Cette année entre toutes est particulière. Particulière parce que le Pape est mort il y a 20 ans de cela. Malgré ces deux décennies, il y a foule ce matin dans le cimetière pour rendre hommage à Paul Laurent. Henri Laurent, son fils avant d’être le manadier respecté de tous, s’en est ému sur sa tombe.

La voix d’Henri se brise. Un fils garde toujours vis à vis de son père cette réserve, cette émotion qui ne transparaît guère que lorsqu’il l’évoque à voix haute.
Paul Laurent était le Pape de la Bouvine, il l’a poussée à des niveaux jamais atteints avec ses cocardiers parmi lesquels les noms de Vovo, Loustic ou Goya claquent comme autant d’étendards. Son fils a connu le meilleur, mais aussi le pire, subissant de plein fouet la rigueur d’une règlementation qui l’a obligé à faire abattre sa manade.

Cette année est particulière. Voilà maintenant quatre ans qu’une partie de la Camargue retient son souffle. Quatre ans que les admirateurs de la Grasilho se demandent si les paillettes de Lion permettront la renaissance du Mas des Marquises. Aujourd’hui la réponse viendra dans les arènes. Le premier des tau nés des inséminations artificielles sort en pointe. Le « 602 » sort dans la course de l’après midi. Un pincement de coeur pour ce manadier qui espère beaucoup de cette jeune génération tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit là d’un « tau presque neuf » capable du meilleur comme du pire.

Mais aujourd’hui ce serait bien... Aujourd’hui est un bon jour.

L’émotion passée, la troupe se disperse pour se retrouver au Mas d’Assac pour un déjeuner. Mr le Maire Jacques Bourbousson y remet la médaille de la Ville à Manuel Gonzalves qui a fait le déplacement depuis le Portugal. Aujourd’hui directeur de chaine de télévision, il est aussi et surtout l’homme qui a fait entrer en France les Forcados, après une rencontre avec Paul Laurent qui a scellé leur amitié. Un autre moment d’émotion... « L’homme est riche de ses amis » appuie Mr Gonzalves, « alors je suis riche ».

Le dernier moment fort de cette matinée sera la lecture d’un poème dédié au Pape que ni l’auteur, ni le fils ne pourront pourtant lire. Le jeune Jérôme Contestin, cinéaste bien connu des afeciouna fréquentant le Festival du Fim taurin et Camarguais de Saint-Genies de Malgoires, a écrit quelques vers bien tournés sur la Grasilho. Le manadier marque un silence.... Le poème a touché juste.

Aujourd’hui est un bon jour. Aujourd’hui la Grasilho renaît.

L’abrivado est menée par Patrick en pointe. Elle part sagement, calmement du mas d’Assac pour arriver aux arènes. Toute en finesse, en hommage elle aussi... Il y a vingt ans de cela, une abrivado partait du Mas d’Assac pour d’autres circonstances.

Après l’hommage au Pape, il en est donné un aux raseteurs, victimes de cette passion par le dépôt d’une gerbe sur le mémorial devant les arènes Paul Laurent.

En attendant la course...

La Course est prévue à 16H00, en espérant que le temps soit clément. Les nuages tournent autour de Beaucaire, et pour l’heure ne s’en approchent pas.

A 16H00, les nuages continuent de s’amonceler, mais la première partie de course se passe. Vite expédiés, les deux premiers taureaux se révèlent trop tendre pour des tenues blanches en pleine forme. Benjamin Villard s’illustre sur Petit Lou de la Manade Chaballier. Son travail est d’une efficacité redoutable. Il démarmaille la première ficelle que Four enlève, et démarmaille la seconde qu’il réussit ensuite à enlever totalement avant la 11ème minute de course.

Malgré ses cornes développées, Corail manque de méchanceté aujourd’hui. Il n’anticipe pas, et offre sa cocarde à la première série de rasets. En moins d’une minute 30 il perd ses glands, et ne tient ses ficelles que 5 petites minutes supplémentaires.

Levènti de Plo est le premier à offrir une résistance aux blancs qui semblent au dessus du lot de taureaux. Lui aussi perd ses glands dans la seconde minute, mais se révèle aux ficelles. Il semble avoir été cueilli à froid. Au fur et à mesure que les minutes passent, il est de plus en plus difficile à approcher. Ses anticipations sont remarquables, et il vient plus volontiers sur les gauchers que ne le faisait Petit Lou. Il finit fort sur Villard ou Martinez ce qui lui vaut le disque, tout comme une série qu’il encaisse sans broncher avant de changer de terrain dédaigneusement.
Four lui enlève sa deuxième ficelle en bloquant le chrono à 12’30. Mais le Biòu rentre en musique.

Le ciel est de plus en plus menaçant... Et il reste 4 biòu et un tau. Décision est prise d’écourter l’entracte devant ce ciel qui s’assombrit.

Yvan du Pantaì sort... Et c’est une autre dimension qui entre en piste. Ses anticipations, puis ses accélérations sont deux armes dont il sait jouer et que les raseteurs n’arrivent pas à lire. Beaucoup passent, peu mettent la main, obligés de changer leur option, leur trajectoire. Yvan fait avorter la majorité des départs, surprenant par sa vision des intentions des hommes en piste. Il garde ses glands plus longtemps que Corail n’a gardé l’ensemble de ses attributs. Il entend Carmen pour une action sur Auzolle, il fait réagir la foule dans un duo avec Martinez qui finit fort, ou sur un raset osé de Martin-Cocher que celui ci doit abandonner en catastrophe. Yvan rentre finalement sa première ficelle primée 600 euros en musique.

Verdau d’Allard sort deux fois. A la première sortie, Mascarin lui prend la cocarde et les deux glands, lorsque la course est interrompue par un orage. L’orage ne dure pas, et les tenues blanches, après avoir vérifié les margelles et barrières, décident que la course peut continuer. Verdau revient avec de meilleures dispositions, plus de pêche. Les hommes en face semblent, eux, plus empruntés, soucieux des nouvelles caractéristiques de la piste. Changeant l’équilibre homme- animal, la course est plus compliquée pour les raseteurs, et Verdau rentre ses ficelles.

Verdau sera sorti dernier. Le temps d’écrire le nom du suivant, une grosse goutte noie la feuille sur laquelle j’écris, et ses soeurs inondent les arènes. Le phénomène est aussi court qu’intense, et malgré toute la bonne volonté des acteurs, met un terme à la journée.

Cela aurait pu être un bon jour.

Il s’en est fallu de peu, mais que faire contre la pluie...
La grasilho doit attendre une semaine de plus pour son grand retour. Si le symbole du retour de la manade pour cette journée hommage ne peut se faire, un autre symbole de la sortie de 8 tau la remplacera la semaine prochaine dans les arènes d’Aigues-Vives.

La Camargue reprend son apnée pour une petite semaine encore.

Osco les Marquises !

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