Thierry FERRAND, pour tout le monde taurin est ce jeune raseteur tarasconnais qui est arrivé comme une bombe dans le milieu camarguais.

Rappelez-vous le scénario :
Après 2 années de formation sur le tas en emboulés dont une avec Emile DUMAS son modèle à St Martin de Crau, il s’inscrit en 1978 aux courses de Promotion et se classe 1er lors de la Finale à Marguerittes.
Il a 18 ans !

En 1979 il monte à l’Avenir et gagne le Trophée à la Finale à Beaucaire alors que ROUSSET de Cuillé est élu Bioù de l’Avenir.
Il a alors 19 ans !

En 1980 il monte aux AS et se classe d’emblée 2ème derrière Patrick CASTRO.
Il a 20 ans !

En 1981 il gagne le Trophée des AS devant Jacky SIMEON alors qu’il vient d’avoir 21 ans.

Vous pouvez chercher, il n’y a pas d’exemple de progression aussi rapide dans toute l’histoire de la Course Camarguaise.

Et pendant 20 ans de 1978 à 1998, Thierry va dérouler le fil d’une carrière d’autant plus remarquable que ses compagnons de jeu se nomment Patrick CASTRO, les frères SIMEON, Luc MEZY, Bourmel MORADE, Jean Marc TOGNETTI, et surtout son ami, l’incomparable Christian CHOMEL !

Se forger un tel palmarès alors que vous luttez avec des hommes de ce niveau est tout simplement prodigieux.

Un simple échantillon sinon nous pourrions y passer la nuit :

  • 6 fois vainqueur du Trophée des As
  • 6 fois 2e du Trophées des AS et 2 fois 3e.
  • 4 Cocarde d’OR en Arles
  • 3 Palme d’Or et 3 Muguet d’Or à Beaucaire
  • 4 Trophées des Impériaux aux Saintes Maries
  • 7 Trophées de la Mer au Grau du Roi
  • 4 Cornes d’Or à Eyragues
  • 3 Ficelles d’Argent à Fontvieille
    Stop j’arrête là !
    Tout ce qui peut se gagner, il l’a gagné et dans toutes les pistes.

Mesdames et Messieurs vous pouvez dors et déjà l’ovationner pour toutes ces performances magistrales.

Chers amis, toute médaille a son revers.
Lorsqu’on veut rabaisser ou dénigrer quelqu’un c’est très facile. Il suffit de prendre ce qu’il y a de meilleur chez plusieurs personnes et de le rapprocher d’une seule.
Traverser une carrière en rencontrant sur son passage Patrick CASTRO, Jacky SIMEON, et Christian CHOMEL n’est pas forcément un avantage au moment d’un bilan.

En mars 1998 dans le mensuel la BOUVINO j’avais écrit : "Thierry n’a pas l’allure, la vitesse ou la souplesse d’un CASTRO" et c’était vrai, "Thierry ne foule pas les mêmes terrains que Jacky SIMEON", et c’était vrai aussi, Thierry n’aura jamais la beauté dans le geste, l’immense talent d’un CHOMEL.

Difficile d’être aimé lorsque vos succès viennent déranger et piétiner les mérites de l’idole du moment.
Tout cela est vrai, c’est un constat et à ma connaissance il ne m’en a jamais voulu de l’avoir exprimé. Par contre il avait ce que les autres n’avaient pas toujours c’est-à-dire un mental et une volonté de fer, l’opiniâtreté, l’efficacité et surtout en final une superbe technique adaptée à chaque type de taureau, qualités sans lesquelles vous ne pouvez espérer aucun Trophée.
Bizarrement, une fois la carrière terminée, les critiques se sont estompées, à l’image d’un CASTRO qui n’a jamais été aussi apprécié que le jour où il n’a plus couru, ce qui laisse rêveur.

Chers amis afeciouna, nous avons tous côtoyé Thierry pendant les 20 ans de sa carrière, nous l’avons ovationné, nous l’avons sifflé selon les jours mais qui peut se vanter de connaître l’homme, aussi bien sa pensée que son action au quotidien ?
En vérité bien peu d’entre nous.

Pour l’avoir interviewé longuement en 1988, je peux vous affirmer que rares sont les hommes de 28 ans à l’époque, capables d’avoir une vision aussi claire sur eux-mêmes, sur leur sport et sur leur avenir. Cette maturité si jeune, ce sens de l’analyse, c’est sa marque de fabrique, son ADN, et encore plus aujourd’hui.

Prenons un premier exemple : la Course Camarguaise !
Il me dit :

"On a modifié l’essence même de la Course Camarguaise qui est l’affrontement de l’homme et du taureau.
Le taureau n’est pas un champ de bataille.
Je n’arrive pas à comprendre que les hommes ne se motivent pas pour construire un spectacle !

A l’heure actuelle il n’y a pas de volonté de mettre les taureaux en valeur, les hommes n’exploitent que les défauts de l’animal, jamais ses qualités. Du coup le taureau est seul face à des hommes qui se croient tous des leaders, des stars et ne travaillent pas ensemble.

Prenez l’exemple de la corrida : le torero cherche sans arrêt à donner de la valeur à son spectacle, à valoriser son taureau, à en tirer le meilleur.
Les raseteurs depuis trop longtemps ne donnent pas cette image.
Ce n’est pourtant pas compliqué : plus on aime le taureau, plus on le considère comme un partenaire et non un adversaire et plus le spectacle est beau !"

Deuxième exemple, Thierry m’affirme :

« On ne peut pas dissocier l’amour du taureau et l’envie de raseter, c’est impossible !
Tous ceux qui l’ont essayé n’ont jamais été des raseteurs de valeur.
A mon époque CHOMEL montait chez Cuillé, moi chez SAUMADE, MORADE chez LAURENT et TOGNETTI chez BLATIÈRE.
On aidait chez chacun d’eux et pendant des jours.

On a alors un contact complètement différent avec le milieu taurin.
Ce n’est pas un adversaire le manadier, tout comme le taureau c’est un partenaire.
Le matin on part trier, on participe à la vie de la manade, à son évolution, à son style, on assiste à des repas et à table on est entre le gardian, le manadier, l’amateur, il y a une discussion qui se fait, un échange et surtout on s’écoute les uns les autres.
Où sont passés aujourd’hui ces moments privilégiés ?
 »

Enfin puisqu’il faut bien terminer, Thierry cette vie complète dans les taureaux, pourquoi ?
Il me dit :

« J’ai vécu et je vis une passion à fond, il me faut ce contact avec le taureau, le toucher, le voir, savoir comment il vit, comment on peut l’approcher, rentrer dans son intimité.
Cet animal m’a subjugué et m’a permis de m’exprimer, de me réaliser.

Aujourd’hui j’ai un regard apaisé, je n’ai pas de nostalgie, je ne me dis pas : j’aurais pu faire mieux, j’ai fait ce que j’avais à faire.
J’ai un palmarès très étoffé, chaque fois que j’ai gagné je l’ai bien gagné et quand je l’ai perdu je l’ai bien perdu. »

Chers amis, j’ai eu l’immense plaisir d’être reçu par Thierry Ferrand au Mas de l’Abbaye, un lieu magique où Magali Saumade n’est jamais bien loin.
Et j’ai compris très vite au pied de la grande cheminée pourquoi la manade Saumade n’a jamais quitté les premiers rangs. La complémentarité de ces deux êtres, leur complicité, leurs compétences réunies leur ont permis de surmonter le départ de Claude Saumade et dans la foulée de recueillir les fruits de leur propre travail avec SCIPION et POURPIER entourés d’une Royale très complète.

Amis camariniens, pour l’immense raseteur qu’a été Thierry FERRAND, pour le manadier qu’il est, pour les idées qu’il nous délivre sans retenue , pour son amour des taureaux immodéré et admirable , mais aussi pour l’homme qu’il est devenu dans sa deuxième vie, je vous demande de lui faire une formidable ovation.