Vous dire que j’ai aimé Rami serait restrictif car je l’aime encore tant son souvenir reste intact dans ma mémoire.

Souvent, on devient afeciouna sans vraiment s’en rendre compte. Tout simplement, parce qu’étant né ou vivant sur un lieu de prédilection, entouré d’êtres déjà porteurs de ce beau virus. Voilà, on se retrouve sur les gradins de nos arènes comme sur les bancs d’une école, pas par obligation certes, mais par simple cheminement naturel.

Pour ma part, étant né et vivant dans un village où, lors de ma tendre enfance, vivaient plus de taureaux que d’habitants, je n’ai pas eu à forcer mon talent pour tomber dans la marmite de la fe di biòu. Et puis, comme chaque afeciouna, au fil des ans, j’ai acquis, je dirai, ma propre formation. Souvent à l’écoute des anciens, des gardians, manadiers, raseteurs ou à travers divers écrits. Tout ceci m’ayant permis (tout au moins je le crois) de pouvoir apprécier comme il se doit les courses camarguaises.

Mais je dois ajouter que, pour compléter ma formation, j’ai eu la chance de voir courir un véritable cocardier" école" et non d’école. Oui, un taureau d’exception, et même pour moi : le taureau cocardier dans toute sa splendeur, le grand Rami de la manade Fabre-Mailhan.
Ce taureau m’a appris énormément sur la course camarguaise. Durant toute sa carrière, débutée en 1967 avec une victoire au Trident d’Or, jusqu’à son retrait des pistes en 1985 (18 ans !!!!), il a été pour moi (et pour d’autres, je suppose) un véritable professeur.
On dit souvent d’un animal que l’on aime, qu’il ne lui manque que la parole. Pourtant, même sans discours, Rami a su m’expliquer la course camarguaise. Sa façon de mener sa course, et ce, dans toutes les pistes où il sortait - et elles sont nombreuses - suffisait à démontrer ce que doit être et ce que doit savoir faire un très grand cocardier.

Son positionnement, tout d’abord. Il repérait rapidement l’endroit de la piste d’où il pouvait " mestréger* ", puis, sur le raset, une anticipation foudroyante coupant le terrain à vitesse grand V, le tout suivi d’une finition aux planches qui n’était pas faite pour les photographes mais bien pour atteindre l’homme dans un dernier effort.
Ajoutez à cela des déplacements judicieux et une combativité à toute épreuve et voilà, pour moi, tout est là. Un grand taureau doit posséder toutes ces qualités (bien sûr, à des degrés divers) et Rami est, à mes yeux, celui qui les a le plus développées.

J’ai essayé de voir courir Rami un maximum de fois et il ne m’a jamais déçu. Je crois même ne l’avoir jamais vu dépouillé de tous ses attributs, pourtant je me demande si ses ficelles n’ont pas été, en francs constants, les plus primées qu’il m’ait été donné de voir. Et tout cela, dans n’importe quelle piste, en semaine comme le dimanche, sans limitation du nombre de raseteurs. Il trouvait toujours la solution pour s’imposer et en imposer. Son comportement me paraissait efficace et sim¬ple à la fois. Tout cela était si bien fait que je ne me rendais pas compte, à cet instant là, que Rami était en train de m’enseigner la course camarguaise. Oui, c’était un sacré professeur ! Et tout cela, face à des raseteurs de grand talent : Castro, Dumas, Pellegrin.. .puis les Siméon, Rado, Lopez... jusqu’à Christian Chomel et tous ceux de ces générations. Pour l’avoir entendu dire par certains d’entre eux, lever un ruban à Rami, cela comptait et pas qu’en argent ! Rami a glané de nombreux trophées durant sa fantastique carrière dont deux fois le titre suprême de Biòu d’Or en 1969 et 1971 (avec cette année-là un doublé Biòu d’Or et Cocarde d’Or.) Je pense, et j’aurais bien aimé, qu’il aurait du en obtenir un troisième pour entrer ainsi dans la légende des triples couronnes. Mais on ne refait pas l’histoire.

Vous dire que j’ai aimé Rami serait restrictif car je l’aime encore tant son souvenir reste intact dans ma mémoire et, même si j’aime tous nos biòu, lui reste mon préféré. Peut-être simplement parce que je lui suis en bonne partie redevable de cette passion qui m’anime et qui me rend heureux.

Avant de clore cette prose, je me dois de vous conter (ou de vous rappeler) une anecdote que je ne suis pas prêt d’oublier.
Lors d’une finale du Trophée Taurin à Nîmes, les organisateurs avaient décidé de présenter en piste les Biòu d’Or retraités dont Rami. Et bien, que croyez-vous qu’il fit à sa sortie sur le sable ? Ses deux tours de piste et, ensuite, il prit position, à gauche de la présidence, le cul à deux mètres des planches et attendit l’attaque. Comme au bon vieux temps, bien que retiré des pistes et pas mal blanchi, Rami était resté Rami.
A son retour au toril, il reçut une formidable ovation. Et moi, j’avais les yeux humides !

Alors, merci à Farfantello, merci à Photographe de nous avoir" fabriqué" Rami, merci aux hommes qui l’ont affronté, merci aussi à ses pelots d’avoir érigé une stèle à sa mémoire. Et puis surtout, merci à toi, Rami, oui merci, Monsieur le professeur !

La stèle du cocardier aux Bernacles