"Allez un samedi, sur la place des hommes, à Arles, ou bien un jour de fête, à Lunel, à Marsillargues, à Saint-Laurent-d’Aigouze, à Aimargues, et jetez, parmi le premier groupe d’hommes que vous rencontrerez, ce nom Prouvènço.
Les yeux enflammeront, les visages deviendront cramoisis, les poitrines haleteront. On s’écriera : "Prouvènço ! Ah ! Jamais plus nous ne verrons son pareil."
Il ne naît pas un Prouvènço tous les mille ans.
Et de cent bouches à la fois s’envolera le récit des prodiges de vaillance par ce demi-dieu mithriaque.

Lorsque le marquis de Baroncelli-Javon voulut constituer sa manade, il s’appliqua à recueillir les bribes des deux anciennes races camarguaises de taureaux et de chevaux, éparses comme des épaves parmi les croisements, depuis le Cailar jusqu’à Fos.

De ce mélange d’un millier de bêtes, dont il connaissait les origines diverses, sortit, après une sélection patiente, une pépinière de reproducteurs d’élite dont Prouvènço fut la fleur.
Il eut pour mère une vache de Papinaud appelée Rosine .
Son père, le Cailaren , appartenait à la dynastie des Cailaren issue de la manade du mas d’Icard, et passée dans celle du Sauvage.

Doublen on le conduisit, au mois d’octobre, à Marsillargues, le deuxième dimanche de la fête votive. Gros comme un pois chiche et noir comme le jais ; il fit merveille et mit l’arène sens dessus dessous, se cabrant contre les gradins improvisés, bousculant les spectateurs, semant la panique parmi les raseteurs.
Au retour, les gardians suivant la coutume, voulurent le baptiser : les uns, d’accord avec les habitants de Marsillargues , tenaient à ce qu’il s’appelât « le Marsillarguais », d’autres, "le Kroumir" , en mémoire d’un ancêtre illustre, jadis ainsi nommé, auquel, prétendaient-ils, le jeune héros ressemblait. Mais le pélot ne se prononça pas. Il savait que de ses efforts, de sa persévérance, sortirait, un jour, un taureau unique, de type parfait, incarnation de bravoure, symbole, dans sa race purifiée, de fierté, de foi, de reconquêtes, de régénération provençales.

L’hiver passa. A la fin du mois de mai, le Pouly vint au mas de l’Amarée louer, pour les arènes de Marseille, deux courses de quadrille et une course libre de taureaux emboulés. Elles devaient voir lieu le jeudi de l’Ascension, ainsi que les deux dimanches précédant et suivant cette fête.

On choisit un lot de douze taureaux ; les six plus robustes fourniraient la course libre du jeudi. "Chasseur de rats" était alors l’apoudera de la manade et réglait le détail des courses. "Grosses-Lèvres" accompagna les taureaux à Marseille pour les soigner et les faire courir.
Malgré son jeune âge et sa petite taille, le doublen de Marsillargues, alors ternen, fit partie du lot, mais il fut expressément convenu qu’il courait une seule fois et ne recevrait qu’une paire de banderilles. Le premier dimanche, il blessa grièvement le fils du Pouly et mit deux toréadors en piteux état.

Lorsque le bétail revint à l’Amarée, le surlendemain de la dernière course, avant même que "Grosses-Lèvres" ne fût descendu de cheval, on l’assaillit de questions au sujet du petit taureau : « Ah ! répondit-il, vous pouvez ôter votre chapeau devant sa mère ! Vous pouvez le nourrir de biscuits ! Comme celui-là, je vous le dis, il n’en était pas né encore dans toute la Camargue, je ne vous en raconterai jamais assez. Il faut l’avoir vu pour le croire …Et pourtant, on l’a fait passer, le pauvre, par des étamines ! ».

(...)

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