Jean-Marc Tognetti : la despedida.
A 46 ans, Jean-Marc Tognetti décide de suspendre la Tenue Blanche.
C’est par un jour d’hiver 1955, le I I octobre, que ce talentueux gaucher vit le jour à Saint-Laurent d’Aigouze, village qu’il n’a d’ailleurs jamais quitté bien longtemps. La passion du taureau lui est venue alors qu’il montait à cheval à la manade Fourmaud, ou lorsqu’il allait à la manade Lafont. C’est là qu’il a commencé à côtoyer les vachettes emboulées. Dès son retour de l’armée, il décide de s’inscrire à l’Ecole Taurine de Lunel où il restera une année avant d’accéder aux courses de protection en 1976, ce qui lui a donné la possibilité de participer à une course de Blatière au Grau-du-Roi, qui fut sa première course en pointe. Jean-Marc se souvient
"A l’époque, l’avantage du système, c’est que les jeunes de promotion avaient l’opportunité d’aller courir le dimanche dans les courses hors trophée, ce qui leur permettaient de se confronter aux raseteurs expérimentés. C’est de cette manière que j’ai côtoyé les As, comme Castro, et que j’ai pu participer à la Royale de Lafont dans les arènes de Vauvert en fin de saison."
Goya, Ventadour, Ringot...
Pour ce gaucher puriste, 1978 marquera son passage aux As, avec cette deuxième journée de la Palme d’Or à Beaucaire où, aux côté de 7 autres tenues blanches parmi lesquelles Castro et Emile Dumas, le jeune Jean-Marc rasetera après la pause Goya, Ventadour et Ringot. Cette année-là, il se classera 3ème du Trophée derrière Castro et Dumas, et occupera cette place jusqu’en 1988, année ou il recevra un sérieux coup de corne au bras. Dès lors, il trouvera une autre motivation en participant à toutes les catégories de courses.
Sur son comportement en piste, Jean-Marc reste modeste : "A l’époque, dit-il, avec cette possibilité d’aller raseter où l’on voulait, il fallait toujours faire bien, on n’avait pas droit à l’erreur, sinon le public n’était pas content. De plus, on rasetait les qualités d’un taureau et non pas ses défauts ; ce qui est malheureusement le cas depuis la fin de l’ère Chomel. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, les grandes affiches n’attirent pas les foules. Moi, j’ai toujours considéré le taureau comme un partenaire et pas comme un adversaire. J’ai raseté pour la passion du taureau pour faire plaisir au public et non pas pour l’attribut". L’art et la manière, en quelque sorte.
’J’ai su apprécier les taureaux qui ne trichaient pas, les taureaux nobles tels Ventadour ou Rousset, les taureaux qui se défendaient sans coup de tête, sans " rousiguer", les taureaux qui cherchaient le combat comme Samourai ; Goya, Ringot.. . "
Côté tenues blanches, Christian Chomel reste et restera un modèle pour tous : "Quand on était en piste avec lui, on essayait de se surpasser, de raseter dans son style, ce qui générait souvent des actions spectaculaires aux planches".
Des joies...
Mais le meilleur souvenir que garde Jean-Marc de sa longue carrière, c’est son début, sa première tenue blanche, puis cette course du 16 août au Saintes avec Rousset.
Quant à la Cocarde d’Or en 1994, tout est parti d’une boutade avec Jean Mathieu : "Lorsque j’ai découvert l’affiche, je lui ai dit en plaisantant que si Jacques Mailhan, à l’époque directeur des arènes d’Arles, m’invitait, je me sentirais d’aller raseter. Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, à la lecture de la grille du jeudi, que je figurais parmi les invités ! Ma dernière participation remontait à 1988 et je m’y suis donc rendu sans prétention. A la sortie du premier taureau de Guillierme, je n’ai pas été gêné et je me suis retrouvé dans le coup ; même si Thierry Ferrand, qui devait m’aider, avait rejoint Bourmel Morade. Dès lors, le public a pris parti pour moi et j’ai pris la seconde place sur le podium".
Contre le système
En faisant référence au passé, Jean-Marc n’approuve pas tellement le système actuel : "Les jeunes qui arrivent ont certainement la même passion que la nôtre, mais la différence c’est qu’on leur impose un dans lequel ils n’ont pas la liberté de faire ce qu’ils sentent. C’est, à mon avis un handicap. La preuve : combien de jeunes, qui promettraient dès le départ, ont été cassés en rentrant trop rapidement dans le grand bain, alors qu’ils n’y étaient pas prêts ? Regardez Mickaël Matray !
Pour raseter, il ne suffit pas d’avoir des jambes, il faut avoir de la tête et du tempérament, il faut pouvoir se surpasser pour faire ce que les autres ne font pas !"
Au crépuscule de sa carrière, notre gaucher est visiblement satisfait. Avec un physique longiligne qui l’a servi, Jean-Marc a pu durer et effectuer la transition entre le Trophée des As et les course de taureaux jeunes auxquelles il s’adonna sur la fin. Là, il joua le jeu en donnant la main aux jeunes, surtout dans les moments difficiles, lorsqu’il fallait faire les rasets d’attaque.
"Aujourd’hui, quel est le raseteur des As qui ira courir le dimanche dans une course hors trophée comme le faisait Robert Marchand qui allait jusqu’à raseter les vaches emboulées ? Là encore, c’est la faute au système, qui ne laisse pas la place à la convivialité en piste, pas plus qu’à la qualité du travail ! Aujourd’hui, si l’on veut s’habiller le dimanche suivant, il faut faire des points ! Ceci dit, tant qu’il y aura des aficionados sur les gradins, du monde pour raseter et des taureaux, tout ira bien !"
Des larmes
Parler avec Jean-Marc Tognetti, c’est comme ouvrir un roman au nombre incalculable de pages. C’est une carrière d’un quart de siècle, avec le souvenir des joies, mais aussi des larmes, comme l’accident de Pierry Gibert "Dans ma carrière, j’ai été blessé, mais je n’ai jamais été confronté à une situation aussi dramatique que celle vécue cette année dans les arènes de Lansargues. Ce qui m’a déçu par la suite, c’est l’absence de certains manadiers le jour des obsèques. Car il ne faut pas l’oublier, sans raseteurs, il n’y aurait pas de taureaux Même si Pierry n’était pas un raseteur de premier plan, il est tout de même mort en piste ! Et d’évoquer dans la foulée l’accident de Didier Abellan, la disparition d’Olivier Arnaud... Ce sont des choses que l’on ne voudrait jamais voir", conclut-il.
Jubilé le 20 octobre
Cette année, Jean-Marc Tognetti a décidé de tirer sa révérence au monde camarguais pour se consacrer à sa seconde passion, les chevaux. D’ailleurs, la veille de notre entretien, il était en Italie à une compétition de Quarter Horse. Nous lui souhaitons donc autant de réussite que dans les taureaux et nous espérons que nous le croiserons encore longtemps dans nos arènes de Provence et du Languedoc. "Pas en tourneur", précise-t-il, "du moins pas pour l’instant".
C’est donc le samedi 20 octobre prochain, à Saint-Laurent d’Aigouze, que Jean-Marc enfilera pour la dernière fois la tenue blanche, lors d’une grande journée d’estrambord avec au programme, dès le matin, la finale de l’Ecole Taurine de Lunel face au bétail des manades Raynaud et Bon.
Le paseo jubilé débutera à 14 h 45, en présence des anciennes gloires du crochet parmi lesquels Chomel, Castro, Ménéghini, Ferrand, Alteirac, qui raseteront deux vaches emboulées.
A 15 heures, course du jubilé avec des taureaux de Laurent, Chauvet, Blatière, Lafont, Cuillé. II y aura aussi Braconnier de Fabre-Mailhan et Pacific de Ricard qui lui aussi, fera ses adieux à la piste.
Côté raseteurs, ce sont tous les amis de Jean-Marc qui assureront le spectacle avec entre autre Durand, Félix, Meseguer, Khaled, C. Garrido, Rouveyrolles, Triol, Malige, Fargier, Borrego, Sagnier, Simar, Tourreau, et Fougère. D’autres invités de dernière minute ou surprise seront probablement de la fête.