît également.

Celles-ci (jeux divers avec les taureaux), rares moments de liesse pour les populations méridionales, se donnaient dans les villages à l’occasion des fêtes locales et nationales. Les taureaux arrivaient de Camargue bien sûr, mais d’une Camargue bien différente de celle que nous connaissons.

Elle était déterminée par de nombreux bras du Rhône et les zones marécageuses s’étendaient de Port-Saint-Louis du Rhône à Mauguio. Elle englobait une "Camargue Provençale" et une "Camargue Languedocienne" dont le cordon lagunaire était bien plus long et la Petite Camargue telle que nous la limitons aujourd’hui n’existait pas.
Cette aire géographique désertique soumise aux crues du Rhône, à celles du Vidourle, aux salivades (marées plus fortes que d’habitude), à un climat rude, avec ses moustiques et sans vraies routes était inhospitalière. L’intrusion humaine y était donc faible et l’habitat clairsemé. Les grands mas - peu nombreux - étaient bâtis sur les bordures des costières et au bord du Rhône. Ils étaient plus nombreux en Languedoc qu’en Provence où on les trouvait surtout en Crau.

Dans la première moitié du XIXème siècle, les taureaux proviennent des domaines appartenant à une dizaine de riches propriétaires dont nous avons retrouvé quelques noms :

  • M. de la Barollière (grand-père maternel du Marquis de Baroncelli et général d’Empire) qui en 1800 possédait l’élevage du Petit-Argent dans l’actuelle Petite Camargue.
  • M. le Comte de Bernis (Mas de Quincandon).
  • Mme Veuve de Bouzanquet (Domaine du Môle).
  • M. Cambon (Domaine de Saint-Jean de la Pinède), ces trois derniers d’Aigues-Mortes.
  • la famille Coumert Emile de Nîmes (Mas du Juge, Mas du Sauvage et Mas d’Icart).
  • la famille De Cambis d’Avignon (Mas de Bourry).
  • la famille du Comte de Laborde-Caumont du Vaucluse (Mas d’Icard en Crau).
  • M. Boissier Jules de Nages, banquier (Mas du Petit Sauvage).
  • M. Saint-Clair de Laborde (qui doit être M. le comte de Laborde-Caumont).

On trouve aussi des noms de fermiers qui dirigeaient ces domaines et qui arrondissaient leurs revenus en louant les bêtes qui y paissaient :

  • M. Bouchairen au Mas du Sauvage.
  • M. Bernard Pascal au Mas de Daladel (Saint-Laurent d’Aigouze) et au Mas de la Vernède (Les Saintes-Maries de la Mer).
  • M. Pichéral Prosper au Mas du Bourry (Le Cailar).

Sont cités également comme « fournisseurs de taureaux » :

  • M. Charles Marque.
  • M. Coulomb. Joseph, manadier à Aigues mortes, à Brasinvert
  • M. Louis Mourgas.
  • M. Philippe Joubert & Barbaroux (Marsillargues), puis au mas de Loule
  • M. Mathieu, Henri (Le Cailar). mas de Bourry
  • M. Paul Berrus (Le Cailar).
  • M. Régis Valette. propriétaire du Quicandon
  • M. Vernet, Auguste de Graveson
  • M. Vincent Perre (Avignon).
  • Mme  Rédarès * (Grau du Roi). acheta la ferme de terre neuve, et continua l’élevage Bamboche
  • M. Jullian Joseph (Mas-Thibert). pâturage au theys de Béricles
  • M. Servanc (Arles).

Mais ce n’est que dans la seconde moitié du XIXème qu’apparaissent les véritables manadiers, au sens d’éleveurs de taureaux et de chevaux Camargue qui y consacrent leur vie.

  • Charles Combet crée son élevage en 1851,
  • Joseph Yonnet le sien en 1859.

Les autres manades fondatrices se créent après la guerre de 1870 et jusqu’au début du XXème.
Leurs propriétaires s’appellent :
Abel, Achard, Bancel, Baroncelli, Blanc, Joseph D’Arbaud, De Montaut-Manse, Desfonds, Dijol, Dumas, Durand, Féraud, Granon, Gras, Guy Estèves, Lescot, Mistral, Nivar, Papinaud, Pouly, Raynaud, Saurel (lou Gnoque), Theg de Bénice (?), Trouche, Viret…

A cette époque, l’Espagne impose ses produits pour les spectacles et face à cette concurrence, nos manadiers commencent les croisements avec du bétail espagnol (voir aussi l’article sur ce site : "Croiser, pourquoi ?"*).
Les résultats sont dans l’ensemble négatifs et leurs successeurs - sauf Yonnet - procéderont à une rigoureuse sélection pour retrouver la race Camargue pure [5] plus adaptée à notre jeu. D’autant plus qu’une nette distinction commence à s’opérer entre la corrida et la course provençale, cette dernière répondant mieux à l’expression de la tradition locale et gardant ainsi la faveur de nos populations.
En 1920, on estime le cheptel camarguais à environ 2550 têtes, 750 dans le Bas-Languedoc et 1800 en Provence. « Tous ces toros sont beaux de forme, de couleurs différentes. Il y en a de noirs, de noirs tâchés de blanc, des blanc-rouge mais en général rouge foncé. Les trois quarts restent étalons » (Luiz Devotino dans Le Torero du 12 mai 1929).

Dans la première moitié du XXème siècle se créent cinq grandes familles issues des élevages originels (en gras au-dessus) :

  • Guillierme (1920).
  • Blatière (1921).
  • Lafont (1945).
  • Laurent (1949).
  • Mailhan (1954).
    C’est à partir de ces cinq "races" caractéristiques que naîtront par héritage, mariage, achat ou association, nos manades actuelles.
Fanfonne Guillierme
Blatiere
Lafont
Laurent
Fabre-Mailhan

Dans les articles suivants nous retracerons un bref historique de neuf élevages fondateurs : les cinq "races" et les quatre manades les plus anciennes existant actuellement (Yonnet, Lescot, Aubanel, Raynaud). Nous terminerons par un tableau chronologique donnant la généalogie des 126 manades faisant courir en juin 2009 et nous établirons une liste des manades disparues.

<center>{{SOMMAIRE}}</center>

[1partie de la "Séuve reialo" (la forêt royale) octroyée par Alphonse Ier d’Aragon, Comte de Provence aux moines d’Ulmet en 1167 et sur laquelle ils fondèrent le monastère de Sylvéréal.

[2lion contre taureau.

[3littéralament : les bergers nourriciers, éleveurs de bestiaux.

[4noble provençal né à Mouriès en 1522, mort à Paris en 1550, évêque de Senez (04).

[5il n’est pas impossible malgré tout que par atavisme naissent de nos jours des taureaux « Camargue » aux caractères physiques plus ou moins ibériques : taille, poids, armure horizontale, tâches blanches...

Portfolio

Fanfonne Guillerme