D’ailleurs un de nos compatriotes Avignonnais, M. Louis Gros a fourni la preuve que ce livre est bien de la main de l’auteur de la Comédie Humaine, bien qu’on l’ait attribué à Ferdinand de Grammont.
M. Louis Gros, qui signait ses écrits " Jean Deyris " fut, lorsqu’il était au service des Presses de la Maison Aubanel, l’incitateur à une réédition de cette oeuvre de jeunesse, réédition qui date de 1958.

Balzac, dans ce volume, se montre écologiste avant la lettre et il défend fermement la terre de Camargue. C’était en 1840 !
Dans l’admirable préface écrite par " Jean Deyris " ce dernier déclare :
"Balzac fait preuve dans ce livre de beaucoup de clairvoyance et aussi de courage puisqu’il s’en prend au nom de l’art et de la poésie à des compagnies toutes puissantes.
Ayant vu s’ouvrir l’ère de l’envahissement de la Camargue, de la transformation ou de l’abandon du costume provençal (déjà !), il a dit sa tristesse et ses regrets et a jeté son cri d’alarme. Et cela en des termes et avec une force auxquels il convient de rendre hommage.
 »

Et c’est vrai qu’il est étonnant que cet ouvrage n’ait pas eu plus de retentissement, surtout au niveau des Provençaux et des Languedociens !
Il est vrai qu’il figurait dans l’édition des " Oeuvres complètes d’Horace de St-Aubin " que personne, et pour cause, ne connaissait. Mais cette supercherie fut la cause de la mise en sommeil de l’oeuvre et ce fut bien regrettable.
Pour nous, ce qui rend précieux ce roman, qui se déroule à l’époque troublée des Guerres de Religion, c’est l’exactitude du récit.
Jugez plutôt :

La Ferrade :

« On appelle ainsi cette sorte de solennité sauvage et pastorale où l’on marque les bêtes nouvelles des troupeaux de taureaux sauvages qu’on enferme dans l’lle de la Camargue...
Suivant l’habitude, on avait formé avec des charrettes et des pieux une enceinte circulaire où se trouvait réservée une seule issue ; en face de cette espèce de barrière s’élevait un amphithéâtre où les spectateurs s’étaient placés. Le troupeau de taureaux remplissait le pâturage.
Ces animaux, d’une race particulière, noirs de la pointe des cornes à l’extrémité de la queue, ce qui contrastait avec la robe blanche des chevaux qui habitaient pêle-mêle avec eux ces déserts, étaient d’une férocité ombrageuse que leur aspect annonçait parfaitement. Pour s’en emparer, l’un après l’autre, leurs gardiens, armés de longues lances à trois pointes ou trident, les poursuivaient, les détachaient du troupeau, les cernaient, et l’animal furieux se précipitait par l’entrée ouverte, seule issue qui fut laissée dans l’enceinte fatale et qui était aussitôt fermée derrière lui ; alors les gardiens mettaient pied à terre, le harcelaient et, saisissant le moment favorable, le renversaient sur le flanc.

La personne que l’on voulait honorer descendait alors des gradins et marquait la victime dont la peau brûlait et frémissait. Lorsque cette personne avait repris sa place, on lâchait le taureau qui, après avoir vainement cherché à se venger de ses agiles vainqueurs, fuyait par l’issue que l’on avait rouverte et courait dans la campagne en mugissant et en frappant la terre de ses cornes. »

La description est précise.
Il s’agit du marquage dans le bouvau ; les gradins et le cercle de pieux me font penser aux plaines de Meyran où se déroulaient à l’époque les ferrades publiques ; et il y a dans le style de l’écriture certains passages qui font songer à Quigueran de Beaujeu, bien que Honoré de Balzac n’ait certainement pas lu " La Provence Louée ", l’oeuvre du Cardinal de Senez.

Vous le constatez donc, Balzac a bien été au moment de ses débuts littéraires un écrivain Camarguais ; ce fut le temps d’un roman dont l’auteur n’a pas avoué son nom.
On dit même que, parvenu au faîte de la notoriété, le grand écrivain reniait ses oeuvres de jeunesse. Et pourtant, pour nous, gens du terroir, il a bien célébré la Palun qui se trouve aux portes de Saint-Gilles et cela nous fait découvrir un Balzac différent de celui de la Comédie Humaine.

Un Balzac plus proche de nous et c’est cour cela que nous l’aimons encore davantage.