Emile Bilhaud, un grand manadier parmi les grands manadiers, nous parle calmement, ses paroles ne se pressent point et ses gestes sont mesurés.
Est-ce bien là le Bilhaud turbulent que l’on se plait à imaginer galopant et fougueux comme il l’a tant fait là-bas sur le domaine d’Espeyran ou bien dans maintes arènes ?
Bien sûr que oui, mais Bilhaud, dans sa demeure de Saint-Gilles, a su mettre un frein à sa débordante ardeur, au milieu d’une multitude de souvenirs et de trophées bien mérités.

En entrant dans sa demeure, on a aussitôt l’attention attirée par la noble tête de Janot, ce champion d’une autre époque qui dut être tué alors qu’il était âgé de 22 ans, bel âge pour un taureau d’arène.
On remarque encore un magnifique taureau figé dans le bronze. C’est le trophée du Biòu d’Or et il y a des coupes.

Nous entrevoyons dans la maison le célèbre Vovo qui n’est autre que Robert Terrasse, le bayle gardian de la manade, qui vaque à ses travaux avec ses aides.
Emile Bilhaud n’est pas un manadier tout à fait comme les autres, il est un homme de cheval et de bouvine dans toute l’acception du terme et il a plusieurs cordes à son arc.

Combien au cours des années passées sont ceux qui l’ont applaudi dans les arènes de Provence et du Languedoc.
Il les hantait toutes, caracolant noblement sur son cheval camarguais qu’il affectionnait autant que lui-même. Ses prouesses de cavalier sont connues de tous et de toute la Carmargue et son renom a dépassé les limites de la contrée.
Ces courses à cheval sont un souvenir lointain sans doute mais impérissable comme le sera l’esprit de la Camargue. Dans l’arène, Emile Bilhaud chevauchait sa monture et à rapide allure la délaissait pour sauter sur une autre.
Mais il faisait encore mieux.
Toujours filant à vive allure, il quittait son cheval pour sauter sur le dos d’un taureau. C’était là un numéro de cirque que l’on n’a jamais vu dans un cirque et que l’on n’y verra jamais car on ne peut le réaliser en dehors de la Camargue.

Notre cavalier sans peur, téméraire mais prudent avait caché au fond de lui-même un rêve qu’il put un jour réaliser, celui d’avoir une manade, d’être l’envié gardian dirigeant ses taureaux à travers les pacages camarguais.
Ce rêve, il put le concrétiser au début de l’année 1940 par l’acquisition de la manade Trouchaud de Senebier du côté des Saintes-Maries-de-la-Mer. Le troupeau, composé de cinquante bêtes, est aussitôt conduit par son nouveau propriétaire à Lauricet à proximité de Sallier.

Mais nous étions en 1940 période de guerre.
Emile Bilhaud, par la force des choses, destine son troupeau à la boucherie. Le destin voulait toute autre chose et c’est Casimir Rainaud, père des deux frères, qui sait transformer la vie de Bilhaud et le convainc lors d’une rencontre.

—  Que vas-tu faire de tes bêtes, lui demande Rainaud.
—  Je vais les tuer.
—  Mais c’est un crime
.

Emile Bilhaud doit faire front aux arguments de son interlocuteur mais peu à peu il cède et sa décision, rapidement, est prise. Il restera manadier et cela même s’il est mobilisé, ce qui d’ailleurs arrive aussitôt.
La manade est mise en pension chez Blatière Père qui en prend soin.

Cette manade avait des bêtes au sang des plus noble. Elles venaient de
chez Rainaud, de chez Fernand Granon et de chez le Marquis de Baroncelli, toutes manades réputées pour leurs étalons et leurs vaches.
Bilhaud était bien l’heureux propriétaire d’un troupeau de qualité.
L’avenir le lui prouve très vite et il s’en aperçoit lorsque quelques mois après sa mobilisation il reprend le trident et s’assied sur la selle de son cheval. Le domaine d’Espeyran ne manquait pas d’herbes nourrissantes, avec le soleil et le souffle du mistral. La manade ne pouvait que s’accroître rapidement, ce qu’elle fit vite puisque peu d’années après ses débuts de manadier, Emile Bilhaud se trouvait à la tête d’un troupeau de 250 têtes et plus.

Avec les éléments de valeur acquis à Trouchaud, Emile Bilhaud pouvait présenter dès 1940 une super-royale qui se composait donc de :
— Tringlo, un magnifique étalon,
— de Bagnolte,
— de Niçois,
— de Rinard,
— de Maconnais
et surtout
— de Doyen qui un jour grimpa tout en haut des arènes de Nîmes.