Les chevaux légers et adroits, bien conduits par leurs maîtres, s’avancent dans le troupeau. Il s’agit de trier un anouble, taureau d’un an, et de le mener au lieu de la marque. Après de multiples volte-face, un bouvillon, effrayé, est sorti de la troupe. C’est la poursuite. Les cavaliers l’encerclent et au galop le mènent a la foule qui attend impatiente, la première bête à marquer. La voilà, elle arrive, les jeunes filles, tel un essaim d’oiseaux, filent vers les carrioles. Le veau est là. Un gars solide s’avance et tape dans les mains. Affolé, la jeune brute s’arrête ; puis, se ressaisissant, part sur celui qui ose l’affronter. L’homme a reçu le choc et tient la bête par les cornes, appuyant fortement son corps sur le flan de l’animal. Un corps-à-corps, puis la brute est vaincue. Alors accourent promptement les jeunes. Tous veulent tenir la bête qui fait des efforts pour se remettre sur pieds. Sans tenir compte du beuglement sinistre, le marqueur va appliquer le fer rouge sur la cuisse gauche du bouvillon. La marque pénétrera sur le cuir , brûlant les poils, roussissant la peau ; le beuglement sera un moment plus terrible encore . Mais ce n’est pas tout. Il faut aussi reconnaître le taureau à la marque qu’il aura aux oreilles. Aussi on entaille d’une certaine façon , toujours la même pour chaque manadier, les deux oreilles.
Le taureau est désormais marqué. Il fait partie définitivement de la manade où il est né. Le pélot , son propriétaire en est fier et le suivra jalousement jusqu’au jour où, pour la première fois, il défendra dans l’arène les couleurs de l’élevage.

Maintenant on a lâché le veau. Se retrouvant debout, libre, il reste un instant immobile, étourdi. C’est la première fois que l’homme le maîtrise. Puis, furieux, il bondit. Il bondit, impétueux , il frappe avec rage, sans savoir comment, tout ce qu’il trouve devant lui. Et ce sont surtout les hommes, il les bouscule, les saute, continue sa course en beuglant jusqu’à ce qu’il trouve l’espace libre. Alors, en se balançant honteux de la cruelle défaite qu’il vient de subir, il s’éloigne lentement et va se cacher parmi les roseaux qui bordent le marais.
Dans la piste, un deuxième veau a été amené et le jeu recommence de plus belle.
Quand tous les anoubles sont marqués, les gardians choisissent dans la manade un des plus beau « tau » (étalon) et l’amène vers la foule. Encerclant étroitement l’animal, ils font par trois fois le tour de la piste. Les applaudissements retentissent. La foule en délire manifeste son admiration pour la beauté de la noble bête, qui représente la manade entière. Après, c’est tout le troupeau qu’on amène au galop. C’est une charge rude, uns chevauchée extraordinaire où les gardians rivalisent d’adresse. La manade est toute sur la piste. Les cavaliers s’éloignent , la « bouvino » s’en va par les sansouires reprenant l’air calme et tranquille qui les fait comparer à des taureaux de bronze.
Le soleil est maintenant sur nos têtes. Se rayons « grazihent » la Camargue. Sur la plaine qui environne les Saintes, il me semble voir une multitude de libellules aux ailes argentée.